En direct
A suivre

Les Français et les musées : pour une « démocratisation culturelle »

Le musée du Louvre[CC/gmmail]

Éminent historien d’art, membre de l’Académie française, Pierre Rosenberg a été président-directeur du musée du Louvre de 1994 à 2001. Observateur avisé du monde de l’art et des musées, il a accepté de répondre à nos questions sur l’actualité des musées.

 

Archives – Article publié le vendredi 28 mars 2007

 

En 2007, le musée du Louvre a accueilli 8,3 millions de visiteurs. Les grands musées et les grandes expositions affichent une fréquentation record. Comment expliquer ce succès ?

Pierre Rosenberg : Il faut avant tout ne pas confondre visiteurs et touristes. Ces derniers, il est vrai, sont nombreux, mais ils sont surtout attirés par l’événement et le sensationnel. En fait, le véritable visiteur de musée se fait au contraire de plus en plus rare, même dans les grands musées.

 

On croise beaucoup de touristes étrangers dans les salles des musées, est-ce à dire que le public français n’aime pas l’art ?

P. R. : Ce n’est heureusement pas aussi simple. Le problème est plutôt que la plupart de nos concitoyens n’ont pas appris à aimer l’art. Les Italiens, par exemple, sont beaucoup plus sensibles à leur patrimoine et fréquentent davantage les musées et les monuments. La raison en est simple : ils étudient l’histoire de l’art à l’école.

 

Pensez-vous que cela change vraiment quelque chose ?

P. R. : Evidemment ! Tout le monde apprend à lire, mais personne aujourd’hui en France n’apprend à regarder. Or, il faut montrer aux Français les richesses de leur patrimoine, le talent de leurs artistes et les trésors de leurs musées. Apprendre à regarder, apprendre l’histoire des beautés qui nous entourent, c’est véritablement faire de la démocratisation culturelle. Une famille aisée et cultivée n’a pas besoin de l’école pour avoir envie d’aller au musée, mais les foyers les plus modestes ont aussi le droit de profiter du patrimoine et d’exiger qu’on leur en parle à l’école.

 

En un mot, il faudrait introduire des cours d’histoire de l’art à l’école.

P. R. : Exactement ! A condition bien sûr que ces cours ne soient pas donnés par des artistes mais par des historiens d’art, c’est-à-dire des gens dont l’enseignement de l’histoire de l’art est le métier. On n’aurait pas idée de confier des cours de français à un écrivain ou des cours de mathématiques à quelqu’un d’autre qu’à un professeur de mathématiques.

 

On a beaucoup parlé des musées, mais qu’en est-il des expositions ?

P. R. : Le risque est le même que pour les musées. Il ne faut pas se laisser leurrer par l’impressionnant nombre d’expositions qui fleurissent chaque jour. Cette surenchère cache souvent une baisse générale de qualité. Il y a des exceptions bien sûr, mais la tendance actuelle est plutôt inquiétante.

 

Pourquoi inquiétante ?

P. R. : Parce que de plus en plus, les musées sont soumis à la loi de l’événement, car l’événement attire du monde. Il est à craindre que, demain, les maires préfèrent financer des expositions temporaires plutôt que les collections permanentes des musées de leur ville. Et avec des menaces comme celle de la fin de l’inaliénabilité, les musées pourraient bien devenir des coquilles vides avec des expositions racoleuses pour attirer le touriste.

 

Vous avez évoqué l’inaliénabilité, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

P. R. : Le mot est un peu barbare, en effet. En France, les œuvres des musées sont inaliénables, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de les céder ni de les vendre. Remettre en cause ce principe serait une très grave erreur. Par exemple, si les œuvres des musées étaient aliénables – vendables en somme –, le musée d’Orsay n’existerait pas car la peinture qui y est exposée – je fais allusion à ces peintres que l’on nomme par commodité les «pompiers« – était il n’y a pas si longtemps encore considérée inintéressante.

 

Mais cela ne permettrait-il pas de rapporter de l’argent aux musées à un moment où ils en manquent tellement...

P. R. : Non, l’argument ne tient pas. Soit on fera des sous mais il faudra vendre des chefs-d’œuvre et ce sera une catastrophe ; soit on ne vendra que des croûtes et par définition cela ne rapportera rien. En tout état de cause, le risque est grand et le jeu n’en vaut pas la chandelle. La préservation du patrimoine doit être un engagement collectif. Mieux vaut donc trouver d’autres financements en développant le mécénat qu’ouvrir la boîte de Pandore de la fin de l’inaliénabilité.

 

Restauration artistique : mettre au jour des œuvres oubliées »

Peinture : L’Europe de Rubens Exposée au Louvre-Lens

Musée : au CIRA, tout sur les anars mais point de foutoir

 

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités