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70 ans de l'appel de l'abbé Pierre : de l'hiver 1954 à la loi Dalo en 2007, le combat d'une vie

Lorsqu'il était député, l'abbé Pierre reversait déjà ses indemnités parlementaires aux sans-abri. [Mychele DANIAU / AFP]

Ce jeudi 1er février marque le 70e anniversaire de l'appel de l'abbé Pierre en faveur des sans-logis, diffusé par Radio Luxembourg en 1954. Historique, ce discours a marqué un tournant dans sa vie et son engagement.

«Mes amis, au secours. Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3h, sur le trottoir du boulevard Sébastopol». Il y a soixante-dix ans, le 1er février 1954, ces mots résonnaient sur les ondes de Radio Luxembourg, au coeur d'un hiver terrible. Prononcés par l'abbé Pierre, ils sont devenus le symbole de son engagement en faveur des sans-logis, un combat qu'il a mené tout au long de sa vie.

Avant de faire du mal-logement son principal cheval de bataille, Henri Grouès de son vrai nom a été un résistant. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a notamment aidé des personnes de confession juive à fuir vers la Suisse et a participé à la mise en place des maquis du Vercors et de la Chartreuse, en Auvergne-Rhône-Alpes.

Devenu député à l'issue du conflit, il s'est immédiatement battu pour le droit au logement, inscrit en 1946 dans le préambule de la Constitution. Elu atypique, il ne cachait pas son «absence de sens politique» et voulait diriger tous les efforts vers la lutte contre la «misère extrême». A l'époque, il reversait déjà ses indemnités parlementaires aux sans-abri.

La communauté Emmaüs, dont il est le fondateur, a germé avant même le 1er février 1954. D'après le livret publié par Emmaüs France à l'occasion du 70e anniversaire de l'appel sur Radio Luxembourg, l'abbé Pierre a donné vie à la première communauté en 1949. Il était aidé par sa secrétaire particulière, Lucie Coutaz, et par le tout premier compagnon, Georges Legay.

Ensemble, ils ont construit plusieurs «cités d'urgence» dans l'est de la banlieue parisienne. Composés d'une «centaine de petites maisons sommaires et économiques» ces quartiers avaient été bâtis par les «compagnons d'Emmaüs», des «personnes marginales issues de la grande exclusion».

Au mois de décembre 1953, quelques mois avant le célèbre discours radiodiffusé, l'abbé Pierre avait tenté d'influer sur la politique du logement social en France, appelant le gouvernement à étendre ces cités d'urgence à tout le pays. Mais, à ce moment-là, ses efforts n'ont pas été «suivis d'effets à la hauteur de l'urgence», selon Emmaüs France.

L'appel du 1er février 1954 a agi comme un électrochoc alors que la France, traversée par une crise du logement, était dans le même temps frappée par une vague de froid extrême. Pendant qu'il s'appliquait à mettre en place des accueils de nuit et des maraudes pour venir en aide aux sans-logis, l'abbé Pierre a appris la mort d'une femme.

Faute de place, elle n'avait pu être hébergée la nuit précédente et avait été «retrouvée agonisante sur le boulevard Sébastopol». Sur elle, «on n’avait trouvé que le papier par lequel on l’avait expulsée de chez elle deux jours plus tôt». Il s'agit de la femme qui «vient de mourir gelée» dont parle l'abbé Pierre au début du discours diffusé sur Radio Luxembourg, écrit à quatre mains avec le journaliste George Verpraet.

«Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !», alertaient les deux hommes, avant de faire appel à la générosité des Français. «Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela [...] Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques.»

Cet appel aux dons a rencontré un succès historique et s'est transformé en «une immense mobilisation de plusieurs semaines», que l'abbé Pierre a nommé «l'insurrection de la bonté». Des tonnes d'objets ont été collectés et des «sommes d'argent considérables» ont été récoltées, «correspondant à des millions d'euros aujourd'hui».

Un impact durable sur la législation française

Une quarantaine des «centres fraternels de dépannage» évoqués par l'abbé Pierre dans son discours du 1er février ont été ouverts à Paris et dans sa banlieue. D'autres ont vu le jour ailleurs en France «dans un partenariat inédit entre l’initiative privée et les services de l’État», selon Emmaüs France.

Dans cet élan, le gouvernement a lancé dès le 4 février 1954 un «plan d'urgence» de 12.000 logements «de première nécessité», débloquant une enveloppe «dix fois» plus élevée que ce que l'abbé Pierre avait demandé deux mois plus tôt, en décembre 1953.

L'appel du 1er février 1954 a eu un impact durable sur la législation française. Une loi permettant d'«élargir les possibilités de saisie de locaux inoccupés pour les sans-abri» a ainsi été promulguée le 15 juillet 1954 tandis qu'une autre, datant du 14 août suivant, instaurait  la défiscalisation des dons aux associations d'intérêt général. Introduite par une loi de 1956, la trêve hivernale des expulsions locatives est elle aussi directement issue de cet appel.

Par la suite, dans les années 1960, des communautés Emmaüs ont été installées partout en France et même ailleurs, dans une quarantaine de pays, donnant naissance à la fondation Emmaüs International, en 1971. L'année 1985 marque la création de l'entité Emmaüs France, qui fédère aujourd'hui «les 299 groupes présents sur le territoire métropolitain et en outre-mer». La Fondation abbé Pierre, elle, a vu le jour en 1987 et publie chaque année, depuis 1995, un rapport sur l'état du mal-logement en France.

Une nouvelle victoire a été obtenue en 2007 avec la création d'un droit opposable au logement dans la législation française. La loi Dalo garantit l'accès à un logement décent et indépendant à toute personne résidant en France de façon stable et régulière et qui ne peut accéder ou se maintenir dans une telle habitation par ses propres moyens. L'Etat est désigné garant de ce droit, avec obligation de résultats.

L'année 2007 est aussi celle de la mort de l'abbé Pierre, le 22 janvier. Agé de 94 ans, il était admis à l'hôpital parisien du Val-de-Grâce depuis une semaine au moment de son décès, pour une infection pulmonaire. Le réseau Emmaüs et la Fondation à son nom ont continué leurs actions après lui, en faveur des sans-abri mais aussi, plus largement, pour dénoncer toutes les formes d'exclusion et de précarité, y compris migratoire et écologique.

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