En direct
A suivre

Ukraine : Il faut arrêter Poutine, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]
Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
 
 
 
La crise ukrainienne est la plus grave pour l’Europe depuis la chute du mur de Berlin. Et même depuis que les frontières sur le Vieux Continent ont été sacralisées lors des accords d’Helsinki, en 1975. Sacralisation confirmée pour l’Ukraine en 1994 par trois signataires : les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la Russie. En échange de quoi, l’Ukraine avait renoncé à son arsenal nucléaire.

Pour la première fois, donc, par décision de la Russie, cette intangibilité des frontières est remise en cause. Le moyen utilisé par Poutine est connu : il s’appuie sur le sort prétendument menacé de fortes minorités russophones. Et de rappeler qu’il est autorisé par la chambre haute du Parlement russe à recourir à la force car, a-t-il expliqué, «nous devons tout faire pour qu’elles puissent déterminer elles-mêmes leur propre destin».

Une technique employée avec succès dès 2008 dans l’offensive contre la Géorgie qui s’était traduite par la quasi-annexion de deux régions russophones (l’Abkhazie et l’Ossétie du sud). Le fait qu’Européens et Américains aient très vite passé par profits et pertes cet événement a sans doute incité Vladimir Poutine à aller de l’avant. Jusqu’où veut-il aller ?

Son projet territorial porte un nom : la «nouvelle Russie». Celle-ci, de toute évidence, ne se limite pas à l’annexion de la Crimée. De cette région, Vladimir Poutine disait qu’elle avait été absorbée par l’empire tsariste pour être, «Dieu sait pourquoi», rattachée à l’Ukraine en 1954.

De l’est et du sud de l’Ukraine dont plusieurs villes sont en proie à l’agitation que l’on sait, il dit : «Ces régions faisaient partie de l’empire ; elles ont été transférées à l’Ukraine en 1920, Dieu sait pourquoi !» Le mot à mot qui a servi à l’annexion de la Crimée. On dira pour se rassurer : peut-être se contentera-t-il d’une «fédéralisation» de l’Ukraine.

L’objectif d’une «nouvelle Russie», s’il est d’abord territorial, est aussi politique. Bâti autour de et pour un homme qui étend chaque jour davantage son emprise sur la société russe. Quiconque dénonce aujourd’hui l’annexion de la Crimée – par ailleurs très populaire en Russie – est taxé par Poutine de «traître». Selon les médias russes, les Ukrainiens sont censés être aux mains de leaders corrompus et fascistes. Il n’y a bien sûr en Russie, selon ces mêmes médias, ni corruption, ni populisme, ni tentation autoritaire… Les révoltés de la place Maïdan à Kiev ont combattu pour que l’emportent des aspirations démocratiques incarnées par l’Union européenne et dont Vladimir Poutine ne veut surtout pas en Russie.

Nous vivions depuis la disparition de l’URSS dans l’idée d’un pays en voie de conversion non seulement à l’économie de marché, mais aussi à la démocratie et au respect du droit international. Poutine a donc pris à contre-pied Européens et Américains, qui s’étaient installés dans l’idée d’un partenariat de long terme, avec l’interdépendance économique comme facteur de paix. L’idée même d’une telle trajectoire russe est aujourd’hui caduque.

Là encore, lire Poutine dans le texte nous renseigne sur ce qui nous attend si rien n’est fait. Au-delà de l’inquiétude palpable des dirigeants des trois Etats baltes, tous membres de l’Union européenne, la rhétorique poutinienne repose sur l’idée fausse d’une Russie menacée. D’où la nécessité pour lui de reconstituer un glacis protecteur.

Jusqu’où ? Jusqu’à ce que Poutine rencontre enfin une vraie résistance. Si nous ne montrons pas les dents, nous risquons d’assister impuissants à une remise en cause qui, n’en doutons pas, finira par atteindre l’existence même de l’Union européenne. 

Jean-Marie Colombani

 

Les chroniques de Jean-Marie Colombani des semaines précédentes

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités