En direct
A suivre

La guerre fait rage à gauche, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[Alexis Reau / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

Le «relatif» succès de Podemos en Espagne, celui de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, la percée de Bernie Sanders, candidat qui ose se dire «socialiste» aux Etats-Unis, et la mobilisation d’une partie de la gauche politique et syndicale en France contre le président et son Premier ministre : tout laisse penser que les gauches sont au seuil de changements profonds.

Les sociaux-démocrates, ou sociaux-libéraux, délivrent aujourd’hui un message qui manque de clarté ; et qui semble inadapté à la demande sociale. Celle-ci voudrait plus d’Etat-providence alors même que cet Etat-providence est en panne, fonctionne mal et, surtout, de façon de plus en plus injuste. Mais, plutôt que de chercher à surmonter ces difficultés objectives, toute une partie de la gauche revient à une lecture datée de la lutte des classes et cherche refuge dans un «surmoi» marxiste, faute d’être capable de penser la réalité telle qu’elle est, c’est-à-dire un monde ouvert et mouvant. Non pas en crise, mais en mutation profonde, qui correspond au passage d’un mode de production (à dominante industrielle) à un autre (l’ère du numérique). Mutation de nature à bouleverser l’équilibre de nos sociétés comme le sont les équilibres géopolitiques.

Y a-t-il, comme le dit Manuel Valls, deux gauches «irréconciliables» ? L’une réformiste et l’autre tentée par une forme de populisme ? En tout cas, il y a bien une gauche contre une autre. Mettons à part le cas américain où la candidate Hillary Clinton se montrera conciliante vis-à-vis d’un candidat qui n’a guère de chance. Mettons à part également le cas britannique : les travaillistes le savent, avec Jeremy Corbyn ils sont condamnés à l’opposition. Mais cette guerre des gauches existe en Espagne où Podemos fait obstacle à un gouvernement conduit par le PSOE qui, avec le centre, présentait un programme réformiste.

En France, tout se passe comme si une partie de la gauche n’avait pour seul objectif que d’écarter François Hollande afin qu’il ne puisse pas être candidat à sa propre succession en 2017. Il y a une tradition à gauche de la politique du pire. Celle qui consiste toujours à désigner la social-démocratie comme le pire ennemi car elle préfère le confort de l’opposition aux difficultés de l’action.

Ainsi, se trouve en discussions une loi réformant le Code du travail qui provoque l’hostilité, pêle-mêle, d’une partie des députés socialistes, de la plupart des syndicats et des mouvements étudiants et lycéens, lesquels sont proches de la fraction du parti socialiste la plus opposée à François Hollande et Manuel Valls. Le débat est essentiel car la philosophie de ce texte consiste à accepter l’idée que le chômage de masse ne peut pas être corrigé par un surcroît de protections pour les salariés. En revanche, il est urgent d’encourager et de faciliter les créations d’emplois, ce qui passe par l’acceptation d’une certaine souplesse en lieu et place de la rigidité actuelle du Code du travail.

Cette réforme est également l’amorce d’une réflexion centrée sur la protection de la personne à travers la création d’un compte personnel d’activité, véritable Sécurité sociale de l’emploi en lieu et place de la protection des statuts, et notamment de celui de salarié. C’est une réforme utile, parfaitement dans l’esprit d’un réformisme adapté aux nouvelles réalités, et qui est violemment combattue par celles et ceux qui, à gauche, veulent continuer de croire que l’entreprise et les patrons sont l’ennemi. Il faudra donc observer avec attention le sort de cette réforme qui peut soit signer l’échec du quinquennat de François Hollande, soit montrer au contraire que la social-démocratie est encore le meilleur moyen d’accompagner la formidable mutation que nous traversons.

Jean-Marie Colombani

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités