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Qu'est ce que le «Bloody Sunday», dont le 50e anniversaire est commémoré en Irlande du Nord ?

A l'occasion des 50 ans du Bloody Sunday, le slogan «Il n'y a pas de justice britannique» («There is no british justice»), a été peint à l'entrée du Bogside.[PAUL FAITH / AFP]

Renommé «les Troubles» au Royaume-Uni, le conflit nord-irlandais a duré 30 ans, de 1968 à 1998. Opposant les catholiques favorables à l'unification de l'Irlande aux protestants loyaux à la couronne britannique, cette guerre a connu plusieurs épisodes de violence. L'un d'entre eux a néanmoins été crucial : le Bloody Sunday («Dimanche sanglant», ndlr), qui s'est produit il y a tout juste 50 ans.

Ce 30 janvier 1972, les parachutistes britanniques ont ouvert le feu sur une manifestation de militants catholiques. Treize personnes ont été tuées ce dimanche là, et une 14e a succombé les jours suivants. Six d'entre elles étaient âgées de 17 ans et toutes ont été abattues par balles, la plupart dans le dos. 16 blessés ont par ailleurs été enregistrés, dont plusieurs gravement atteints.

Sur Twitter, l'actuel Premier ministre britannique, Boris Johnson, a commémoré l'anniversaire d'«un jour tragique dans notre histoire». Le Bloody Sunday «a été l'un des jours les plus sombres des «Troubles». Nous devons tirer les leçons du passé, se réconcilier et construire un futur de paix pour les habitants de l'Irlande du Nord», écrit-il.

A l'époque, cette province était dominée politiquement, économiquement et socialement par les protestants, ce depuis la partition de l'île en 1921. Ce dimanche 30 janvier 1972, la manifestation à l'appel d'associations pour la défense des droits civiques des catholiques avait été interdite par le gouvernement.

Mais les protestataires se sont quand même mobilisés par milliers, investissant les rues du Bogside, le ghetto catholique de Derry (appelé LondonDerry par la communauté protestante). Là même ou, plus de deux ans auparavant, une révolte avait vu le jour contre la discrimination pratiquée par le «gouvernement d'apartheid» protestant. Les émeutes intercommunautaires qui en avaient résulté avaient marqué le début des «Troubles», et le déploiement de l'armée britannique en Irlande du Nord, à partir de 1969.

Un «massacre collectif»

Ce dimanche-là, les manifestants dénonçaient notamment l'internement sans procès de militants de la communauté catholique. Bernadette Devlin, jeune députée catholique au Parlement de Westminster, avait pris la tête du cortège. Ce fut la plus grande manifestation jamais organisée à Derry. Des parachutistes britanniques du premier bataillon avaient été amené en renfort de Belfast, et postés à la lisière du Bogside.

Lorsque le défilé a pris fin, aux alentours de 16h30, les jeunes catholiques ont commencé à se disperser et certains se sont dirigés vers le poste avancé des soldats. La situation a dégénéré : les parachutistes ont reçu l'ordre d'investir le Bogside. Ils ont ouvert le feu, les manifestants ont fui. 13 sont morts ce jour-là.

Pour les habitants du Bogside, il ne faisait alors aucun doute que les soldats avaient tiré sans discrimination sur tout ce qui bougeait. Bernadette Devlin dénonçait «un massacre collectif commis par l'armée britannique» et Ivan Cooper, député au Parlement d'Irlande du Nord, racontait que des parachutistes avaient tiré sur lui alors qu'il agitait un mouchoir blanc, tentant de porter secours à un blessé.

L'armée, elle, assurait que des manifestants armés, identifiés comme les «terroristes» de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), avaient ouvert le feu en premiers. Cette organisation clandestine, opposée à toute présence britannique sur l'île d'Irlande, s'était défendue d'avoir provoqué le «massacre». Le Bloody Sunday a d'ailleurs eu pour effet de précipiter de nombreux jeunes catholiques républicains dans les rangs de l'IRA.

Cette version de l'histoire, incriminant le groupe paramilitaire, a ensuite été reprise dans les conclusions très contestées d'une enquête menée à la hâte en 1972.Des années plus tard, en 2010, un rapport est venu contredire les propos de l'armée. Après 12 ans d'investigations, ce document a établi que les parachutistes britanniques avaient non seulement tiré les premiers mais que les victimes n'étaient ni armées, ni des poseurs de bombes de l'IRA.

Ces révélations avaient conduit le Premier ministre britannique de l'époque, David Cameron, à condamner l'action «injustifiable» de l'armée, tout en présentant ses excuses aux familles des défunts. Aucun soldat n'a néanmoins été jugé pour le Bloody Sunday. Les poursuites pour meurtres engagées contre l'un d'eux ont été abandonnées pour des questions juridiques et le gouvernement britannique a présenté un projet de loi pour mettre un terme à toutes les poursuites liées au «Troubles», dénoncé de toute part comme une «amnistie».

Parmi les habitants actuels du Bogside, beaucoup estiment que justice n'a toujours pas été rendue. En ce 50e anniversaire du «Dimanche sanglant», le slogan «Il n'y a pas de justice britannique» («There is no British justice») a été peint sur un pan de mur historique, celui qui marquait jadis l'entrée du «Derry libre», le quartier catholique du Bogside.

Une première marche était organisée ce matin en mémoire des victimes, retraçant le trajet de la manifestation du 30 janvier 1972. Elle s'est achevée avec le dépôt d'une gerbe sur le monument aux morts, de la part de Micheal Martin, le Premier ministre irlandais. Une seconde marche doit avoir lieu dans l'après-midi dans les rues de Derry, pour arriver à l'endroit du massacre à l'heure où les parachutistes du premier bataillon ont ouvert le feu.

Malgré l'accord de paix signé en 1998, l'équilibre reste fragile en Irlande du Nord. Les dispositions douanières récemment imposées par le Brexit ont ravivé certaines tensions, notamment communautaires. Au printemps dernier, les «murs de la paix» séparant quartiers catholique et protestant ont été enflammés lors d'émeutes. Les élections locales, prévue en mai, promettent d'être déterminantes : elles pourraient être marquées par une victoire des républicains.

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