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Norah Jones, sous l’œil de Wong Kar-wai

Norah Jones[CC/Drongowski]

La chanteuse Norah Jones, 28 ans, faisait en 2008 ses premiers pas au cinéma sous la direction du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai, dans My Blueberry Nights. Pour ce «road movie», elle incarne Elizabeth, une jeune femme à la recherche d’elle-même sur les routes américaines. Direct Matin l’avait rencontré dans une suite de l’hôtel Meurice.

 

Archive – article publié le mercredi 28 novembre 2007

 

C’est sur un air de jazz que s’ouvre My Blueberry Nights. Serait-ce une nouvelle étape dans la brillante carrière de cette artiste américaine dont le premier album, Come Away With Me, sorti en 2002, s’était vendu à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde ? A l’entendre, pas du tout, la chanteuse aurait juste bénéficié de circonstances favorables. «J’avais fini une longue tournée et je me reposais un peu, je ne voulais pas tout de suite me remettre à la préparation d’un nouvel album, ce projet arrivait au bon moment.» Mais c’est surtout la personnalité de Wong Kar-wai qui l’a séduite : «C’est un réalisateur très intéressant et c’était vraiment une proposition à la fois unique et étrange, cela ne ressemblait pas aux offres que je reçois d’habitude.» Et d’ajouter : «On ne se réveille tout de même pas tous les matins en se disant qu’on va être le personnage principal dans un film de Wong Kar-wai!»

My Blueberry Nights, c’est aussi la rencontre de deux affinités. Comment oublier en effet que Norah Jones a, comme Wong Kar-wai, des origines asiatiques et en particulier indiennes par son père, Ravi Shankar, joueur de sitar mondialement reconnu et «gourou» notamment de l’ex-Beatle Georges Harrison, à la fin des années 1960. Quant à Wong Kar-wai, il a, comme Norah Jones, été imprégné de culture américaine, marqué très tôt par le cinéma hollywoodien «classique» qu’il découvrit avec sa mère à Hong Kong.

 

Vidéo : Bande-annonce de In the mood for Love (Wong Kar-wai, 2000)

 

 

Autre point commun chez ces deux personnages, la musique et le cinéma. Chez le cinéaste, les deux sont indissociables, les airs de ses films sont même devenus des «madeleines de Proust» tant ils sont évocateurs de scènes de ses films. Qui ne se souvient pas de «Quizas, quizas, quizas» dans In The Mood for Love ? Chez Norah Jones, le rapport entre musique et cinéma est moins évident, mais en apparence seulement : « Faire du cinéma n’a jamais été mon rêve, mais quand j’étais petite, j’adorais regarder des films et je me disais que cela serait “fun” d’être actrice. Mais j’ai en quelque sorte échoué puisque je suis devenue musicienne ! » Son actrice préférée est, sans aucune hésitation, Judy Garland, incarnant Dorothée dans Le magicien d’Oz et interprétant Somewhere Over the Rainbow.

 

Vidéo : Bande-annonce de My Blueberry Nights

 

 

Un road movie à l’image de sa musique

Pour sa première apparition au cinéma, Norah Jones joue dans un film à la fois atypique pour son réalisateur – il se déroule pour la première fois aux Etats- Unis –, mais aussi complètement empreint de cette esthétique chère à Wong Kar-wai : couleurs chatoyantes, ambiances lascives.

Un décor américain pour un «road movie» qui se déroule entre New York, Memphis et Las Vegas, cela sonne comme un clin d’œil à la musique de Norah entre jazz, country, blues et folk. Mais le réalisateur préfère prévenir : «Je lui ai tout de suite dit que je n’étais pas venu vers elle parce qu’elle était une chanteuse à succès.» Dans Not Too Late, sorti avant le film, on retrouve son style si particulier, mais avec quelques innovations. Rien de commun en effet entre cet enregistrement et les précédents, toujours très planifiés. Cette fois, tout semble s’être passé de manière impromptue : «On téléphonait aux copains pour leur dire : “Vous êtes en ville ce soir ? Super, venez !” L’enregistrement a donc été relax.» Un côté «impro» jusque dans l’écriture des chansons : «J’aime composer des chansons qui ne sont pas planifiées, où tout peut arriver.» Là encore, on ne peut que s’étonner des similitudes entre la chanteuse et le cinéaste, qui a la réputation de développer son scénario «in situ». A propos de son rôle, elle note d’ailleurs qu’elle ne «savait rien de son personnage avant le début du tournage» mais dit avoir adoré la façon dont celui-ci a évolué au cours du tournage. Elle a eu son mot à dire. «Souvent, il me demandait : “Est-ce que tu penses que c’est juste ?” Au fur et à mesure du tournage, je me suis sentie de plus en plus à l’aise pour lui faire part de mes impressions

 

Actrice, chanteuse : mode d’emploi

A l’écran, Norah Jones (Elizabeth) joue avec une spontanéité que l’on retrouve quand on la rencontre dans une suite de l’hôtel Meurice pour la promotion de My Blueberry Nights, début novembre 2008. Très vite, son visage s’éclaire et laisse place à un sourire espiègle et charmant. Une invitation à saisir au vol pour lui demander comment elle a appréhendé ce nouveau métier d’actrice. «C’était différent mais j’ai aimé cela parce que c’était différent. Dans ma carrière, je contrôle tout, ce qui est une bonne chose, mais c’était aussi agréable de ne pas toujours tout contrôler et être quelqu’un d’autre. Je trouve          cela assez libérateur.»

 

Vidéo : extrait de My Blueberry Nights

 

 

La quête de soi

Wong Kar-wai ne lui avait rien confié sur son personnage. «J’ai juste aimé l’histoire», dit-elle. C’est une histoire d’amour ou plutôt d’un désamour, comme souvent dans les films de Wong Kar-wai. C’est aussi un voyage intérieur qui prend les traits d’un «road movie». Elizabeth sort d’un chagrin d’amour et semble avoir perdu tous ses repères. La voilà donc errant dans New York, une ville désincarnée, transformée par son simple regard en ville fantôme, où plus rien ne semble exister. Cette errance intellectuelle, Norah Jones a su la rendre sensible. Peut-être aussi parce que ses musiques sont souvent empreintes de mélancolie comme « Wish I Could », dans Not Too Late. Un titre qui fait écho à ce que semble évoquer le réalisateur dans ce premier chapitre : si seulement, je pouvais remonter le fil de l’histoire, repartir à zéro ou tout simplement surmonter ce chagrin ?       

Dans ces moments de chaos sentimental, on rencontre parfois des confidents d’un soir qui imperceptiblement tracent la route à suivre. Jude Law (Jeremy) joue ce rôle en consolant les âmes en peine mais il est surtout le «gardien des clés», dernier vestige de ces histoires d’amour. Pour reprendre le fil de sa vie, Elizabeth doit rompre avec son passé et pour cela laisser les clés de cet appartement qu’elle occupait avec son amoureux afin de s’élancer vers l’inconnu, prendre la route. Wong Kar-wai a t-il pensé à Jack Kerouac et son mythique Sur la route, paru en 1957? En tout cas, son personnage évolue un peu comme le héros de ce roman.

 

Vidéo : extrait de My Blueberry Nights

 

 

Pour grandir, se construire et finalement se réaliser, Norah part à la rencontre de cette Amérique profonde, celle des bars à 3 heures du matin et des «canteen bus», avec ses serveuses en uniforme. Elle y rencontre des personnages tout en excès, comme Arnie, shérif qui passe ses nuits à boire pour tenter d’oublier sa femme partie avec un autre. Elizabeth, alors serveuse et spectatrice de cette progressive déchéance, la rend d’autant plus douloureuse et tragique. Tout au long de ce chapitre, elle semble poser cette question finalement assez banale : les plus belles histoires d’amour n’ont-elles pas toujours une fin tragique?

Dans cette galerie de portraits, Nathalie Portman (Leslie) est aussi un personnage intéressant tant elle semble montrer à Elizabeth que l’on peut passer à côté de l’essentiel si l’on n’y prend garde. Ainsi, cette joueuse invétérée qui joue sa vie à quitte ou double manque son dernier rendez-vous avec son père sur son lit de mort. Tout ceci résonne dans le cœur d’Elizabeth, qui décide après des mois d’errance de retrouver cette ville qu’elle avait fui. Après avoir mis sa vie entre parenthèses, se sent-elle assez forte pour la vivre de nouveau et surtout ne pas passer à côté de son destin? Ici, c’est une phrase du précédent film de Wong Kar- wai, 2046, qui revient à l’esprit : «On passe à côté de l’âme sœur si on la rencontre trop tôt ou trop tard.»

 

Vidéo : Bande-annonce de 2046

 

 

Un film sur le pouvoir de l’éloignement

«Parfois la distance physique entre deux personnes peut être courte, mais la distance émotionnelle se mesure en kilomètres », note Wong Kar-wai. Le réalisateur a voulu explorer ces distances à la fois réelles et imaginaires. Par le prisme d’Elizabeth et Jeremy, si proches au début du film puisqu’ils se voient chaque soir, subsiste une barrière infranchissable que paradoxalement seul l’éloignement va permettre de surmonter. Le réalisateur évoque l’attente de celui qui, dès le premier regard, s’est senti prêt et qui semble dire «si un jour tu échappes à ton passé, viens me retrouver avant qu’il ne soit trop tard.» Un autre clin d’œil à Not Too Late, l’album de Norah.

 

Une vision romantique de l’Amérique

Quant à la vision de l’Amérique par Wong Kar-wai : «C’est une vision romantique, comme une lettre d’amour aux Etats- Unis.» Une lettre d’amour auquel Norah Jones répond avec «The Story », la chanson du générique qu’elle a écrit un soir en rentrant du tournage. Une autre façon de marquer ce film de son empreinte.

 

Vidéo : « The Story », par Norah Jones

 

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Norah Jones vue par Wong Kar-wai

 

«Ce que j’aime chez Norah, c’est qu’elle a confiance en elle et qu’elle est spontanée. C’est une qualité rare. Son visage offre aussi de nombreuses possibilités, sous un certain angle, elle ressemble à une Espagnole et sous un autre, elle a l’air d’une Asiatique. A part cela, je trouve qu’elle rend l’histoire totalement crédible, on peut s’imaginer une fille comme elle, agir comme elle le fait dans le film. Ce qui m’a également impressionné chez elle, c’est son très grand professionnalisme dans sa carrière de chanteuse. Pourtant, lorsque je l’ai rencontrée, je lui ai tout de suite dit que je ne venais pas parce qu’elle était une chanteuse à succès. Je lui ai dit que je la considérerai comme une actrice à part entière. C’est pourquoi nous n’avons pas évoqué le fait d’avoir une de ses musiques dans le film. Quand on a commencé à tourner au Nevada, je l’ai vue avec sa guitare et je lui ai demandé ce qu’elle faisait avec une guitare, elle m’a répondu : «Je te rappelle que je suis musicienne, je vais composer quelque chose.» Ce qui m’a plu c’est qu’à travers cette musique, « The Story », c’est sa vision de My Blueberry Nights qui transparaît. C’est totalement complémentaire ».

 

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