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Caroline Pigozzi : "Le pape est devenu rayonnant"

Le père Henri Madelin et la journaliste Caroline Pigozzi. [G.ZELLER / DIRECT MATIN]

A l’origine du livre "Ainsi fait-il", il y a une rencontre. Celle d’une journaliste, Caroline Pigozzi, et d’un théologien, le père Henri Madelin. Respectivement spécialistes des arcanes du Saint-Siège et de la spiritualité jésuite, tous deux ont souhaité revenir sur le parcours et les actions du pape François. Un homme spirituel et simple passé maître dans l’art de communiquer.  

 

Vous connaissiez-vous depuis longtemps avant d’entamer ce travail ?  

Caroline Pigozzi : Pas du tout ! Plusieurs éditeurs m’avaient proposé de travailler sur le pape François. Mais en journaliste façonnée à l’école de Paris Match, il me fallait un angle. Et cet angle, je ne l’avais pas. Or un jour, alors que je faisais ma chronique d’actualité religieuse sur Europe 1, j’ai entendu la voix du père Madelin et je me suis immédiatement dit que je voulais travailler avec lui, en particulier sur la dimension jésuite du pape.

Henri Madelin : Je n’ai pas hésité longtemps avant d’entamer cette coopération. Caroline Pigozzi connaît parfaitement le milieu pontifical. Quant à moi, j’avais été très impressionné par ce pape qui affirmait et continuait d’affirmer son identité jésuite. Nous avons voulu écrire rapidement, sans même attendre le premier anniversaire de son pontificat. Nous en sommes encore au début et il règne encore une fraîcheur inédite.

 

Un mot sur le titre : « Ainsi fait-il ». L’action est-elle la marque de fabrique du pape ?

H. M. : Ce titre peut surprendre en effet. Il fait allusion à la formule utilisée par les chrétiens pour clore leurs prières mais aussi à une phrase du Christ tirée des évangiles : « Ils disent mais ne font pas ». Le pape François est un réformateur qui va faire ce qu’il dit.

C. P. : Très rapidement, le père Madelin m’avait demandé comment nous pourrions intituler ce livre. Je n’y avais pas réfléchi jusqu’à présent. Mais presque du tac au tac, je lui ai proposé : «  Ainsi fait-il ». À peine avais-je fait cette hypothèse que j’ai eu peur de me faire réprimander ! Mais finalement, nous l’avons adopté.

 

Les enfances de Jean-Paul II ou Benoît XVI furent bien connues. Celle de François reste dans l’ombre.

C. P. : Je n’ai pas voulu faire du « journalisme internet » et rebroder ce que d’autres avaient déjà dit de nombreuses fois. Par ailleurs, je ne voulais donner que des informations vérifiées à plusieurs reprises. Au final, c’est vrai que l’enfance de ce pape demeure peu connue.

H. M. : On sait qu’il a vécu dans des quartiers populaires. Qu’il aimait le sport, et le foot en particulier. Mais je vois aussi dans cette discrétion le reflet de sa condition de fils d’un immigré italien. Un statut qui pousse à la discrétion lorsque l’on veut réussir son parcours d’intégration.

 

François est sans doute un pape réformateur. S’inscrit-il pour autant en rupture par rapport à Benoît XVI ?

C. P. : Il existe une rupture évidente liée à leurs origines respectives. Il faut aller en Argentine, comme je l’ai fait pour écrire ce livre, pour comprendre ce que voulait signifier François au soir de son élection lorsqu’il disait qu’on était allé le chercher « presque au bout du monde ». De fait, l’Argentine est un autre monde. Pour autant, vouloir opposer frontalement Benoît XVI à François est abusif : il n’y pas de zizanie. Tout au plus François a-t-il été passagèrement agacé par les petites notes que Benoît XVI continue de lui écrire…

H. M. : La deuxième rupture que j’identifie touche à la question des intégristes. Benoît XVI, inquiet des conséquences durables d’un schisme, voulait absolument le résorber. Mais les responsables de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ont refusé ces propositions. Il y a peu de chance que le pape François leur donne une seconde chance car ce dossier n’est pas prioritaire pour lui. Mais je pense aussi qu’il existe une grande continuité dans ce « bipapisme » comme l’atteste la première encyclique de François, aux trois quarts rédigée par Benoît XVI.

 

 

 

Le pape est-il heureux d’être pape ?

H. M. : Manifestement, oui. Il a connu des moments difficiles au cours de son parcours, en particulier lors des tourmentes politiques traversées par l’Argentine dans les années 70. Le climat s’est éclairci pour lui quand il est devenu archevêque de Buenos Aires. Et aujourd’hui, sa joie semble éclatante.

C. P. : Il faut observer les changements de son visage depuis son élection. Le pape est devenu rayonnant, serein, ses traits se sont adoucis. Oui, il semble heureux d’être pape. Mais il n’est pas « cool » pour autant : le pape est un homme d’action. Il est très méfiant et entend tout contrôler.

 

François est-il un homme de communication ?

C. P. : C’est un génie de la communication ! Dans l’avion qui nous emmenait au Brésil, j’ai été saisie par l’habilité avec laquelle il parvenait à retomber sur ses pieds face aux questions des journalistes. Ce n’est sans doute pas un hasard si le père Federico Lombardi, qui dirige le bureau de presse du Saint-Siège, semble beaucoup plus détendu que sous Benoît XVI.

H. M. : La locution, chez le pape, est au service de l’action, ce qui est un trait commun aux Jésuites. La pédagogie est fondamentale pour accompagner l’action et passe par le verbe. Ce n’est pas un hasard si de nombreux jésuites sont enseignants à un moment ou à un autre de leur carrière. Savoir parler à des élèves de 6e apprend à être clair et précis pour tous les publics.

 

Homme d’action, intelligence éclairée, le pape est-il aussi habité par la vie de prière ?

H. M. : Oui, le pape affiche ainsi une grande dévotion mariale, ce qui est très latino-américain mais qui correspond aussi à la figure de Saint Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites. Sa dévotion, très simple, proche des plus pauvres, le conduisait à dire la messe avec le plus grand soin, vêtu de tous ses ornements liturgiques, dans les bidonvilles les plus reculés.

C. P. : Sa vie spirituelle est très intériorisée. Lorsque j’ai eu la chance d’assister à sa messe privée, à Rome, j’ai été frappée par la profondeur de son recueillement à l’issue de la célébration. La force qu’il dégageait m’a fait songer à ce que j’avais déjà pu éprouver en contemplant Jean-Paul II autrefois.

 

Le souverain pontife fuit le « mondanisme » et affiche sa simplicité. Mais n’y a-t-il pas un marketing de la frugalité qui frise l’orgueil ?

C. P. : Quand il est allé lui-même régler sa chambre d’hôtel à l’issue du conclave, peut-être en a-t-il fait un peu trop, en effet. Mais les temps ont changé. Le pape François préfère communiquer lui-même plutôt que laisser libre cours aux rumeurs et aux bruits. Ceci dit, il est vrai que le pape pourrait être sujet à l’orgueil. Mais pas à la vanité.

H. M. : Les gestes du pape me font penser à ceux du général De Gaulle à l’Elysée qui payait lui-même ses factures. Mais au-delà du symbole, il faut bien voir que si le pape préconise en effet une forme de sobriété, c’est aussi un homme qui veut rencontrer les hommes dans la joie et non dans la mortification.

 

Quelle est sa position par rapport à la France ?

H. M. : Je note qu’il est marqué par des auteurs français. Il avait cité Léon Bloy au cours de l’une de ses premières homélies. Il est également sensible à des figures comme Georges Bernanos ou Jacques Maritain qui connurent l’exile en Amérique lors de la Seconde guerre mondiale.H. M.

C. P. : Je crois sincèrement qu’il n’éprouve rien de spécifique à son égard. La France, c’est l’Europe. Et l’Europe, c’est loin pour lui. Je ne pense donc pas qu’on le verra de sitôt ici. Peut-être cherchera-t-il à inscrire un geste en direction de la France, dans le cadre d’un déplacement consacré à l’Union européenne ? On parle d’un possible passage à Strasbourg courant mars.

 

Caroline Pigozzi, Henri Madelin, Ainsi fait-il, Paris : Plon, 2013, 278 p., 19,90 euros.  

 

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