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Nothomb : "l’immense majorité de ce que j’écris n’est pas publié"

Amélie Nothomb Amélie Nothomb fête cette année sa 20e année de succès.[PHILIPPE HUGUEN / AFP]

Il y a tout juste 20 ans, Amélie  Nothomb faisait paraître son premier livre, « Hygiène de l’assassin ». Depuis, l’auteure n’a cessé d’écrire un seul instant et pas une rentrée littéraire ne s’est déroulée sans que les tables des libraires ne se couvrent d’ouvrages signés de cette Belge née au Japon. Cette année, elle fait paraître « Barbe bleue », son 21è roman, qui ne constitue, comme l’écrivain le confie, que le sommet de l’iceberg d’une carrière incroyable puisqu’elle en serait à son 75e manuscrit.

 

Quel est le secret de votre longévité ?

Le secret, c’est de ne jamais s’arrêter d’écrire. J’ai parlé avec de nombreux collègues écrivains et j’ai pu m’apercevoir que la différence entre eux et moi, c’était qu’ils s’interrompaient entre deux livres. Tandis que moi, je recommence à écrire un nouveau livre dès le lendemain où j’en termine un. Tous les autres écrivains m’ont toujours dit que, pour eux, le moment le plus difficile était celui où il fallait se remettre à écrire, parce qu’il fallait se remettre en jambe. Mais de mon côté, comme je ne laisse aucun moment d’interruption entre deux romans, la plaie de l’écriture n’a jamais le temps de cicatriser. Le sang continue de couler.

 

L’écriture est-elle pour vous davantage un plaisir ou un accouchement avec douleur, un combat ?

C’est un plaisir et un combat, c’est tout à fait conciliable. Je pense que de toute façon, à la base de l’écriture, du moins dans mon cas, il y a une très grande souffrance. Enfin, écrire n’est pas une souffrance, mais c’est dur. Mais difficile ne veut pas dire souffrir. Difficile est plutôt à entendre comme un adjectif de l’ordre du plaisir. Si on réfléchit à la vie, ce qui nous donne du plaisir, c’est ce qui est difficile. Les plaisirs faciles ne sont pas de grands plaisirs.

 

Quelle sortie vous a le plus marqué durant ces 20 ans de carrière ?

Evidemment la première. Elle a été un choc incroyable dans ma vie. Je ne m’attendais pas du tout à être publié et encore moins par un grand éditeur français. Je rappelle que je suis belge et je ne m’attendais surtout pas à un pareil succès. Ca a été un événement capital dans ma vie.

 

Etait-ce votre premier manuscrit ?

C’était le premier manuscrit que j’envoyais à un éditeur mais ce n’était pas mon premier manuscrit. C’était le 11e que j’avais écrit. J’avais gardé les dix précédents pour moi et ne les avais montrés qu’à ma sœur avec qui j’habitais à l’époque. « Hygiène de l’assassin » était le 11è manuscrit mais c’était la première fois que j’étais vraiment fière de ce que j’écrivais. Et j’ai voulu tenter l’aventure parce que je me disais que si je pouvais partager ce roman avec d’autres, j’en serai fière. Je l’ai donc envoyé à deux éditeurs à Paris. D’abord à Gallimard pour Philippe Sollers qui l’a refusé, et puis à Albin Michel au président. J’étais à Bruxelles donc je ne me rendais pas compte que je m’adressais à des personnages immenses. Puis, le patron lui-même m’a appelé pour me dire qu’il publiait mon livre.

 

Il existe donc des manuscrits que vous ne publiez pas ?

L’immense majorité de ce que j’écris n’est pas publié. Je suis en train d’écrire mon 75è manuscrit. 75 moins 21, vous voyez qu’il existe beaucoup plus de romans non publiés que de romans publiés.

 

Pourquoi ne les publiez-vous pas ?

Je dirai que de manière général, le premier but de l’écriture n’est pas la publication. La publication est quelque chose de très intéressant et que je prends très au sérieux. Mais lorsqu’on écrit un manuscrit, on le fait parce qu’on a un mystère en soi et qu’on essaie d’y voir plus clair. Il peut arriver que je me dise, ça j’aimerais le partager, cela pourrait intéresser d’autres personnes. Parmi cette sélection que je fais seule, il existe aussi le critère qualitatif mais le principal critère est cette part du mystère que j’ai élucidé et qui peut intéresser d’autres que moi.

 

Le roman que vous préférez est-il selon qui s’est le mieux vendu ?

Pas du tout. Je n’ai pas de préféré. Mes livres sont mes enfants. Je les aime tous très profondément avec leurs qualités et leurs défauts. Ce serait assez horrible de la part d’une mère de famille de préférer celui de ses enfants qui a le mieux réussi dans la vie.

 

Vous n’avez donc pas l’angoisse de la page blanche puisque vous ne vous arrêtez jamais. Mais alors, au contraire, avez-vous des moments de fulgurance comme le mythe de La Chartreuse de Parme écrit par Stendhal en une nuit ?

Ca peut arriver et quand ça se produit c’est extraordinaire. Mais ça ne se prémédite pas. Tout ce qu’on peut faire c’est espérer que ça se produise. Ce sont ces moments où la grâce passe et tout à coup on est possédé. Ca ne vient même plus de soi. Tous les jours je me mets à la disposition de l’écriture. J’écris un minimum de 4 heures par jour, de 4h à 8h du matin. Pendant ces heures-là, j’essaie de faire en sorte que si la grâce voulait me tomber dessus, elle le pourrait. Maintenant elle me tombe dessus quand elle veut !

 

Marguerite Duras avait aussi cette manière de faire. C’est une hygiène de vie…

Ah oui. Vous savez le mythe de l’écrivain qui écrit quand ça lui chante, à n’importe quelle heure, c’est n’importe quoi. A la base de toute œuvre, il y a une discipline de fer et Duras en est un excellent exemple. Presque tous les écrivains qui ont compté se contraignaient. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’exception, mais la règle c’est quand même de s’imposer quelque chose. Parce que quand on s’impose quelque chose, c’est qu’on est humble. Ceux qui se prennent pour des génies en disant que l’écriture viendra quand ça me chante, c’est un manque d’humilité. Quand on manque d’humilité, généralement ça ne marche pas.

 

Lors de ces rentrées littéraires, avez-vous la curiosité d’aller jeter un œil aux tables des libraires ?

Entendons-nous bien, j’ai beaucoup de curiosité vis-à-vis des livres des autres. Je les lis, je les achète. Mais quand on est un écrivain publié, la chose à ne surtout pas faire, et que tant d’écrivains publiés font, c’est d’aller dans les librairies pour aller voir son propre livre. C’est une erreur capitale qui rend complètement paranoïaque et que les libraires trouvent odieuse et je peux les comprendre.

 

Vous avez quand même le temps de lire vos confrères ?

Je n’ai pas le temps mais je le prends. J’ai besoin de lire, autant que d’écrire. Je lis donc tous les jours. Aussi bien des choses qui viennent de paraître, que des confrères, que des classiques. On n’a jamais fini de lire les classiques. En ce moment, je lis « L’amour sans le faire » de Serge Joncour et je trouve ça absolument merveilleux.

 

Y’a-t-il des thématiques ou des formes récurrentes à tous vos ouvrages ?

La thématique qui est celle de tous mes livres, que je retrouve dans ceux publiés ou non, c’est celle du conflit. Le schéma de base de presque tous mes livres est le suivant : prenez une poignée d’êtres humains, très peu. Mettez-les dans un espace réduit et observez ce qui se passe. Et comme par hasard dans tous les cas, très vite ça dégénère en conflit. Ca me vient de mon observation de la réalité. Et ce qui est tragique, c’est que même dans les moments où ça devrait bien se passer bien, dans le cas de l’amour ou de l’amitié, surtout l’amour et l’amitié, ça dégénère en conflit.

 

Avez-vous le sentiment d’avoir épuisé tous les mystères que vous aviez en vous ?

Mon avenir, je ne le connais pas. Quand on me dit demain, j’ai déjà beaucoup de mal à comprendre. Alors à plus forte raison l’année prochaine… Je ne peux pas me projeter si loin. Mais des idées, ça j’en ai. J’ai encore énormément de choses à dire, ça je le sais. Quant à savoir si j’ai encore une belle carrière devant moi, aucune idée, c’est la dernière chose à laquelle je pense.

 

Pourquoi réécrire le conte de Barbe bleue ?

Ca a toujours été mon conte préféré. Ma mère me l’a raconté quand j’avais 3 ou 4 ans. Et ça m’avait beaucoup marqué. De tous les contes, je trouvais que c’était le plus effrayant, le plus bizarre. Et puis à 13 ans, j’ai lu Perrault et Barbe bleue s’est confirmé être mon conte préféré. Mais ça m’a scandalisé. Je trouvais que Perrault ne nous en disait pas assez. C’était incompréhensible qu’il ne nous explique pas pourquoi Barbe bleue était devenu comme ça. On nous dit que c’est un monstre, point final. Aucune explication.

J’ai trouvé que Barbe bleue avait le droit de s’expliquer. Si le mystère était les femmes mortes, quel était le mystère de la pièce secrète avant cela ? Ca ne tient pas debout cette histoire ! Et puis, un autre élément avait insupporté mes 13 ans : pourquoi ces femmes sont-elles plus cruches les unes que les autres ? Pourquoi n’y en a-t-il pas une seule qui soit plus intelligente que les autres. Je voulais régler mes comptes avec cette histoire et ça a fini par se produire.

 

Quelles sont les thématiques contemporaines de ce conte ?

Une thématique éternelle est celle du secret. Notre époque, de toutes les époques qui ont existé, est celle qui conspire le plus contre les secrets. On nous calque sur le modèle américain. On a tous les droits, pourvu qu’on dise tout. Et ça ne me vas pas du tout. C’est le contraire de la liberté. Internet est un outil très grave contre les secrets. Les caméras de surveillance aussi. On nous dit que c’est pour nous protège, mais je vois surtout que cela rend nos secrets impossibles. Je pense aux amoureux qui se cachent… Je pense à une guerre où les Juifs devraient à nouveau se cacher. Vous imaginez les caméras de surveillance, c’est effrayant ! Je pense qu’il est plus urgent que jamais de reconquérir son droit au secret. Et c’est pour ça que je pense que la cause de Barbe bleue est juste et que le traitement de Perrault ne me satisfait pas. Un homme qui a un secret est quelqu’un de bien.

 

Il a un secret mais c’est quand même un assassin...

C’est ça le problème. A 13 ans, je lui donnais raison. Je trouvais qu’on avait le droit de tuer les gens qui violaient vos secrets. Aujourd’hui, je suis peut-être moins radicale. Aujourd’hui je suis contre la peine de mort, mais je trouve qu’un châtiment s’impose. A la place de Barbe bleue, j’aurai tout simplement quitté ces femmes.

 

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