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Attaque terroriste à Paris : comment les détenus radicaux sont-ils suivis après leur sortie de prison ?

Depuis 2018, 486 détenus radicalisés sont sortis de détention, à raison de 80 par an en moyenne. [GEORGES GOBET / AFP]

Parmi les quelque 75.000 personnes détenues en France, 391 ont été condamnées pour terrorisme. Chaque année, 80 personnes incarcérées pour ce motif sortent à l'issue de leur peine. Si ces derniers se voient imposer un suivi judiciaire et administratif renforcé, ce dispositif n'est pas infaillible en dépit de résultats encourageants.

Depuis les attentats terroristes de 2015, la France a considérablement renforcé sa politique anti-terroriste, notamment à travers le suivi des individus déjà condamnés. Au total, selon le ministère de l’Intérieur à CNEWS, 486 détenus radicalisés sont sortis de détention depuis 2018, à raison de 80 par an en moyenne. Afin de prévenir tout risque de récidive chez ces individus, plusieurs dispositifs de suivi ont été mis en place, tant sur le plan judiciaire que sur le plan administratif, avec des résultats globalement positifs, malgré de lourds échecs, à l'image de l'attaque terroriste survenue ce samedi à Paris. 

Deux profils de détenus 

L'évolution de la menace terroriste, de plus en plus endogène, conduit à conférer au renseignement pénitentiaire un rôle central dans le dispositif de lutte contre le terrorisme. L'administration pénitentiaire établit ainsi deux profils distincts de détenus liés à l'islam radical : d'une part, les détenus incarcérés pour des faits de terrorisme en lien avec l'islam radical (les «TIS») et d'autre part, les détenus incarcérés pour des faits de droit commun mais signalés pour radicalisation (les «DCSR»). Cela représente un total d'environ 1.000 détenus qui nécessitent une attention particulière.

En janvier 2020, on dénombrait 525 détenus, dont 72 femmes, considérés comme terroristes islamistes, en raison du motif de leur condamnation judiciaire. Après avoir triplé entre 2015 et 2017, le nombre de TIS est désormais stabilisé autour de 400. La France est néanmoins le pays d'Europe qui recense le nombre de détenus terroristes le plus important, près de la moitié du nombre total de TIS à l'échelle européenne, loin devant le Royaume-Uni (autour de 250 TIS) puis la Belgique. 

Aux TIS s'ajoutent les détenus incarcérés pour des faits de droit commun, mais signalés pour radicalisation. Cette qualification et leur dangerosité sont liées à leur comportement à l'extérieur, repéré par les services de renseignement partenaires, ou à leur comportement en détention, repéré par l'administration pénitentiaire, ce qui implique une part de subjectivité en comparaison avec les TIS dont la qualification est liée au motif de leur condamnation.

Selon une source proche du dossier à CNEWS, l'administration pénitentiaire évalue le nombre de détenus de droit commun dont la radicalisation est avérée (RAV) ou dont la radicalisation est «potentielle» (radicalisé en évaluation - RAE) à 462 personnes en 2023. Ces détenus font, à ce titre, l'objet d'une évaluation par le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), qui dispose «seulement» de 300 agents à l’échelle nationale. 

Comment se passe la sortie des détenus radicalisés ? 

Lorsque des détenus sont incarcérés pour des faits de terrorisme, Ils ont tous vocation à passer par des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER). À l’issue de quatre mois d'évaluation, ils sont placés, selon leur dangerosité, soit à l'isolement, soit dans un quartier de prise en charge de la radicalisation, soit en détention ordinaire mais dans des «quartiers étanches» séparés du reste de la population carcérale, dans un des 78 établissements (sur 179) habilités. 

Pour ces détenus, la sortie est plus tardive que pour les autres. Ceux condamnés dans des affaires terroristes se sont pour la plupart vu infliger une peine assortie d'une période de sûreté des deux tiers, et lorsqu'à l'issue de cette période, ils formulent une demande de libération conditionnelle, elle est généralement refusée. La loi de juillet 2016 a d’ailleurs durci le régime d'exécution des peines en excluant les terroristes des réductions de peine automatiques et en excluant certains aménagements de peine (semi-liberté, suspension et fractionnement de peine...).

Quel suivi pour les détenus radicalisés ? 

Le suivi de cette population, dont l’objectif est d’éviter la récidive, est devenu l’un des aspects prioritaires de la lutte anti-terroriste. Il est à la fois géré au niveau judiciaire et au niveau administratif. Sur le plan judiciaire, le parquet national antiterroriste (PNAT) met en place des mesures de contrôle telles que le suivi socio-judiciaire. Ce dispositif introduit par une loi de 2016 permet aux tribunaux ou aux Cours d’assises de contraindre les condamnés au respect d’un certain nombre de mesures à l’issue de leur détention, sous peine de nouvelle incarcération : prise en charge pluridisciplinaire, interdiction de contacts, obligation de travail, obligation ou injonction de soins. 

Pour ce faire, chaque situation concernant chaque détenu, est connue. Tous les profils sont évalués au plus tard deux ans avant la fin de la peine. L’objectif est d’éviter les sorties sèches qui ne concernent aujourd'hui que 10% des cas. 25% des sortants sont actuellement soumis à un suivi socio-judiciaire.

Pour les profils les plus lourds, condamnés à au moins sept ans de prison, les juges d’application des peines peuvent ordonner une mesure de surveillance judiciaire impliquant un certain nombre d’obligations à respecter et dont la mise en place repose sur la notion discutée de dangerosité criminologique. Seuls 17% des sortants étaient soumis à une surveillance judiciaire en 2020 contre 30% aujourd’hui. 

Sur la plan administratif, tous les détenus incarcérés pour des faits de terrorisme sont également suivis à leur sortie de prison. À ce titre, une évaluation pilotée la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est réalisée tous les mois, pour chaque cas, par les services de renseignement, en lien avec la police judiciaire. S’ils estiment qu’il existe un risque de commission d’un acte terroriste, les préfets peuvent également prendre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Ces dernières prévoient en général une obligation de pointage, l’interdiction de sortie d’un territoire et des interdictions de contacts.

Par ailleurs, depuis juillet 2016, les personnes condamnées dans des affaires terroristes sont automatiquement inscrites au Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT), et doivent, dans ce cadre, déclarer tout changement d'adresse et tout déplacement à l'étranger au plus tard 15 jours avant la date du voyage. Elles sont aussi enregistrées au Fichier des personnes recherchées (FPR).

Enfin, plusieurs programmes de désengagement idéologique existent et peuvent se targuer de résultats positifs. Selon une source proche du dossier à CNEWS, 60% des 486 détenus condamnés pour terrorisme qui sont sortis de prison depuis l’été 2018 sont désengagés, c'est-à-dire qu'il y a suffisamment d'éléments probants qui prouvent qu'ils sont en rupture avec l'idéologie islamiste radicale, et ils ne présentent plus d'inquiétude pour les autorités.

Des moyens conséquents alloués au renseignement

Depuis les attentats de 2015, les fonds consacrés au renseignement ont crû sans discontinuer pour atteindre 3,03 milliards d'euros en 2022, contre 2,77 milliards en 2021 (en léger repli par rapport aux 2,84 milliards de 2020). Tous les services spécialisés ont connu en 2022 une augmentation de leurs crédits même si le niveau de ceux de la DGSI, bien qu'en hausse par rapport à 2021, n'atteignent pas ceux historiquement hauts de 2020.

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En matière de ressources humaines, le total des personnels tous services confondus s'est établi à 19.572 postes en 2022, en léger repli par rapport à 2021 (20.677 effectifs). En revanche, les effectifs des six services du 1er cercle augmentent. Ce sont donc logiquement les services du second cercle qui voient leurs effectifs baisser sensiblement. 

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