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Woody Allen , un drôle de rêveur

Woody Allen dans les années soixante-dix[CC/Alan Light]

Cinéaste, auteur de théâtre, clarinettiste : Woody Allen est un personnage complexe, attachant et surtout très drôle. Depuis plus de trente ans, le cinéaste new-yorkais livre un nouveau long-métrage chaque année, toujours très attendu de ce côté-ci de l’Atlantique. Depuis le milieu des années 2000, son cinéma a emprunté une tournure plus mélancolique et il délaisse New York pour tourner en Europe.

 

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« L’avenir est la seule chose qui m’intéresse, car je compte bien y passer mes prochaines années »

Petit, frêle, roux, binoclard: aux yeux des autres enfants de son quartier modeste de Brooklyn, le jeune Allen Stewart Königsberg n’avait pas vraiment l’allure d’un dur. Il n’a pas changé : pour se faire remarquer, pour conquérir les plus jolies femmes (Diane Keaton, Mia Farrow), ou pour ne pas penser à la mort, Woody Allen a une indéniable qualité: son sens de l’humour absurde et burlesque. Car le personnage qu’il s’est façonné dans ses films a le don de transformer n’importe quelle situation simple en confusion des sentiments et du langage.

Son humour, il le tire de son attachement, adolescent, aux facéties de Groucho Marx. Avec sa frénésie d’écriture, le talent de Woody Allen s’exprime rapidement par des chroniques et autres écrits pour divers magazines américains, dont Playboy. Il se produit sur les planches de New York en 1961. Ses «one-liners» sketches incisifs et décalés d’environ une phrase, sont rapidement repérés par les producteurs de la télévision.

 

Vidéo : Woody Allen dans Bananas (1971)

 

 

Premiers pas au cinéma

Après l’écriture du scénario de Quoi de neuf Pussycat en 1965, il multiplie rapidement les collaborations pour le cinéma, jusqu’à son premier long-métrage, qu’il n’a pas vraiment tourné : Lily la tigresse (1966), à l’origine un film d’espionnage japonais, que le New-Yorkais a pris la liberté de remonter et de commenter. Woody Allen a mis un pied dans le cinéma, et ne tardera pas à y poser le second pour ne plus le quitter. Depuis Prends l’oseille et tire-toi (1969), jusqu’à Blue Jasmine (2013), Woody Allen a réalisé quarante trois films.

 

Jamais sérieux sur tout

La formule est connue : « l’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut toujours faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible ». Cette posture résume le cinéaste. Sexe, argent, religion : aucun sujet de société n’échappe à Woody Allen, qui pour autant ne se prend pas au sérieux. Celui qui considère le cerveau comme son second organe préféré traite de la sexualité dans Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander (1972). L’année suivante, il rencontre Diane Keaton, sa première muse, à qui il offre un rôle de premier choix dans le film qui, en 1977, le rendra célèbre: Annie Hall. Film autobiographique (Alvy Singer, comique professionnel dépassant la quarantaine, après deux mariages ratés, rencontre Annie, New-Yorkaise typique), Annie Hall remporte trois oscars (meilleur film, meilleur scénario et meilleur réalisateur) et offre la consécration à Woody Allen. En changeant de registre, il devient un réalisateur reconnu.

 

Vidéo : Première scène d’Annie Hall (1977)

 

 

« L’avantage d’être intelligent c’est que l’on peut faire l’imbécile alors que l’inverse est totalement impossible ». C’est avec des petites phrases comme celle-ci que Woody Allen a construit sa réputation d’intellectuel loufoque. On lui doit ainsi plusieurs recueils de nouvelles et d’humour dont Pour en finir une bonne fois pour toute avec la culture (1973) et Dieu, Shakespeare et moi (1975). Son recueil de nouvelles, intitulé L’erreur est humaine, est un collier sur lequel s’enfilent des perles d’humour et des petites histoires absurdes. En partant de situations banales rencontrées quotidiennement, il plante des personnages risibles ou déments, avec son inimitable humour bienveillant. Entre le riche New-Yorkais qui fait une dépression parce que son rejeton de trois ans n’est pas admis dans une Grande maternelle, Mickey Mouse, qui témoigne au procès de Michael Ovitz (ex-président de Disney), le dentiste qui tue ses patients en leur racontant des histoires sans intérêt et le quinqua qui pratique la lévitation grâce à une nymphette escroc, le cinéaste partage sa douce folie et ses réflexions surréalistes.

 

Un éternel amoureux

«La célébrité m’a apporté un gros avantage : les femmes qui me disent non sont plus belles qu’autrefois ». Diane Keaton, elle, attendra 1979 avant de dire «non». Elle joue dans Manhattan, son chef-d’œuvre. On y découvre un Woody Allen amoureux nostalgique, qui se réfugie dans une idylle avec sa ville, avec qui il entretient une relation plus stable que sa vie sentimentale. Car c’est la «Grosse Pomme» qui constitue sa source principale d’inspiration, un élément important pour celui qui déclare que l’écriture lui permet « d’oublier [qu’il est] mortel ». Mister Woody dévoile alors le docteur Allen, aux scénarios «bergmaniens», graves, intenses et psychanalytiques. Le réalisateur, qui suit une analyse depuis des décennies, déclare d’ailleurs : « Mes films sont une forme de psychanalyse, sauf que c’est moi qui suis payé, ce qui change tout ! »

 

Vidéo : Première scène de Manhattan (1979)

 

 

Nul n’est prophète en son pays

A partir des années 1980, c’est l’Europe qui fournit à Woody Allen la source principale de son inspiration dramatique. On trouve Anton Tchekhov dans Hannah et ses sœurs (1987, oscar du meilleur scénario), Fedor Dostoïevski dans Crimes et délits (1990), Franz Kafka et Fritz Lang dans Ombres et brouillard (1992). Woody Allen aime l’Europe et elle le lui rend bien ; si l’Amérique délaisse peu à peu le cinéaste, il rencontre à Paris, Rome ou Stockholm, un public fidèle. Il s’inspire également du cinéma d’Ingmar Bergman pour Intérieurs (1978), Une autre femme (1988) et Maris et Femmes (1992).

 

«Le sexe apaise les tensions. L’amour les provoque »

Après sa rupture avec Diane Keaton, la nouvelle inspiratrice de Woody Allen, dans les années 1980, s’appelle Mia Farrow. Elle est présente dans tous ses films de 1982 à 1992, nouvelle année de rupture, mais cette fois doublée d’un scandale. Woody Allen quitte Mia Farrow pour s’installer avec la fille adoptive de celle-ci, Soon-Yi Previn, âgée de 22 ans. L’événement choque son public américain, déjà réduit à la portion congrue. Sa rupture avec Mia Farrow, et donc avec l’Amérique aussi, ne marque pas pour autant une rupture artistique. Woody Allen poursuit ses réflexions psychanalytiques sur le sexe et les femmes, dans Maudite Aphrodite (1995). L’absence de muse dans les années 1990 se ressent dans la filmographie, différente. Woody Allen s’intéresse un peu plus à lui-même. Sa comédie musicale Tout le monde dit I Love You (1996), un de ses plus gros succès, montre un Woody Allen plus simple. Dans Accords et désaccords, il rend hommage à Django Reinhardt à travers le personnage d’Emmet Ray, incarné par Sean Penn.

 

Vidéo : hommage à Groucho Marx dans Tout le monde dit I Love You (1996)

 

 

« Hollywood ? C’est une usine où l’on fabrique 17 films sur une idée qui ne vaut même pas un court- métrage »

Hollywood ignore Woody Allen et réciproquement. La séparation est prononcée en deux temps. D’abord avec Hollywood Ending, farce sur l’hypocrisie des producteurs et du milieu du cinéma hollywoodiens. Puis, en 2005, après une série de films moins inspirés, Woody Allen choisi Londres pour tourner son Match Point. Dans le landernau cinéphile, l’affaire avait fait grand bruit. L’enfant chéri de New York se serait épris de la capitale britannique. Cette infidélité n’avait rien d’une passade comme le montre à nouveau Scoop (2006), Scarlett Johansson, la nouvelle égérie d’Allen arpente encore les rives de la Tamise, Le Rêve de Cassandre (2007) et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (2010). L’escapade européenne se prolonge en Espagne (Vicky Cristina Barcelona, avec Penelope Cruz), en France (Minuit à Paris) et en Italie (To Rome With Love).

Mais le petit homme n’en est pas une infidélité près. Il avait trahi le jazz et choisi l’opéra pour l’illustration musicale de ces films. Richard Strauss prend la place de Benny Goodman, Piotr Tchaïkovski celle de Duke Ellington. Woody sans New York et sans le jazz, est-ce toujours Woody ? A cette douloureuse question d’identité, la réponse est «oui». Sans ambiguïté, pour notre plus grand bonheur. S’il est une marque de fabrique que Woody Allen n’a en effet jamais reniée, c’est bien celle de l’esprit. Un esprit qui dépasse largement le cadre contingent de sa filmographie et qui touche par certains aspects à l’universel.

 

Vidéo : Bande-annonce de Match Point (2005)

 

 

Comment plaire encore après 40 ans de carrière au rythme d’un film par an ? Le rêve de Cassandre, masculin et sombre, qui met en scène la classe moyenne anglaise, est loin des comédies burlesques d’un auteur qui dépeignait les frasques de la bourgeoisie new-yorkaise, de Annie Hall à Celebrity, en passant par Manhattan. Un contre-pied qui ne devrait pourtant étonner personne. Depuis quarante ans, Woody Allen est passé maitre dans l’art d’alterner films burlesques et films graves. Avec Le rêve de Cassandre, Woody Allen clôt sa «trilogie londonienne», après Scoop et Match Point. La caméra se pose en douceur et avec justesse sur cette famille ordinaire et s’immisce au cœur du drame ressenti parles deux frères. Et au réalisateur génial de nous faire ressentir la fatalité du destin dans une lente glissade vers un univers de tragédie grecque, dont on ne peut sortir indemne. Mention spéciale à Colin Farrell pour une prestation à contre-emploi, déroutante et touchante.

 

Vidéo : Bande-annonce Le Rêve de Cassandre (2007)

 

 

En 2009, Woody Allen retrouve New York dans Whatever Works. Réalisé d’après un scénario écrit dans les années soixante-dix pour le comique Zero Mostel, Whatever Works narre l’improbable relation que vont entretenir Boris Yellnikoff (interprété par Larry David, le co-créateur de la série Seinfeld) et Melodie (Evan Rachel Wood, vue récemment dans The Wrestler aux côtés de Mickey Rourke). Lui est un intello cinquantenaire misanthrope qui a raté le prix Nobel, son mariage et même son suicide. Elle est une jeune et jolie fugueuse naïve qui a fui la campagne pour faire sa vie à New York. Après un an de cohabitation, leur bonheur va être troublé par l’arrivée inopinée des parents de la jeune femme... « Il a une réputation aux Etats-Unis, il est toujours en colère, il insulte, et les gens l’adorent. C’est son style, c’est ce en quoi il est formidablement bon et pour cela que je l’ai choisi », explique Woody Allen à propos du délicieusement cynique Larry David, sorte d’alter ego « méchant » du réalisateur.

 

Vidéo : Bande-annonce de Whatever Works (2009)

 

 

En 2010, il réalise Vous allez rencontrer un bel et sombre où il se moque de la voyance : « il existe des gens si perdus que même la religion ne répond plus à leurs attentes. Et il est vrai que la science ne résout pas tout. Quand on est pris dans le tourbillon de la vie – les rencontres, les mariages, les divorces...–, on ne sait parfois plus très bien comment faire, et certains trouvent midi à leur porte en allant voir ces diseuses de bonne aventure. Historiquement, il y a toujours eu des gens pour aider les autres. Souvent moyennant finances. J’ai eu envie de parler de cela ». Un homme qui refuse de vieillir quitte sa femme Helena après quarante ans de mariage pour une jeunette. Helena s’entiche d’une voyante pour oublier. Sally, sa fille, en pince pour son patron, alors que son mari n’arrive toujours pas à terminer son roman. Les années passent, les castings changent, mais Woody Allen en revient toujours à ses premières amours : la comédie romantique. « Si on retourne en arrière et qu’on observe le cinéma, tout est affaire de relations hommes-femmes. Les problèmes sociaux, politiques, économiques ont leurs réponses et leurs solutions. Mais les problèmes hommes-femmes restent insolubles. Shakespeare écrivait lui-même sur ces questions. Il le faisait beaucoup mieux que moi, d’ailleurs ! » s’amuse le réalisateur d’Annie Hall.

En 2011, Woody Allen renoue avec le succès avec Minuit à Paris, présenté en ouverture du festival de Cannes. Il obtient l’oscar du meilleur scénario et réalisé son meilleur score au box office américain. Le film est pour lui un retour à sa jeunesse et à la culture des années folles qu’il apprécie tout particulièrement. Mené par Owen Wilson, Marion Cotillard, Léa Seydoux et Rachel McAdams, Minuit à Paris permet à Woody Allen de réaliser enfin un film à Paris. Tous les soirs à minuit, Gil (Owen Wilson) retrouve le Paris des années 1920. Déboussolé mais ravi, il fait la connaissance de Zelda et Francis Scott Fitzgerald, d’Hemingway, de Picasso, de Man Ray.

 

Vidéo : Bande-annonce Minuit à Paris (2011)

 

 

Au fil des quarante trois films qu’il a réalisé, par le biais des genres les plus différents (farce, drame, satire, comédie musicale), Allen sait mesurer la futilité de nos occupations les plus quotidiennes à l’aune de nos interrogations les plus élevées. A force de rendre futile l’essentiel, et de porter l’ego aux nues, il en devient parfois crispant. Mais c’est précisément l’ego qui le sauve. Woody Allen n’a pas la prétention – lui qui n’en manque pourtant pas – d’offrir une interprétation pompeuse de notre condition (« J’ai des questions à toutes vos réponses », aime-t-il à dire). Il nous propose simplement son regard. Un septième art sans idéologie, sans message, sans thème, c’est peut-être aussi cela, la patte allenienne.

Cette forme de liberté qui souffle sur son cinéma explique l’amour du public à son égard. Sa maîtrise de l’écriture, son sens de la mise en scène, les acteurs dont il sait si bien s’entourer, sont autant de raisons d’aimer le cinéma de Woody Allen, qui connaît plus de succès en France qu’aux Etats-Unis. Une boucle sans fin, ni pour les spectateurs, toujours fidèles (en moyenne, 600 000 personnes en France), ni pour Woody Allen. A une différence près : si les premiers sont en attente du prochain chef-d’œuvre, le réalisateur lui ne cherche qu’une chose : « Je ne veux pas atteindre l’immortalité grâce à mon œuvre. Je veux atteindre l’immortalité en ne mourant pas ».

Lorsqu’on lui demande, après quarante ans, comme il réussit à encore à se renouveler chaque année, il répond : « Quand j’étais jeune, je m’évadais avec le cinéma : j’admirais Cary Grant, Fred Astaire... Aujourd’hui, c’est en étant derrière la caméra, de l’autre côté de l’écran, que je m’évade. Mes amis vont au bureau tandis que moi, je passe mes journées aux côtés de Scarlett Johansson, Javier Bardem, Josh Brolin, Antonio Banderas, de belles actrices, de beaux acteurs, je me préoccupe de musique, de décors, de costumes... Et ce sont là mes problèmes ! C’est ça mon échappatoire. C’est une magnifique distraction ».

 

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