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Aung San Suu Kyi, la prisonnière de Rangoon

Aung San Suu Kyi visite une école en Birmanie[CC/DFID - UK Department for International Development]

Symbole de la résistance pacifique de tout un peuple contre un régime autoritaire, Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, a passé plus de quinze ans de sa vie en détention pour son opposition avant d’être libéré en novembre 2010 et de devenir députée en 2012.

 

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Née en 1945 à Rangoon (Birmanie), la fille du général Aung San, figure de l’indépendance birmane, a lutté de façon pacifique, pendant plus de vingt ans, contre la junte militaire au pouvoir. Assignée à résidence de mai 2003 à novembre 2010, cette adepte des préceptes du Mahatma Gandhi a toujours prôné « le dialogue, dans l’esprit et avec la volonté de se réconcilier ».

 

La résistance pour héritage

Née en 1945 à Rangoon, Aung San Suu Kyi n’a que deux ans lorsque son père, Aung San, héros de l’indépendance birmane, est assassiné. A cette même époque, sa mère, Daw Khin Kyi, commence à s’impliquer dans la vie politique du pays, reprenant ainsi le flambeau de son mari. Ceci la conduit, en 1960, à être nommée ambassadrice à New Delhi (Inde). La jeune Suu Kyi, alors sur les bancs de l’école anglaise catholique de Birmanie, l’y rejoint afin de terminer ses études secondaires. Brillante élève, elle part ensuite pour la Grande-Bretagne où elle entame un cursus de philosophie, d’économie et de sciences politiques au St Hugh’s College d’Oxford, de 1964 à 1967. Elle y fait la connaissance de son futur époux, Michael Aris, spécialisé dans l’étude des civilisations tibétaines. En 1969, elle traverse l’Atlantique et s’installe à New York où elle devient secrétaire- assistante du Comité des questions administratives et budgétaires des Nations unies. De retour à Londres en 1972, elle se marie et donne naissance un an plus tard à son premier enfant, Alexander. En 1977, c’est au tour de Kim, son deuxième fils, de naître.

 

Le retour en Birmanie

Jusque-là, Suu Kyi mène une vie d’universitaire et de mère ordinaire. Son existence bascule un peu par hasard, en 1988. En avril de cette année-là, elle décide d’interrompre une thèse de doctorat à l’École des études africaines et orientales de Londres pour se rendre au chevet de sa mère, en Birmanie. Ce qu’elle ignore à cet instant, c’est qu’elle n’en repartira plus. Lorsqu’elle pose le pied à Rangoon, Ne Win, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1962, vit ses derniers jours à la tête du pouvoir. Excédée par plus de 40 ans d’autoritarisme et de gabegie financière, la population exprime son ras-le-bol et manifeste dans les rues pour réclamer plus de démocratie. Le 23 juillet, le vieux général est contraint de démissionner. Toutefois, l’armée n’est toujours pas prête à partager le pouvoir. Les protestations, qui se sont amplifiées après le départ de l’ex-dictateur, sont sévèrement réprimées.

 

L’entrée en résistance

C’est en cette période de troubles qu’Aung San Suu Kyi fait son entrée en politique. Héritière d’un nom lourd de symbole, elle devient vite l’une des figures de l’opposition à la junte militaire. Début août, elle prend la parole au cours d’un rassemblement dans la capitale birmane. Devant plusieurs milliers de personnes, elle déclare : « La crise actuelle relève de la responsabilité de l’ensemble de la nation. En tant que fille de mon père, je ne peux pas rester indifférente à tout ce qui est en train de se passer. Cette crise nationale pourrait, en fait, être qualifiée de seconde lutte pour l’indépendance ». Un mois plus tard, le State Law and Order Restoration Council (SLORC) est instauré par les successeurs de Ne Win. A présent, les réunions publiques sont interdites, les arrestations rendues plus faciles et les condamnations décidées sans procès.

 

Vidéo : Aung San Suu Kyi reçoit le Prix Nobel de Paix en 1991

 

 

La création de la LND

Quelques jours plus tard, en réaction à ce rétrécissement des droits et des libertés, l’opposition crée la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et en attribue la présidence à Aung San Suu Kyi. Dès lors, celle qui incarne les aspirations à la démocratie de tout un peuple entreprend un voyage à travers le pays afin de promouvoir les réformes soutenues par son parti. La marche qu’elle organise dans la ville de Danubyu (sud du pays), en avril 1989, sonne comme un symbole fort de sa détermination. Alors qu’un officier menace d’ouvrir le feu si elle ne disperse pas la foule, elle refuse d’obtempérer et choisit de continuer. Sa popularité inquiète de plus en plus les généraux au pouvoir. Le 20 juillet 1989, ils ordonnent son arrestation et lui demandent de quitter le pays, ce à quoi la leader de la LND oppose un refus catégorique agrémenté d’un brin d’ironie : « Je suis citoyenne birmane, s’ils veulent m’expulser, ils doivent acheter la Lune ». Finalement, elle se retrouve assignée à résidence. Son téléphone est coupé et elle ne reçoit des visites qu’au compte-gouttes.

 

Les élections de 1990

Persuadée d’être parvenue à étouffer l’opposition, la junte militaire se sent assez forte en 1990 pour organiser des élections générales. Le 27 mai, c’est pourtant une vague LND qui déferle sur l’Assemblée. Le parti d’Aung San Suu Kyi remporte plus de 80 % des suffrages, obtenant ainsi 392 sièges sur 485. La junte refuse de convoquer le Parlement et se conduit comme si le scrutin n’avait jamais eu lieu. Certains députés élus sont internés, d’autres prennent la fuite, d’autres encore, sous la menace, se rallient.

 

La reconnaissance

Bien que recluse dans sa petite propriété collée au bord d’un lac de Rangoon, Aung San Suu Kyi voit sa lutte commencer à trouver un écho en dehors des frontières de la Birmanie. En 1990, elle reçoit le Rafto Human Rights Price. Un an plus tard, c’est la consécration. Le parlement européen lui attribue le prix Sakharov pour la liberté de penser et elle se voit décerner en octobre le prix Nobel de la paix. En plus d’une aura décuplée, Suu Kyi dispose désormais, grâce au Nobel, d’une véritable assurance vie. De son côté, la junte commence à montrer quelques signes d’ouverture.

Le 2 mai 1992, Suu Kyi est autorisée, pour la première fois en deux ans et demi d’assignation à résidence, à recevoir son époux et ses deux enfants. Le 14 février 1994, autre première : elle accueille un membre de la Chambre des représentants américains, Bill Richardson, auquel elle assure que la « seule réponse » au problème birman est « le dialogue » avec, comme but à atteindre, « la réconciliation ».

 

Vidéo : Bande-annonce de The Lady (Luc Besson, 2011) retraçant la vie de Aung San Suu Kyi

 

 

Première libération

En juillet 1995, la junte choisit finalement de mettre fin à la détention surveillée de d’Aung San Suu Kyi. Toutefois, sa liberté de mouvement reste très limitée. Il lui est défendu de sortir de Rangoon. Surtout, les relations entre les militaires et l’opposition demeurent extrêmement tendues. En 1996, à la suite d’un défilé de la LND, auquel participent des milliers de partisans, la junte déclare illégaux les rassemblements du parti. A cette même époque, l’Europe décrète ses premières sanctions à l’égard de la Birmanie. Elle est suivie, un an plus tard, par les Etats-Unis, qui interdisent à leurs ressortissants de réaliser de nouveaux investissements dans le pays.

 

L’ultimatum

En juin 1998, Suu Kyi, dont l’obstination est restée intacte malgré les années d’enfermement, donne deux mois aux généraux pour réunir le Parlement élu en 1990. L’appel reste sans suite. Pire, les militaires déclenchent une nouvelle vague d’arrestations contre les militants de la LND.

 

D’une assignation à l’autre

Suite à une tentative de voyage dans le nord du pays en septembre 2000, Aung San Suu Kyi se retrouve de nouveau assignée à résidence. Elle est libérée deux ans plus tard, le 6 mai 2002, après une négociation secrète entre les Nations unies et le pouvoir birman. Suu Kyi se veut alors optimiste et pense même qu’une « nouvelle ère [s’ouvre] pour le pays ». L’étau paraît se desserrer. Elle peut à nouveau mener campagne en dehors de Rangoon.

Mais, au mois de mai 2003, son cortège essuie l’assaut d’un groupe paramilitaire dans le village de Depayin. Plusieurs partisans de la LND sont tués. Soupçonnée d’être le commanditaire de l’attaque, la junte nie toute implication et prétend qu’il s’agit d’une embuscade tendue par des villageois exaspérés par l’attitude des groupes locaux de la LND.

Suite à cet incident, Aung San Suu Kyi subit sa troisième incarcération. Depuis, son assignation à résidence est sans cesse prorogée. Bien que son état de santé se soit dégradé au fil des années, la «Dame de Rangoon» n’entend cependant pas abandonner son combat. Ses paroles le prouvent : « A chaque respiration, mes enfants et mon mari (mort en 1999 sans qu’elle ait pu le revoir, ndlr) me manquent, mais la conviction que je fais ce qu’il faut est inébranlable ».

Son assignation à résidence qui expire le dimanche 27 mai 2007 est reconduite sans procès d’un an et l’est de nouveau en Mai 2008. Son état de santé est jugé inquiétant à partir de septembre 2008, date à partir de laquelle elle refusait la nourriture qui lui était apportée. La junte multiplie les prétextes afin de prolonger sa détention.

 

Vidéo : La libération d’Aung San Suu Kyi en 2010

 

 

La libération

Le 13 novembre 2010, aux alentours de midi (heure française), les barrières qui entourent la résidence d’Aung San Suu Kyi sont enlevées par la police. Dès le lendemain de sa libération, l’opposante birmane Aung San Suu Kyi a signé à Rangoun son retour sur la scène politique en tenant, au siège de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), son premier discours en sept ans. La prix Nobel de la paix a lancé un appel à l’unité de l’opposition birmane face à la junte militaire au pouvoir. « Je veux travailler avec toutes les forces démocratiques », a-t-elle déclaré, acclamée par des milliers de partisans, tout en assurant n’avoir « aucune rancune à l’égard de ceux qui [l]’ont détenue ».

Sa libération est intervenue à un moment où elle ne représente plus de réel danger pour les militaires au pouvoir. Son parti, la LND, a boycotté les élections législatives du 7 novembre dernier et a été dissous. La junte, elle, revendique une écrasante victoire à ces élections (qualifiées de mascarade par la communauté internationale), privant ainsi Aung San Suu Kyi de toute possibilité de faire entendre sa voix. Si son avocat confirmé que sa libération était inconditionnelle, Aung San Suu Kyi n’est sans doute pas dupe : elle sait qu’elle peut retourner en prison au moindre faux pas, la junte ayant trouvé par le passé divers prétextes pour la priver de liberté. Consciente des attentes mais aussi des contraintes auxquelles elle doit faire face, elle a appelé hier ses partisans à la patience : « Je veux entendre la voix du peuple et, ensuite, nous déciderons de ce que nous voulons faire ».

 

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