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Centrafrique: l'ombre de la partition d'un pays déjà divisé

Emotion Brice Namsio, porte-parole des anti-Balaka, parle à des membres de cette milice chrétienne, dans le quartier Boy-Rabe de Bangui, le 13 février 2014 [Fred Dufour / AFP] Emotion Brice Namsio, porte-parole des anti-Balaka, parle à des membres de cette milice chrétienne, dans le quartier Boy-Rabe de Bangui, le 13 février 2014 [Fred Dufour / AFP]

L'exode des musulmans de l'ouest de la Centrafrique et le repli des groupes armés issus de l'ex-Séléka dans l'est, où ils affichent des velléités sécessionnistes, alimentent le spectre d'une partition d'un pays échappant déjà largement à tout contrôle.

La question de la partition a été mise sur la table cette semaine par le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon en personne, qui a estimé que l'éclatement du pays était tout à fait possible, étant donné l'animosité entre chrétiens et musulmans.

Après des mois de violences, "la brutalité sectaire est en train de changer la démographie du pays, la partition de facto est un risque avéré", a-t-il averti, alors que Amnesty International a dénoncé un "nettoyage ethnique" visant la minorité musulmane.

Inacceptable, a répliqué Paris, principal allié des nouvelles autorités de transition de Centrafrique, ancienne colonie française. "Personne n'acceptera quelque partition que ce soit. Il faut absolument l'empêcher", a lancé le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian, en visite mercredi à Bangui.

Si l'idée de partition sur le "modèle" soudanais a bien généré quelques manifestations à Bangui en décembre, de nombreux observateurs s'accordent à dire que celle-ci reste très improbable.

"Ce qui s'est passé au Soudan a valeur de référence pour certains acteurs politiques au Mali ou en Centrafrique. Mais c'est une illusion", explique Roland Marchal, spécialiste des conflits en Afrique centrale.

Une femme s'installe sur un marché au centre de Bangui, le 13 février 2014 [Fred Dufour / AFP]
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Une femme s'installe sur un marché au centre de Bangui, le 13 février 2014

"Il n'y a pas de référence historique significative, il n'y a pas de frontière interne au pays. Et d'ailleurs, la population concernée (musulmane) n'est pas forcément dans la région du Nord... Il y a beaucoup de musulmans à Berbérati (sud-est): où devrions-nous les mettre? Est-ce qu'ils deviendront des étrangers?", insiste le chercheur, pour qui la menace de partition est surtout "un argument choc" de la part des responsables de l'ex-Séléka.

- "Partition dans les coeurs" -

Dans un contexte inédit et tragique de violences interreligieuses, Abakar Sabone, ancien conseiller spécial de l'ex-président Michel Djotodia, avait défrayé la chronique en décembre en proposant une partition du pays, avec au nord les musulmans et au sud les chrétiens.

"Si on ne peut pas vivre avec eux, on vivra sans eux", avait ajouté M. Sabone à l'égard des chrétiens, très majoritaires dans le pays. Ces propos avaient suscité la colère du président Djotodia, un mois avant sa démission forcée pour son incapacité à juguler les violences interreligieuses.

La coalition rebelle Séléka, à dominante musulmane, avait renversé le régime de François Bozizé en mars 2013, portant à la tête du pays son chef, Michel Djotodia.

Les combattants Séléka avaient ensuite multiplié les exactions en toute impunité pendant des mois contre la population chrétienne, déclenchant une spirale de tueries interreligieuses, qui a finalement provoqué ces dernières semaines un exode des populations musulmanes de régions entières.

Avec la chute de leur chef, des milliers de combattants Séléka se retrouvent désormais en brousse, terrorisant les populations civiles et provoquant des réactions violentes des milices d'autodéfense anti-balaka, à dominante chrétienne.

Des membres de l'opération française Sangaris et de la Misca rwandaise surveillent l'entrée du camp militaire Kasai à Bangui, le 28 janvier 2014 [Issouf Sanogo / AFP/Archives]
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Des membres de l'opération française Sangaris et de la Misca rwandaise surveillent l'entrée du camp militaire Kasai à Bangui, le 28 janvier 2014

"Ce qui est inquiétant", relève toutefois M. Marchal, "c'est que cet argument" de la partition "pourrait avoir une crédibilité au niveau de certains combattants ou de populations locales", d'autant que dans de larges parties du Nord-Est centrafricain, l'Etat est totalement absent depuis des années et les habitants sous le contrôle de facto de groupes rebelles, qui pour certains ont intégré la Séléka.

Dans une sorte de retour à la case départ, "il est à craindre que les leaders de la Séléka puissent se replier dans leurs fiefs. Ce sont essentiellement des centres miniers et cette bande au sud du Tchad et au nord de la Centrafrique, où il y a donc des nappes pétrolifères très importantes", indiquait d'ailleurs jeudi, dans un entretien à la radio française RFI, le diplomate français Didier Niewiadowski.

Ecartant lui aussi une partition géographique, M. Niewiadowski constatait cependant que "la partition, hélas, est déjà dans les cœurs: l'affrontement musulmans-non musulmans est malheureusement bien parti. Il faudra beaucoup de temps (...) pour réconcilier le peuple centrafricain".

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