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La mémoire de Nice, les oubliés d'Alep, par Philippe Labro

"Comment ne pas penser, alors, à celles et ceux qui portent le deuil des victimes. Pour eux, il n’y a pas eu d’été, il n’y en aura plus jamais, vraiment".[AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

VENDREDI 2 SEPTEMBRE 

L’automne arrive. Macron s’en va. L’été s’achève. Il faut savoir, lorsqu’une chronique reprend sa place, équilibrer et mesurer les choses : quel été avons-nous vécu ? Je crois qu’il faut plutôt se demander combien de temps a véritablement duré l’été ? C’est-à-dire la détente, le plaisir, l’innocence retrouvée. Eh bien !, soyons réalistes : l’été a duré une semaine, pas plus. Comment ça, me dites-vous ? C’est clair : entre le 7 juillet, jour de la demi-finale de l’Euro gagnée contre l’Allemagne (euphorie générale), le 10 juillet, date de la finale perdue contre le Portugal (déception, mais amitié à l’égard de ce pays proche de nous) et le 14 juillet. Exactement sept jours au cours desquels nous avons cru, naïfs que nous étions, qu’on entrait dans une période de repos et de distractions.

Et puis, le 14 juillet au soir, à Nice, au volant d’un énorme camion, un fou assassin écrase et tue quatre-vingt-six hom­mes, femmes et enfants, avant d’être abattu par de valeureux policiers. L’horreur, la dimension de cette horreur, l’impact immédiat dans le monde politique qui perd, à cet instant, la solidarité qui prévalait au cours des attentats précédents, pénètre nos vies quotidiennes. Côté ouest, côté sud, qu’importe, on ne rencontre pas un(e) Français(e) qui n’ait pas été accablé(e) par ce massacre. Je connais bien Nice, mes parents y ont vécu leur retraite, j’y ai tourné deux de mes films, j’ai arpenté la promenade des Anglais et les abords du Negresco à la recherche du plan-séquence, du cadrage parfait dans ce décor de palmiers, plages, larges espaces piétonniers, vue permanente sur la baie des Anges, j’y ai connu la gentillesse et l’hospitalité des «Nissards», mangé leur socca ou leur pan-bagnat, goûté à la douceur de vivre niçoise, ses couleurs, sa population volubile et souriante, mêlée à celle des touristes de toutes origines, et de toutes fortunes, des plus riches aux plus modestes, Nissa la Bella. Comment ne pas penser, alors, à celles et ceux qui portent le deuil des victimes. Pour eux, il n’y a pas eu d’été, il n’y en aura plus jamais, vraiment. Pas plus que pour les paroissiens de l’église de Saint-Etienne- du-Rouvray.

Pour les autres, en France, ou ailleurs, il faut reconnaître que les JO de Rio n’ont pas toujours passionné – ne fût-ce qu’à cause du décalage horaire qui nous privait du direct –, mais l’événement fut dominé par trois «géants» : Michael Phelps, Usain Bolt, Teddy Riner. Quelques points communs entre ces trois athlètes : ils n’ont plus 20 ans. Phelps a 31 ans, Bolt 30 et Riner 27 – âge de la maturité, de l’expérience, du savoir. Il semble qu’ils possèdent les mêmes éléments : volonté acharnée, discipline d’airain et ce don, ce désir, cette faculté d’être là au bon moment, au rendez-vous de l’histoire. Ces chromosomes supplémentaires.

Pour le reste, le sanglant désordre qui règne sur le monde n’a pas connu de répit. Il a été symbolisé par le regard hanté, égaré, tétanisé, du petit garçon syrien de 5 ans, à Alep. Cette photo rejoint celle d’un petit corps sur le sable turc, il y a quelques mois. L’enfant d’Alep est assis sur une sorte de fauteuil de couleur orange, entre des caisses de vivres et des médicaments marqués «First Aid». Premier secours. Le sang et une mèche de ses cheveux noirs recouverts de poussière ne laissent apparaître que son œil droit. Il est impossible de définir ce qu’il y a dans cet œil. Puisse-t-il faire réfléchir et espérer qu’un automne moins sombre succède à cet été qui n’a duré qu’une semaine. 

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