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L'Abbé Pierre, une vie entière au service des hommes

Les Français ont élu l'Abbé Pierre dix-sept fois à la tête des personnalités les plus appréciées entre 1989 et 2003[Capture d'écran Youtube]

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit, à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée…» Tout le monde se souvient de ces mots prononcés en 1954. Lors de ce rude hiver, un jeune prêtre, nommé Henri Grouès, lançait sur les antennes de Radio-Luxembourg (RTL) son appel qui allait rester célèbre. Plus d’un demi-siècle plus tard, le combat contre l’exclusion de celui qui est devenu l’abbé Pierre est toujours d’actualité.

 

(ARCHIVES)

 

Chaque centre Emmaüs de France accueille aujourd’hui ses visiteurs avec le visage de l’abbé Pierre, dont la photo est systématiquement affichée dans le hall d’entrée. Quand on y pénètre, on ressent une émotion à voir les chiffonniers, aux visages souvent marqués par la vie, guider les visiteurs, négocier une breloque ou lustrer un bibelot, sous les yeux de l’abbé Pierre.

Sans doute parce qu’en contemplant ses traits, ce n’est pas le père adoptif de tous ces hommes et de toutes ces femmes burinés par les épreuves que l’on voit, mais bel et bien leur frère. C’est ce lien, fraternel, qui unissait l’abbé Pierre à tous ces malheureux depuis 1949, année de la fondation des chiffonniers d’Emmaüs, et surtout depuis un certain hiver 1954 au cours duquel, sur l’antenne de Radio Luxembourg, il avait lancé son fameux appel à la solidarité nationale en faveur de tous les sans-abri et de tous ceux qui habitaient les bidonvilles les plus sordides des périphéries urbaines.

Cette fraternité, cette compassion, l’abbé Pierre les puisait dans sa foi, nourrie depuis sa plus tendre enfance et exaltée par son ordination sacerdotale en 1938. Le nom même de l’association témoigne de cet enracinement : Emmaüs est le nom d’une bourgade palestinienne où le Christ ressuscité apparaît pour la première fois à ses apôtres effondrés par sa mort qu’ils croyaient définitive. Symbole d’espérance à nul autre pareil pour les chrétiens. Cette espérance qui n’avait jamais cessé d’animer l’abbé Pierre.

Les médias aimaient à faire de l’abbé Pierre un personnage dérangeant, en portant sous leurs projecteurs ses moindres doutes sur sa foi ou sur l’Eglise. Il était pourtant un homme de fidélité. Fidélité à ses amis chiffonniers, mais surtout fidélité à son Dieu dont la parole l’avait directement touché : «Ce que vous faites au plus petit d’entre vous, c’est à moi que vous le faites» (Mat. 25, 40).

Le respect de cette sentence vieille de deux millénaires a fait de l’abbé Pierre la véritable matrice des actions humanitaires les plus contemporaines : des Restos du Cœur aux Enfants de Don Quichotte. Comme le rappelait Mgr Lustiger au moment de son décès, il s’inscrivait aussi dans la lignée des grandes figures charitables de l’Eglise au premier rang desquelles figure saint Vincent de Paul.

 

Vidéo : L’Abbé Pierre, la voix des sans-voix

 

 

Une vocation

L’abbé Pierre est né le 5 août 1912 à Lyon, cinquième enfant d’une fratrie de huit. Son père, issu d’une famille aisée était administrateur de sociétés textiles.

Catholique pratiquant, il se rendait tous les dimanches au chevet des clochards et leur servait des repas. C’est en accompagnant son père qu’Henri Grouès – futur abbé Pierre – découvre la misère à 11 ans. Quatre ans plus tard, au cours d’un congrès de jeunes chrétiens à Assise en Italie, il ressent ce qu’il a décrit comme «l’émotion indescriptible» de la révélation.

Il décide de devenir moine, mais devra attendre l’âge de 17 ans et demi. «On me disait beau gosse, peut-être même un peu mondain, pourtant, le lendemain j’étais moine», confia-t-il. Sa fascination pour la vie de François d’Assise le conduira à entrer chez les Capucins, où il prendra le nom de «frère Philippe». Il est ordonné prêtre en 1938. En avril 1939, il devient vicaire à Grenoble.

La Seconde Guerre mondiale marque un tournant important de son engagement. Il est mobilisé en 1939. Après la défaite, il s’engage dans la résistance dont il devient une haute figure. Il contribue à la création des maquis du Vercors et de la Chartreuse. Il protège les réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) et aurait aidé plusieurs juifs à traverser la frontière vers la Suisse. En 1944, il rejoint Charles de Gaulle à Alger. Le nom d’abbé Pierre lui vient de cette époque de clandestinité.

 

Vidéo : Discours de l’Abbé Pierre à la Sorbonne

 

 

Les premiers pas d’Emmaüs

Après la guerre, il devient député de Meurthe-et-Moselle, et commence à s’impliquer pour les pauvres. En 1949, l’abbé Pierre restaure une maison délabrée à Neuilly-Plaisance. C’est la naissance du mouvement Emmaüs et de sa première communauté. Son but est «d’agir pour que chaque homme, chaque société, chaque nation puisse vivre, s’affirmer et s’accomplir dans l’échange et le partage, ainsi que dans une égale dignité». L’association Emmaüs est créée en 1953 pour organiser et développer ce mouvement.

La vente d’objets de récupération doit permettre de financer la construction de logements pour les déshérités. Pour attirer l’attention, il n’hésite pas à faire des plongeons spectaculaires, ou encore à passer à l’émission Quitte ou double, où il gagnera 254 000 francs.

 

L’appel du 1er février 1954

Après les ravages de la Seconde Guerre mondiale, les rigueurs de l’hiver 1954 sont redoutables et font plusieurs victimes, dont un enfant. Dans ce contexte de pénurie de logements, l’abbé Pierre lance son célèbre appel «Mes amis, au secours» à la radio le 1er février 1954 qui le met sur le devant de la scène. Cet hiver-là, des records de froid sont atteints, et la situation est catastrophique pour des milliers de mal logés.

Le lendemain, la presse titre sur «l’insurrection de la bonté». Un immense mouvement de solidarité naît. Les dons affluent par milliers : plus de 500 millions de francs seront collectés.

Son initiative continue encore aujourd’hui à inspirer. Emmaüs, mouvement laïque, compte aujourd’hui 115 communautés en France, plus de 400 groupes dans une quarantaine de pays, des milliers de logements sociaux et des dizaines de structures d’accueil.

 

Vidéo : Appel du 4 février 1954

 

 

Une figure populaire

La très grande popularité de l’abbé Pierre ne s’est jamais démentie. L’image du prêtre barbu en soutane incarné à l’écran par Lambert Wilson en 1989 dans Hiver 54 lui forge un statut de «héros légendaire».

Malgré l’âge et la fatigue, son engagement le conduira le 25 janvier 2006 à s’adresser aux députés pour leur demander de ne pas modifier la loi qui oblige les communes à construire 20 % de logement HLM.

Les Français l’ont élu dix-sept fois à la tête des personnalités les plus appréciées entre 1989 et 2003. En 2004, il a demandé à être retiré de la liste des nominés pour laisser la place à «des plus jeunes». Il considérait cet honneur «à la fois (comme) une arme et une croix», à l’image de ce qu’a été l’engagement de toute sa vie.

 

L’Abbé Pierre par Philippe Labro          

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