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Meryl Streep, la perfectionniste

Meryl Streep en 1990[CC/ALan Light]

Outre son talent de comédienne, c’est par le caractère quasi irréprochable de sa filmographie que se distingue Meryl Streep. Egérie des années 1990, elle a dépossédé Katharine Hepburn de son record, avec dix-sept nominations aux oscars. Rendue célèbre par ses compositions de femmes à la fois fortes et fragiles, elle s’est surtout illustrée dans un répertoire dramatique.

 

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Considérée par beaucoup comme étant « la plus grande actrice de tout Hollywood », Meryl Streep n’a pas connu, ou presque, des débuts difficiles. A peine a-t-elle eue le temps de désirer le succès. Au collège déjà, elle décroche le rôle-titre du spectacle de fin d’année, et ce, dès sa première audition. Un aspect qui doit autant à la pertinence de ses choix qu’à son caractère exigeant, ainsi qu’à quelques coups de pouce du destin. La façon dont elle décrit l’origine de sa vocation en est le meilleur exemple. Si elle se passionne pour la comédie dès le collège, où elle découvre le théâtre, elle n’envisage pas immédiatement de s’y consacrer. Elle remplit donc un bulletin d’inscription pour un cursus de droit. Mais le jour de l’entretien, elle ne se réveille pas à l’heure et manque le rendez-vous. Meryl Streep y voit le signe que la carrière juridique n’est pas faite pour elle.

Après avoir caressé le rêve d’une carrière de cantatrice. (depuis l’âge de 12 ans, elle est férue d’opéra) et effectuées à New York auprès d’Estelle Liebling des études musicales, elle découvre le théâtre et réoriente sa formation, pour finalement intégrer la Yale Drama School. Elle en sort en 1975 avec un Master of fine arts en poche, et une quarantaine de pièces à son actif. Le théâtre lui apporte ses premières récompenses, dès 1976. A Yale, elle éclipse les Sigourney Weaver et autres Wendy Wasserstein pour devenir la star de l’école dramatique. Fraîchement débarquée à New York à l’issue de ses études, elle récidive en obtenant quasi immédiatement le personnage de l’ingénue de Trelawny of the Wells au Lincoln Center. Sa carrière de comédienne débute sur les planches en 1971, avant qu’elle fasse ses premiers pas au cinéma six ans plus tard.

 

Vidéo : Meryl Streep dans Holocaust

 

 

En 1978 – deux ans après l’université –, elle fait sa première apparition au cinéma dans Julia, aux côtés de Jane Fonda et Vanessa Redgrave, et rafle dans la foulée un Emmy award pour son rôle dans la série télé Holocaust. Elle accepte ensuite un second rôle pour rester aux côtés de son compagnon de l’époque, l’acteur John Cazale, qui est en train de mourir d’un cancer des os. Aussi tragique que soit ce coup du sort, il s’avère déterminant. Le film n’est autre que Voyage au bout de l’enfer, de Michael Cimino, dans lequel elle partage l’affiche avec Robert De Niro et Christopher Walken. La prestation qu’y livre Meryl Streep lui vaut sa première nomination aux oscars, dans la catégorie meilleur second rôle. Elle joue dans Manhattan (1979) la deuxième épouse de Woody Allen.

Lors de la cérémonie suivante, en 1980, elle fait a nouveau partie de la liste des actrices sélectionnées pour le meilleur second rôle féminin. Mais cette fois-ci, elle repart avec la précieuse statuette, récompensée pour sa composition de mère divorcée affrontant son ex-mari pour obtenir la garde de leur enfant dans Kramer contre Kramer. Le soir de la cérémonie, elle l’oublie sur le sommet des toilettes. Peu importe, elle a vite fait de compléter sa collection avec Le choix de Sophie (1983), d’Alan Pakula, qui lui vaut un oscar. Après trois longs métrages, la comédienne a déjà été nommée à deux reprises, et primée une fois. Une réussite insolente dont peu peuvent se prévaloir.

 

Vidéo : Meryl Streep dans Kramer contre Kramer (1980)

 

 

Sa trajectoire météorique fait d’elle l’actrice incontournable des années 1980. Pas un projet d’envergure ne se monte sans qu’il ne lui ait été proposé. Mais, comédienne exigeante et cultivée, elle se montre très sélective et alterne films grand public et cinéma d’auteur. Après son oscar, elle tourne trois films en deux ans. Si l’on excepte La mort aux enchères, qui n’a pas laissé un souvenir impérissable et pour lequel elle retrouvait le réalisateur de Kramer contre Kramer, Robert Benton, ses choix se révèlent une nouvelle fois judicieux. La maîtresse du lieutenant français et Le choix de Sophie constituent en effet deux des sommets de la filmographie de Meryl Streep. Ce dernier lui vaut d’ailleurs un second prix d’interprétation aux oscars, mais cette fois en tant que meilleur rôle principal.

Sa carrière est définitivement sur orbite, et les plus grands veulent travailler avec elle. En 1984, elle donne la réplique à Robert De Niro dans Falling in Love. Puis elle a pour partenaire Robert Redford, dans ce qui reste comme l’un de ses plus grands films, Out of Africa. Et en 1986, elle partage l’écran avec Jack Nicholson dans La brûlure, sous la direction de Mike Nichols, avec lequel elle a collaboré pour Le mystère Silkwood (1983) et qu’elle retrouvera en 1990 pour Bons baisers d’Hollywood.

 

Vidéo : Meryl Streep dans Out of Africa

 

 

Creux de la vague

Après ces débuts tonitruants, la carrière de Meryl Streep ralentit quelque peu dans la deuxième moitié des années 1980. Après Out of Africa, elle peine à retrouver des rôles à la mesure de son talent. Elle reçoit tout de même le prix d’interprétation du festival de Cannes en 1989 pour Un cri dans la nuit, mais en comparaison de la fréquence à laquelle elle avait pris l’habitude de tourner des chefs-d’œuvre, on peut dire qu’elle traverse une période de vaches maigres. Elle s’essaie à l’humour noir dans la comédie La mort vous va si bien de Robert Zemeckis (1992), et au film d’action dans La rivière sauvage, de Curtis Hanson.

Mais la roue tourne à nouveau en 1995. Dix ans après sa dernière véritable réussite, elle renoue avec le succès, tant public que critique. C’est à nouveau pour un mélodrame, Sur la route de Madison, avec Clint Eastwood, qui en signe aussi la réalisation. Le bon accueil que reçoit le film permet à Meryl Streep de retrouver le haut de l’affiche. Néanmoins, il marque également une rupture dans sa filmographie.

 

Vidéo : Bande-annonce de Sur la route de Madison

 

 

La comédienne décide effectivement de ne plus se concentrer sur les drames sentimentaux mais accepte plus de comédies dramatiques, puis se laisse peu à peu guider vers un registre franchement plus léger. Ainsi lors des dix dernières années, c’est plutôt dans le répertoire comique qu’elle se distingue. Elle tourne dans Adaptation, que met en scène Spike Jonze, remarqué pour avoir signé Dans la peau de John Malkovich, ou encore dans Deux en un, film déjanté des frères Farrelly.

Par la suite, elle renoue définitivement avec le grand public grâce à Petites confidences (à ma psy), puis surtout avec Le diable s’habille en Prada. Dans l’adaptation de ce best-seller de Lauren Weisberger, l’actrice à l’image d’intello se délecte à incarner une rédactrice en chef d’un magazine de mode, imbuvable tyran moderne, autant crainte que respectée. Le film fait un carton et permet à Meryl Streep de se faire connaître d’un public plus jeune. Surtout, il semble lui avoir donné à nouveau l’envie de jouer.

Depuis, elle n’a pas cessé de tourner. On l’a vue en 2006 dans The Last Show, dernier film de Robert Altman au titre prophétique, puisque le metteur en scène est décédé avant sa sortie. Quelques mois plus tard, elle est à l’affiche du long métrage de Robert Redford, Lions et agneaux.

 

Graine de militante

Il aura fallu attendre plus de vingt ans avant de revoir Robert Redford et Meryl Streep réunis à nouveau à l’écran. Leurs amours contrariées sur fond de Kenya colonial avaient été un immense succès commercial. Sorti en 1985, Out of Africa raflait une demi-douzaine d’oscars et marquait les mémoires avec la scène quasi anthologique de Robert Redford shampouinant Meryl Streep en pleine savane. «J’aurais souhaité qu’il recommence», confessera-t-elle des années plus tard.

 

Vidéo : Scène du shampoing dans Out of Africa

 

 

Mais il n’y a pas que les bons souvenirs qui rapprochent ces deux-là. Ils appartiennent aussi au club très en vue des stars «vertes», où l’on fraie avec Al Gore et le prince Charles. Meryl Streep a la fibre écologiste. Une croisée de l’environnement qui a planté son tipi dans un Connecticut proche de la nature et loin des paillettes de Hollywood. A l’instar de Robert Redford, l’actrice est intarissable sur le développement durable. Elle partage aussi avec lui une vision progressiste et démocratique de l’Amérique. «Ce pays est rongé par la crainte; depuis Richard Nixon aucun président n’a ainsi divisé le pays», déclare-t-elle dans L’Express. C’est que Streep a l’âme d’une militante: «A titre personnel, je vais bien, mais comment peut-on être content du monde dans lequel nous vivons ?». Alors, quand elle ne descend pas dans la rue pour manifester contre la guerre en Irak, elle milite à l’écran. Avant Lions et agneaux, Streep dénonçait déjà dans Un crime dans la tête les dérives du pouvoir sur fond d’affrontement américano-irakien. Elle reste fidèle à ses convictions : «Je continuerai à manifester et à m’exprimer.»

 

Vidéo : Bande-annonce de Lions et Agneaux

 

 

Perfectionniste

Pour Le choix de Sophie, elle suit des cours intensifs d’allemand et de polonais. Meryl Streep fait dans le perfectionnisme. Et ça paie. Une femme caméléon qui se fond dans tous les personnages et adopte tous les accents. Alors qu’Isabella Rossellini – capiteuse beauté made in Italy – est pressentie, c’est elle qui obtiendra le rôle de la mère au foyer d’origine italienne dans La route de Madison (Clint Eastwood, 1995). Même détermination pour La musique de mon cœur (Wes Craven, 1999). Elle prend des cours de violon à raison de cinq heures par jour pendant quatre mois et apprend un concerto de Bach. Indispensable selon elle pour rentrer dans la peau d’un professeur de musique résolu à convertir les gosses de Harlem.

 

Vidéo : Le Choix de Sophie (1983)

 

 

C’est bien là tout son talent : elle n’interprète pas un rôle, elle habite une personne. «Nous portons chaque chose et chaque être en nous», déclare-t-elle à un journaliste américain, avant de lui rappeler que son ADN (celui du journaliste), comme le sien, remonte à Charlemagne. «Je pourrais probablement ressentir ce que c’est d’être vous si je vous étudiais.» Patrimoine génétique commun ou faculté d’absorption psychologique hors pair ? Streep se glisse dans tous les registres. Si sa distinction presque sévère et son teint diaphane lui ouvrent des rôles plutôt dramatiques, elle refuse de se laisser enfermer dans les diktats du marketing hollywoodien. Son souci de la diversité l’a conduite à choisir quelques projets plus enjoués. Ses détours par la comédie, Le diable s’habille en Prada (2006), Julie & Julia (2009) ou Petites confidences à ma psy (2005), lui réussissent tout aussi bien.   

 

Vidéo : Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada

 

 

Dans Julie & Julia (2009), une comédie signée Nora Ephron, Meryl Streep incarne la célèbre cuisinière américaine Julia Child, qui a démocratisé la gastronomie française outre-Atlantique. « Dans les années 1960, à la télévision, elle a attiré l’attention du public américain sur la cuisine française. Dans son émission The French Chef, elle a rendu sa préparation accessible à tous. Elle a aussi publié Masterring the Art of French Cooking, qui a eu une grande influence sur la cuisine américaine. Julia Child a été l’une des plus grandes ambassadrices de la France depuis La Fayette ! »

En 2008, elle réalise son rêve de petit fille en tournant dans Mamma Mia ! Petite, elle voulait devenir cantatrice. Elle a d’ailleurs gardé de cette période une admiration profonde pour la Callas. Ce goût pour le chant, c’est sans doute la principale raison qui a poussé Meryl Streep à accepter le rôle de Donna dans Mamma Mia ! (2008) comme elle le reconnaît elle-même : «Depuis l’enfance, mon rêve était de faire une comédie musicale au cinéma.» Mais pour quiconque ignore cette passion de jeunesse, il y a de quoi être surpris en découvrant dans cette romance pétillante et légère celle qui incarna La maîtresse du lieutenant français, ou encore une mère confrontée au plus cruel des dilemmes dans Le choix de Sophie.

 

Vidéo : Meryl Streep chante « Dancing Queen » d’Abba dans la comédie musicale Mamma Mia !

 

 

Dans le cas de cette comédie musicale, elle confie avoir accepté le script pour ses filles. Il est vrai que cette bluette, transposition à l’écran d’un spectacle qui a conquis les foules dans plus de 170 villes à travers le monde, pourrait séduire en priorité le public féminin. La scénariste Catherine Johnson a ficelé autour des plus grands tubes du répertoire d’ABBA une intrigue sentimentale aussi souriante et acidulée que la musique des Suédois à pattes d’éph’ et chemises à jabot en strass. Mais à voir la joie communicative de Meryl Streep, la cinquantaine presque révolue, sautant sur son lit comme une adolescente ou entonnant avec Pierce Brosnan un SOS d’ores et déjà promis à la postérité, on se dit que la perspective de prendre du plaisir sur le tournage n’a pas été étrangère à sa décision de participer à l’aventure.

 

De chair et de fer

Meryl Streep excelle dans les rôles de femmes de tête. Après s’être illustrée dans le rôle de la baronne Blixen (Out of Africa), puis celui de Miranda Priestly (Le diable s’habille en Prada), la comédienne américaine s’est glissée en 2011 dans la peau de la première femme chef de gouvernement en Occident : la Britannique Margaret Thatcher. «Il fallait une actrice de légende pour incarner la légendaire Margaret Thatcher», souligne la réalisatrice Phyllida Lloyd, qui signe avec La Dame de fer un biopic plutôt intimiste sur ce personnage controversé. Plus qu’un film politique sur celle que Meryl Streep surnomme «une icône de la droite, un démon de la gauche», La Dame de fer retrace le destin d’une femme de pouvoir dans sa complexité, entre intimité et vie publique.

 

Vidéo : Bande-annonce de La Dame de fer

 

 

Sur fond d’histoire collective, celle de la Grande-Bretagne entre 1950 et 1990, la réalisatrice retranscrit avec efficacité l’histoire et la vie de Margaret Thatcher, mêlant images d’archives et introspection, bien aidée par une actrice au firmament dont le jeu pourrait se résumer à cette maxime : une main de fer dans un gant de velours. A l’écran, alors que cette dernière décide de se séparer des habits de son défunt mari, les souvenirs ressurgissent. S’opère alors un aller-retour entre sa vie passée – Oxford, ses premières élections, son mariage, son ascension politique à la tête du parti conservateur, sa place de femme dans ce monde d’hommes – et le présent d’une vieille dame que la postérité fascine.

 

Multi-oscarisée

En vingt-cinq ans de carrière, Meryl Streep cumule dix-sept nominations aux oscars – dont trois récompenses – et vingt nominations aux golden globes. Seule Katharine Hepburn avait réussi à atteindre de tels sommets, mais en un demi-siècle. Certes, tout va plus vite aujourd’hui. A côté de ses globes et de ses oscars, se pressent un césar français, un ours d’argent berlinois, deux David di Donatello (leur pendant italien) et une multitude de récompenses attestant de l’universalité de sa reconnaissance. Excès d’humilité ou fausse pudeur : l’actrice ne se laisse guère impressionner par la cohorte de superlatifs dont la gratifie la critique. Le signe d’un talent qui ne doute pas. « “La plus grande, la meilleure” : cela ne signifie absolument rien pour moi... (...) On dit juste cela parce que je suis dans le circuit depuis longtemps ». Meryl Streep a toujours conservé un pied dans le réel: six mois de tournage, six mois dans le Connecticut avec son mari, le sculpteur Don Gummer, et ses quatre enfants. « Je me sens reliée à la famille, comme ces gens qui se disent reliés à la religion ».

 

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