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Le premier amour d’Amélie Nothomb

Amélie Nothomb[Capture d'écran Youtube ]

Depuis son premier roman à succès, Hygiène de l’assassin, publié en 1992, Amélie Nothomb suscite toujours autant d’engouement. À chaque rentrée littéraire, elle retrouve ses fidèles lecteurs, qui aime se plonger dans son univers insolite.  Dans Ni d’Ève, ni d’Adam, la romancière belge dévoile le récit de son premier amour nippon. Rencontre.

 

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Depuis 1992 et la parution de son premier roman, Hygiène de l’assassin (Albin Michel), Amélie Nothomb publie un roman par an. Choix personnel, rythme de vie, il y a derrière cette régularité métronomique une immense envie de partager : « J’ai parfois l’impression que je ne traite que de mes petites obsessions intimes et je me dis “mais qui cela peut-il intéresser d’autre que toi?” Mais, une fois de temps en temps, à tort ou à raison, j’ai l’impression qu’il y a des émotions partageables ; c’est à ce moment-là que je publie mes livres ».

Amélie Nothomb se lève chaque matin à quatre heures et écrit environ quatre heures avant de répondre aux lettres de ses nombreux admirateurs. Elle en parle comme d’une obsession. Elle a publié une vingtaine de romans, dont Hygiène de l’assassin (1992), Le sabotage amoureux (1993), Les catilinaires (1995), Stupeur et tremblements (1999) vendu à près de 500 000 exemplaires et lauréat du prix de l’Académie française, Métaphysique des tubes (2000), Ni d’Eve ni d’Adam en 2007 qui a reçu le prix de Flore, Le Fait du Prince (2008) et Barbe Bleue (2012).

Avant toute publication, il est une décision encore plus cruciale : le choix du manuscrit. Car Amélie Nothomb est de ces écrivains prolifiques : pour preuve, ses tiroirs regorgent de livres jamais publiés. Si elle reconnaît prendre sa décision seule et être essentiellement guidée par le désir, elle dit assumer totalement le risque de se tromper. Elle marche à l’instinct, qu’elle met au service de sa création, même si elle avoue ne pas maîtriser ce phénomène mystérieux : « Qu’est-ce qui fait que tout à coup on est enceinte de quelque chose ? J’imagine mon inconscient comme un gigantesque processus digestif ». Une digestion qui s’avère parfois longue.

 

Vidéo : dans l’intimité d’Amélie Nothomb

 

 

Son obsession d’écrire

Il aura fallu par exemple près de seize ans à la romancière pour répondre à cette question : « comment et pourquoi devient-on écrivain ? ». Seize années et la parution de Ni d’Eve ni d’Adam pour appréhender la genèse de sa vocation. Dans ce roman, qui pourrait être son premier tant il est fondateur, elle révèle les raisons de son obsession d’écriture. Si elle écrit depuis ses 17 ans, elle n’imaginait pas à l’époque se faire publier. Pour elle, « cette autre démarche – très risquée finalement – et qui s’appelle la publication est sûrement liée à l’échec japonais ». Un échec dont elle parle déjà dans Stupeur et tremblements, roman drôle et terrifiant dans lequel elle raconte sa descente aux enfers dans une entreprise japonaise où elle passe, en un an, de traductrice à dame pipi. Cette humiliation sera un déclic : « J’avais tout de même certainement besoin de me construire une image un tout petit peu acceptable de moi, cela m’a donné le courage d’envoyer ce premier manuscrit Hygiène de l’assassin à un éditeur». Un échec aussi lié à ce qu’elle nomme son identité de « Japonaise ratée ». C’est la seule nationalité qu’elle ait jamais rêvé d’avoir, mais qu’elle laissera filer, comme elle le raconte dans ce roman, en n’acceptant pas d’épouser son fiancé japonais.

 

Une enfance japonaise

Le Japon est un moment fondateur dans la vie d’Amélie Nothomb, mais dont elle avait peu parlé auparavant. Fille de l’ambassadeur et écrivain Patrick Nothomb, Amélie Nothomb y est née le 13 août 1967, à Kobe. Sa fascination pour ce pays remonte à son enfance près de Kyoto, dans la région du Kansai, ce Japon des origines où elle a passé ses cinq premières années. Un endroit « magnifique » dont elle garde des souvenirs émus, notamment celui de sa gouvernante japonaise, qu’elle aimait comme sa mère. Quand elle quitte ce pays tant aimé pour la Chine à l’âge de cinq ans, elle ne s’en remet pas : « Quand j’ai quitté le Japon à l’âge ans, cela a été pour moi la fin du monde ». Elle laisse la beauté japonaise pour un pays qu’elle trouve « hideux » (Le sabotage amoureux, Albin Michel). Les années passent. Au gré des mutations de son père ambassadeur, elle découvre d’autres contrées : les États-Unis, le Bangladesh, la Birmanie, le Laos... Autant de destinations attachantes, mais qui ne susciteront jamais chez elle ce même sentiment de d’identification : « Je suis restée fidèle a la première imprégnation ».

 

Vidéo : Amélie Nothomb revient sur son lien avec le Japon

 

 

Retour nostalgique

Elle rêve de repartir pour le Japon, sa vraie patrie. Ce n’est qu’à l’âge de 21 ans qu’elle y retourne, pour, dit-elle,  « accomplir son destin ». Naïvement, à l’époque, elle pense que le pays de son enfance va l’accueillir à bras ouverts et qu’elle va enfin accomplir son rêve : devenir japonaise. Pour évoquer ce retour mythique, elle emprunte l’image d’Antée, ce géant, fils de Poséidon et de Gaia, qui reprenait force chaque fois qu’il touchait la terre dont il était sorti.

Mal dans sa peau, elle éprouve la même sensation lorsqu’elle touche le sol japonais seize années après son départ. Revenir sur cette terre nourricière, qui l’accueille pour la seconde fois, est comme une seconde naissance pour la romancière. Mais, au-delà des souvenirs d’enfance, ce qui lie Amélie à cette culture, « c’est l’amour de la beauté, surtout de la beauté japonaise, qui est celle qui me touche le plus. Et puis une espèce de culte de la nostalgie, très japonaise » dont elle se dit être une « indécrottable ». Enfin, des odeurs, des saveurs qu’il est impossible de mettre en mots car elles appartiennent à la petite enfance. Dans Ni d’Eve ni d’Adam, elle revient sur l’épisode qui a changé sa vie et a suscité sa vocation d’écrivain. Elle y relate son histoire d’amour avec un Japonais de 20 ans, Rinri. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour coucher sur le papier cette période essentielle de sa vie ? « Une histoire d’amour, cela prend du temps a digérer », surtout quand elle a signifié la fin de ses rêves japonais.

 

Son premier amour

Ce roman est donc le récit d’un premier amour. Elle n’en est pas à sa première histoire, mais « c’est la première fois [qu’elle s’est] sentie respectée ». Une histoire qu’elle revisite des années plus tard pour en comprendre toutes les dimensions, et se « pénétrer de ce [qu’elle a] vécu ». Elle cite à cet égard Virginia Woolf : « Aussi longtemps que l’on n’a pas écrit, il ne s’est rien passé ». C’est avec ce regard distancié qu’elle explore aujourd’hui ses sentiments, en mettant en scène les différences de culture amoureuse. Elle se remémore ses sensations, évoque ce «koï», «ce goût pour», très éloigné du sentiment amoureux français, qu’elle a ressenti pour Rinri, et dissèque les codes de cette société japonaise ultra-normée. A la fois spectatrice et participante, elle parle de ces rites amoureux, passages obligés dont elle montre à la fois l’aspect artificiel et comique pour l’Occidental, mais aussi la véritable praticité : « On n’avait pas à se poser 36 000 questions ».

Dans un dialogue permanent avec le lecteur, Amélie Nothomb s’interroge sur la nature du sentiment amoureux. Quels sont les signes de l’amour ? Comment se rend-on compte que l’on est amoureux ? Elle avoue : « Je n’éprouvais pas ce qu’on voulait que j’éprouve et cela, c’était vraiment gênant pour moi ». Des années plus tard, lors d’une dédicace pour la parution de son premier livre au Japon, elle comprend enfin la nature de cet amour lorsque Rinri lui souffle : « Je veux te donner l’étreinte fraternelle du samouraï ».

 

Vidéo : Amélie Nothomb

 

 

Comme un thérapie     

Un amour «merveilleux», presque enfantin. « On était des enfants parce qu’on devait réapprendre la culture de l’autre. Moi j’avais l’impression d’avoir à nouveau 5 ans ». Pour grandir, sans doute vaut-il mieux             fuir ? Cette fuite scelle définitivement la fin de son «destin japonais». Cet «échec japonais» se révèle une occasion de s’affirmer : « Ces années japonaises, et pas seulement par l’échec que j’ai vécu dans l’entreprise, ont été essentielles non seulement dans l’affirmation de moi mais aussi dans l’affirmation de moi en tant qu’écrivain ».

Le Japon a agi comme une thérapie et mis en lumière ses thèmes de prédilection, comme l’exploration du Mal. « Toutes les personnes dont j’ai pu tomber amoureuse dans ma vie étaient des personnes qui avaient au moins en elle la possibilité du mal. Il me faut peut- être cela pour me reconnaître un petit peu en l’autre». Rinri, lui, n’était que douceur et gentillesse. Autre thème dans ces pages, sa fascination pour la beauté : « Je sens que la vie, cela sert à voir la beauté, à la constater, à s’en extasier ». Elle la décrit ici à travers l’évocation de ces paysages typiques, mais aussi de la beauté humaine et spirituelle qui rime parfois avec bonheur lorsqu’elle évoque les habitants d’Hiroshima : « C’était comme si, ici, les êtres vivaient plus fort qu’ailleurs. (...) Il en résultait une impression d’optimisme qui recréait l’ambiance d’une époque où l’on croyait encore en l’avenir ». Un roman impressionniste, une romancière apaisée ? Elle s’en étonne presque. « Il n’est pas banal que j’écrive une histoire où personne n’a envie de massacrer personne ».

Mais les lecteurs assidus d’Amélie Nothomb peuvent se rassurer : « Dans ce que j’ai écrit depuis, le désir de meurtre est réapparu parce que le désir de meurtre fait partie de l’humanité ».

 

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