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Dieudonné, du meilleur des comiques au provocateur antisémite

Dieudonné sur scène au théâtre de la Main d'or à Paris le 15 janvier 2012 [Patrick Kovarik / AFP/Archives] Dieudonné sur scène au théâtre de la Main d'or à Paris le 15 janvier 2012 [Patrick Kovarik / AFP/Archives]

Ex-comparse d'Elie Semoun, ancien chouchou des plateaux de télévision, considéré comme l'un des meilleurs comiques de sa génération, Dieudonné a basculé il y a dix ans dans un autre monde, où se côtoient conspirationnistes, négationnistes et assassins médiatisés.

"La seule passion qui l'anime, ce n'est pas la haine du Juif, c'est l'amour de soi", dit de Dieudonné un homme qui a récemment travaillé avec lui avant de couper les ponts. "Ce qu'il dit encourage l'antisémitisme mais lui ne dit ça que pour exister", assène-t-il.

De l'attention, des fans, Dieudonné en a eus bien avant les accusations d'antisémitisme qui lui valent aujourd'hui des interdictions de spectacles.

C'est à la télévision, en 2003, sur le plateau de Marc-Olivier Fogiel, que l'humoriste bascule dans une autre dimension en concluant par un salut nazi un sketch raté dans lequel il campait un Juif extrémiste.

La sortie provoque une tempête de réactions et de plaintes.

"Sans cette campagne virulente contre lui, Dieudonné ne se serait pas engagé dans ce cycle de contestation", dit Pierre Panet, un proche de l'artiste, ancien syndicaliste. "Il fonctionne comme ça. +Puisque vous m'avez cherché, vous allez me trouver+".

"Bamboula"

Dieudonné M'bala M'bala, 47 ans, est né à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) d'un père camerounais expert-comptable et d'une mère bretonne sociologue.

De son enfance, il se rappelle le racisme. "Ma grand-mère maternelle, bretonne, nous était hostile et a fini par nous accepter", expliquait-il en 2001, ajoutant que ses camarades d'écoles "s'amusaient à (l)'appeler +Bamboula+".

Il rencontre Elie Semoun au lycée et commence à écrire des sketchs entre deux boulots. Il vend de tout: photocopieuses, filtres à eau, voitures...

Le duo connaît le succès dans les années 90. Dieudonné est "très doué et très drôle" (Guy Bedos), un "comédien hors pair" (Ramzy) et même "le meilleur d'entre nous" (Jamel).

Mais une réputation d'homme susceptible et cupide lui vaut des inimitiés. L'argent a été "une source de fâcheries avec beaucoup de nos amis", explique dans son autobiographie Elie Semoun. Y compris avec lui, jusqu'à la séparation.

Progressivement, son discours se fait politique. Un "déclic" qu'il situe en 1995 après le meurtre d'un Français d’origine comorienne par des militants FN.

En 1997, il se présente à Dreux (Eure-et-Loir) face au FN et recueille 7,74% des voix aux législatives, puis à la présidentielle de 2002 où il renonce finalement faute de parrainage.

Entre-temps, des propos choquent: en 2002, il dit des "Juifs" qu'ils forment une "secte, une escroquerie", de Ben Laden qu'il "inspire le respect". Les attaques antisémites se multiplient. A la fin des années 2000, "Dieudonné persiste dans la provocation révisionniste", indique une note de la Sous-direction de l'information générale (Sdig), les ex-RG, dont l'AFP a obtenu copie. En cause notamment, plusieurs sketches avec le négationniste Robert Faurisson.

Dieudonné y a perdu beaucoup d'amis: Alain Chabat, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze ou Elie Semoun - qu'il a cependant revu récemment, selon une source proche.

"En tant qu'artiste, franchement, il est drôle, il est brillant. Mais là, je me demande s'il n'a pas confondu combat et fonds de commerce", déclarait Joey Starr en décembre.

Il gagne aussi des amitiés. Le chef du gang des barbares Youssouf Fofana, le conspirationniste Thierry Meyssan, l'essayiste d'extrême droite Alain Soral, Jean-Marie Le Pen - le parrain de sa fille Plume -, l'ancien chef d’État iranien Ahmadinejad (Téhéran a cofinancé son film, L'antisémite).

Le footballeur Nicolas Anelka s'est fendu fin décembre d'une "quenelle" après un but, "spéciale dédicace pour (son) ami Dieudonné".

"Crucifié"

Il y a aussi tous ses fans anonymes qui remplissent les salles et se jettent sur ses vidéos. 490.000 personnes "aiment" sa page Facebook. Il a gagné 50.000 "like" par semaine depuis que le ministre de l'Intérieur veut l'interdire. Sa réponse à Manuel Valls sur Youtube a été vue trois millions de fois.

"Vous êtes en train de le crucifier et vous croyez qu'il ne va pas répondre ?", dit son ami Kémi Séba, fondateur de la Tribu K, un groupe noir ultra-radical dissous en 2006. "Il est dans une logique d'escalade", jure-t-il.

Sa compagne, Noémie Montagne, gère les affaires, notamment Les productions de la Plume, une boîte de production au chiffre d'affaires de 1,8 million d'euros en 2012, qu'elle détient avec la mère de Dieudonné.

En 2013, cette société a racheté 551.000 euros la propriété de Dieudonné, une vieille bâtisse et des hangars situés à Saint-Lubin-de-la Haye (Eure-et-Loir), vendus aux enchères pour rembourser une dette de 887.135,74 euros au fisc.

A dix kilomètres de là, au Mesnil-Simon, le nom de Mme Montagne figure sur la boîte aux lettres de la propriété ou vit le polémiste: plusieurs bâtiments rénovés en vieille pierre et poutres apparentes, véranda, piscine couverte et terrain de tennis.

Condamné neuf fois pour ses dérapages verbaux, Dieudonné refuse de payer ses 65.000 euros d'amendes et risque théoriquement la prison. Ce père de sept enfants - dont Juda, 5 ans et Ô, 4 ans - s'y est préparé. En novembre dernier, il s'était dit "déçu" de ne pas avoir "droit à la prison", parce que cela faisait partie de sa "campagne promotionnelle".

Il connaît le milieu carcéral. En juillet, à la prison de Poissy (Yvelines), il était témoin d'un mariage entre deux hommes, un tueur en série et l'auteur d'un quadruple meurtre. L'autre témoin: son ami Carlos, figure du terrorisme des années 70.

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