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Sœur Emmanuelle, le visage de la charité

Soeur Emmanuelle était une icône de la lutte contre l'exclusion[Capture d'écran Youtube]

Madeleine Cinquin, de son vrai nom, est née le 16 novembre 1908 à Bruxelles. Surnommée «l’ambassadrice des exclus», sœur Emmanuelle a consacré sa vie aux pauvres et à Dieu. Symbole d’engagement et de solidarité, Sœur Emmanuelle s’était rendue célèbre par son action chez les chiffonniers du Caire ainsi que par sa personnalité atypique qui avaient fait d’elle une des personnalités les plus aimées et respectées aux yeux des Français.

 

(ARCHIVES)

 

Des quartiers paisibles de Bruxelles aux bidonvilles surpeuplés du Caire, la vie de sœur  Emmanuelle, disparue à quelques jours de son 100e anniversaire, ressemble à une épopée romanesque. Devenue au fil des années une icône de la lutte contre l’exclusion et de l’engagement en faveur des plus pauvres, à l’instar de son «maître à penser» l’abbé Pierre, cette militante patentée au caractère bien trempé n’a eu de cesse de mettre en pratique ses convictions.

Sa silhouette et son visage étaient dans toutes les mémoires. C’était une petite femme énergique, vêtue de la tenue sobre des religieuses de Notre-Dame de Sion, un discret voile bleu noué sur les cheveux. Son regard était rayonnant, sa voix joyeuse et son énergie intarissable.

 

Une conversion inattendue

Née en Belgique en 1908, elle avait passé sa jeunesse dans un milieu aisé, caressant les rêves et les projets des jeunes filles de son âge, même les plus frivoles, comme elle le racontait non sans amusement. «Dans ma jeunesse, je ne pensais qu’à m’amuser, danser, voir des films, aller au théâtre. C’était le monde des années 1920, qu’on a nommé les Années folles», s’amusait-elle à raconter.

Après cette jeunesse passée au sein d’une famille aisée entre Londres, Paris et Bruxelles, elle décide à 23 ans de renoncer aux commodités que lui offre son statut d’héritière d’une usine de dentelle à Calais. En dépit des réticences de sa famille, elle se sent appelée à la vie religieuse et décide d’entrer dans les ordres. «Si tu veux vivre, tu dois aimer», dira-t-elle plus tard, inspirée par saint Augustin. C’est ainsi que le 10 mai 1931, Sœur Emmanuelle, de son vrai nom Madeleine Cinquin, prononce ses vœux de religieuse à la congrégation de Notre- Dame de Sion.

Mais le cloître ne correspond guère à son tempérament impétueux et elle décide de s’engager dans une congrégation séculière. Diplômée de sciences philosophiques et religieuses, elle décide dès les années 1930 de s’expatrier pour enseigner les lettres dans les missions des pays de la Méditerranée. Elle part ainsi enseigner en Turquie, en Tunisie et enfin à Alexandrie, en Egypte.

Elle entre en contact avec d’autres cultures, ce qui la fera se poser des questions sur sa foi. Des doutes dont elle fait part dans un livre d’entretiens, J’ai cent ans et je voudrais vous dire (éd. Plon) : «J’avais consacré ma vie au Christ (…) Mais si je m’étais trompée ? Patatras. J’aurais bâti ma vie sur une illusion», se remémore-t-elle.

Si son destin ressemble à celui de nombreuses religieuses de sa génération, il prend un tour particulier sur les rives du Nil.

 

Vidéo : Portrait de Sœur Emmanuelle

 

 

Avec les chiffonniers

Arrivée au Caire en 1965, elle s’attache rapidement à l’Egypte. En 1971, alors que l’âge de la retraite a sonné, elle décide de s’installer auprès des chiffonniers du Caire, dans une cabane du bidonville d’Ezbet el-Nakhl. Alors que ses supérieures l’invitent à rentrer en France pour prendre sa retraite après quarante années d’enseignement, elle leur «demande une grande faveur : de pouvoir rester ici et de partager la vie avec les plus pauvres».

Dans des conditions très précaires, pendant 20 ans, elle n’aura de cesse de répondre aux besoins les plus immédiats des déshérités – nutrition et santé – tout en veillant à leur apprendre à lire et à compter, conditions essentielles pour sortir de la misère. «Ce qui m’a étonnée, ce fut de me retrouver ainsi, la soixantaine passée, dans un monde que j’avais ignoré, dont je ne parlais pas très bien la langue, plongée dans cette misère matérielle, et d’éprouver malgré tout un sentiment de joie comme je n’en avais jamais connu. J’avais atteint mon but», raconte-t-elle. Une période au cours de laquelle elle avoue n’avoir «jamais autant rigolé».

Grâce à sa volonté inépuisable et les énergies qu’elle fait naître sur place, son œuvre comme son aura prennent de l’ampleur et lui permettent de construire dispensaires, écoles et jardins d’enfants tout en œuvrant pour le dialogue entre juifs et musulmans. Consciente de l’atout que constitue sa popularité, elle n’hésite pas à en faire usage pour drainer des moyens vers son association.

 

Vidéo : Sœur Emmanuelle rencontre Jamel Debbouze

 

 

Sur les plateaux télévisés ou dans les colloques internationaux, elle se permet d’interpeller les grands de ce monde, les tutoyant avec affection, et les enjoignant à s’engager fermement dans le combat contre la pauvreté. Et si elle acceptait de bon cœur les invitations, elle conservait cependant beaucoup de lucidité, et surtout de modestie.

«Pour servir les autres, j’ai brassé des millions, parcouru la planète, rencontré ceux qu’on appelle les plus grands (…). Cela m’a donné un sentiment grisant. Pourtant aujourd’hui, j’en mesure les limites», écrit-elle. Femme de terrain, engagée dans un combat au corps à corps contre la misère, elle a tout au long de sa vie puisé son engagement dans sa foi.

«J’étais un fleuve en ébullition. Un homme ne m’aurait pas suffi. Je voulais quelque chose de plus grand, de plus exaltant. J’ai choisi Dieu», déclara-t-elle. La figure du Christ était centrale dans sa vie quotidienne, rythmée pendant 80 ans par la prière et les sacrements. Comme Mère Teresa, l’Abbé Pierre et les innombrables acteurs anonymes de la charité au quotidien, croyants ou non, elle a contribué à rappeler l’éminente dignité de l’humanité.

 

Vidéo : Sœur Emmanuelle avec l’Abbé Pierre dans l’émission de Michel Drucker Vivement Dimanche

 

 

L’adieu aux chiffonniers

Obligée en 1993 de tourner à contre cœur la page égyptienne, elle effectue son retour en France où, malgré ses 85 ans, elle continue de donner libre cours à sa fibre activiste. Figure médiatique, elle est une habituée des plateaux de télévision sur lesquels elle prend fait et cause, notamment pour les sans-abri et les sans-papiers.

Elle y fustige également les maux d’une société qu’elle juge trop matérialiste. «Lorsque je suis rentrée d’Egypte en 1993 après plus de soixante ans passés en Turquie puis en Afrique, j’ai été frappée par la tête des gens dans le métro : ils faisaient tous des mines d’enterrement, remarque-t-elle. Quel contraste avec les bidonvilles du Caire où les chiffonniers sont contents et légers alors qu’ils vivent dans les ordures ! Voilà des hommes, des femmes, qui n’ont rien mais qui vivent dans la richesse de la relation à l’autre, dans l’amour.»

En 2002, Sœur Emmanuelle avait été nommée commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur. Son décès, survenu le 20 octobre 2008, à moins d'un mois de son centième anniversaire avait provoqué une vive émotion. L’amour était pour Sœur Emmanuelle, le seul qui «donnait un sens à la vie». L’amour, qu’elle concède avoir éprouvé pour un homme en Tunisie, mais qu’elle a finalement réservé à «l’Absolu».

 

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