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Guerre d’Algérie : qui était Ali Boumendjel, le militant algérien «torturé et assassiné» par l’armée française ?

Malika Boumendjel, veuve d'Ali Boumendjel (photo), mort le 23 mars 1957, alors qu'il était détenu par l'armée française. [Eric Feferberg / AFP]

«Au nom de la France», Emmanuel Macron a reconnu mardi que l'avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel avait été «torturé et assassiné» par l'armée française pendant la guerre d'Algérie en 1957. Un meurtre maquillé en suicide.

«Au cœur de la Bataille d’Alger, il fut arrêté par l'armée française, placé au secret, torturé, puis assassiné le 23 mars 1957», a détaillé l'Elysée dans un communiqué. En 2000, «Paul Aussaresses (ancien responsable des services de renseignement à Alger, ndlr) avoua lui-même avoir ordonné à l'un de ses subordonnés de le tuer et de maquiller le crime en suicide».

«Aujourd’hui, le président de la République a reçu au Palais de l'Elysée quatre des petits-enfants d’Ali Boumendjel pour leur dire, au nom de la France, ce que Malika Boumendjel aurait voulu entendre : Ali Boumendjel ne s'est pas suicidé. Il a été torturé puis assassiné», a ajouté la présidence française.

Avocat réputé et ardent militant anticolonialiste, Ali Boumendjel fut membre de l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) créée en 1946 par Ferhat Abbas, le premier président du GPRA -gouvernement provisoire de la république algérienne. Il était devenu l’avocat des nationalistes, suivant les traces de son grand-frère Ahmed.

«La simple annonce de son arrestation a constitué un électrochoc»

«C'était un érudit, un intellectuel qui adorait réciter les poèmes de Virgile, parler de peinture ou encore danser la valse», a témoigné sa nièce Fadela Boumendjel-Chitour. «Il était matheux et avait fait droit par défaut comme il se plaisait à le dire car à l'époque il était compliqué (pour un «indigène») de pouvoir prétendre aux grandes écoles». «Il était ouvert sur la culture universelle. Et en même temps un peu taciturne et très dans l'introspection», a ajouté celle qui préside un réseau de défense des droits des femmes.

C'est en 1957, de janvier à octobre, qu'a eu lieu la «bataille d'Alger» (quand les paras français ont eu recours à la torture et aux exécutions sommaires pour mettre fin aux attentats du FLN). «Lorsque nous avons appris le 9 février 1957 son arrestation, mon père était alors avocat à Paris. Je me souviens à quel point la simple annonce de son arrestation a constitué un électrochoc pour mon père», a raconté madame Boumendjel-Chitour. 

«Il avait réalisé qu'étant donné l'horrible répression de l'époque, tous les dangers planaient sur la tête de son jeune frère. Il n'a cessé d'alerter les autorités civiles, religieuses de France en envoyant des télégrammes pour dénoncer son arrestation arbitraire et l'absence d'information». Il a même écrit au président du Conseil René Coty.

Fin février, la famille a su qu'il avait été hospitalisé à l'hôpital militaire Maillot à Bab El Oued. «Mon père a appris qu'il aurait tenté de se suicider avec le verre de ses lunettes. C'était glaçant».

«Je me souviendrai toujours du dimanche 23 mars, où j'entendis la voix de mon grand-père. Une voix blanche, une voix métamorphosée. Lui qui était très affectueux, me dit simplement: "S'il te plaît, passe-moi ton père". Je me souviens de la réaction terrible de mon père qui était l'aîné et se sentait responsable».

Pierre Mendès-France s'excuse «au nom de la France»

Deux médecins de la famille ont été appelés pour reconnaître le corps. Les grands-parents ont eu un chagrin énorme de ne pouvoir lui dire adieu. Son cercueil était scellé. La famille a reçu de nombreuses lettres de condoléances, dont celles de Pierre Mendès-France et François Mauriac «qui s'excusèrent dès le lendemain au nom de la France». L'ami et professeur de droit d'Ali Boumendjel, René Capitant, juriste et homme politique, a démissionné de la faculté de droit dans la foulée.

«Je crois que les responsables politiques français ne mesurent pas à quel point des familles entières ont été dévastées par les mensonges d'État», souligne aujourd'hui la nièce du militant assassiné. Elle aimerait que l'on reconnaisse que «le colonialisme est une atteinte à la dignité humaine au même titre que la Shoah et l'esclavage».

Ce geste d'apaisement du pensionnaire de l'Elysée avait été recommandé par le rapport de l'historien Benjamin Stora. Il «n'est pas un acte isolé», a promis le président français dans ce communiqué. «Aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la Guerre d’Algérie ne peut être excusé ni occulté».

Premier président français né après la guerre d'Algérie (1954-1962), Emmanuel Macron s'est engagé à prendre des «actes symboliques» pour tenter de réconcilier les deux pays, mais il a exclu toute «repentance» et «excuses».

A l'approche du 60e anniversaire de la fin de la guerre et de l'indépendance de l'Algérie en 2022, Paris et Alger ont fait de cette «réconciliation des mémoires» un dossier prioritaire et les présidents des deux pays, Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, se sont engagés à travailler ensemble sur ce dossier.

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