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En Europe, des appels à instaurer des «taxes corona» sur les grandes fortunes

Selon ses partisans, une taxe sur les plus riches permettrait d'aider financièrement les populations les plus affectées par la crise du coronavirus. Selon ses partisans, une taxe sur les plus riches permettrait d'aider financièrement les populations les plus affectées par la crise du coronavirus. [INA FASSBENDER / AFP]

Vers des «taxes corona» en Europe ? Dans plusieurs pays européens, dont la Belgique, la Suisse, la France ou l'Italie, des partis de gauche réclament l'instauration d'une taxe de solidarité sur les grandes fortunes, afin d'éponger une partie des dettes liées à la crise du coronavirus et protéger les salariés.

C'est de Belgique que l'idée est partie à la fin du mois de mars, avec la proposition du Parti du travail de Belgique (PTB) de mettre en place une contribution exceptionnelle de 5 % sur les fortunes de plus de 3 millions d'euros, qui ramènerait 15 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat selon la formation. L'idée étant d'utiliser ensuite cet argent pour «garantir les revenus de tous les travailleurs touchés aujourd'hui par la crise», explique le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw, en permettant aux salariés au chômage économique (l'équivalent du chômage partiel en France) de toucher 100 % de leur salaire, contre 70 % dans la législation actuelle. Une pétition appelant à son instauration a recueilli près de 50.000 signatures, mais le ministre-président flamand Jan Jambon, du parti nationaliste N-VA, s'y est déclaré opposé.

Les projections économiques se faisant de plus en plus sombres, le commissaire européen à l'Economie Paolo Gentiloni évoquant pour l'UE la semaine dernière «un choc économique sans précédent depuis la Grande Dépression» de 1929, l'idée a essaimé dans plusieurs Etats d'Europe de l'Ouest, particulièrement touchée par le coronavirus. On peut citer l'Italie, troisième pays du monde le plus endeuillé par la pandémie (environ 30.000 morts), où le Parti démocrate (PD, centre-gauche), membre de la coalition au pouvoir avec le Mouvement 5 Etoiles (M5S, antisystème), a proposé une taxe progressive sur les ménages dont le revenu annuel dépasse 80.000 euros. Mais selon le quotidien La Repubblica, le M5S serait contre. Même constat en Allemagne, où l'idée d'un «prélèvement spécial unique» sur les hauts patrimoines pour financer le plan de relance économique, évoquée par les sociaux-démocrates du SPD (centre-gauche), rencontre l'opposition de son partenaire gouvernemental, la CDU (centre-droit) de la chancelière Angela Merkel

Même la Suisse veut taxer ses millionnaires

En Autriche, c'est le parti communiste, le KPÖ, qui a lancé une campagne début avril pour une «taxe corona» sur les millionnaires, reprenant l'appellation du PTB belge. Même en Suisse, pourtant le pays le plus riche du monde en termes de fortune par habitant (564.650 dollars d'avoirs moyens par adulte selon le Global Wealth Report 2019, soit environ 520.000 euros), l'idée fait son chemin. Elle a été lancée par le PST-POP (Parti suisse du travail - Parti ouvrier et populaire), à travers une pétition réclamant «un prélèvement unique de 2 % sur la fortune et le patrimoine d’une valeur de 3 millions de francs suisses (2,8 millions d'euros, NDLR) et plus». Les 17,5 milliards de francs suisses (16,6 milliards d'euros) espérés de cette mesure devant ensuite être redistribués «aux travailleurs, aux familles et aux petites entreprises qui sont en détresse financière à cause de la crise du coronavirus». Le Parti socialiste (PS) suisse s'est également rangé à cette idée, proposant de son côté de soumettre les plus hauts revenus à «un supplément de 10 % d'impôts fédéraux pendant un certain temps». 

Ce débat sur une «taxe corona» n'épargne pas la France. Dans une longue vidéo publiée sur le site de Mediapart la semaine dernière et très relayée, l'acteur Vincent Lindon imagine une contribution exceptionnelle baptisée «Jean Valjean», du nom du personnage principal du roman «Les Misérables» de Victor Hugo, «conçue comme une forme d’assistance à personnes en danger, financée par les patrimoines français de plus de 10 millions d’euros, sans acrobaties, à travers une taxe progressive de 1 % à 5 %», pour faire face à l'explosion des inégalités due à la crise du Covid-19. Le but étant d'utiliser cette trésorerie pour distribuer 2.000 euros aux quelque 21 millions de foyers les plus pauvres, selon le principe de la «monnaie hélicoptère».

En France, Le retour de l'ISF mis sur la table

Du côté de l'opposition de gauche et des syndicats, on profite plutôt de la pandémie pour demander le rétablissement de l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune), remplacé en 2017 par l'IFI (impôt sur la fortune immobilière), alors que les mesures prises pour aider les entreprises à survivre à la crise du coronavirus font s'envoler les dépenses publiques (9,9 % de déficit public attendu cette année en France selon la Commission européenne). Selon le patron de la CFDT Laurent Berger, interrogé sur Franceinfo début avril, la crise sanitaire pose la question de la participation des «plus riches» à «l'effort collectif», qui pourrait se faire «par le biais de l'ISF». La France insoumise (LFI) est plus directe, exigeant dans une pétition lancée début avril - signée par 25.000 personnes - le retour de l'ISF afin de «récupérer 3,2 milliards qui pourraient directement être injectés dans la planification sanitaire», une revendication que partagent le PS et les communistes. Le gouvernement reste inflexible, répétant que la relance ne passera pas par une augmentation des impôts, écartant ainsi tout rétablissement de l'ISF. 

Plutôt que des «taxes corona» nationales, trois économistes français renommés, Camille Landais, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez - les deux derniers ont notamment contribué au programme des candidats à la primaire démocrate américaine 2020 Bernie Sanders et Elizabeth Warren -, proposent la création d'un ISF européen, qui s'appliquerait aux patrimoines de plus de 2 millions d'euros. «Une telle taxe permettrait de lever chaque année un montant équivalent à 1,05 % du PIB de l’Union, ce qui permettrait d’éponger en une dizaine d’années les dettes supplémentaires liées au coronavirus», explique Camille Landais, professeur à la London School of Economics, à La Croix. Mais les obstacles à un tel mécanisme sont nombreux, entre l'absence de base juridique pour une taxe européenne, le risque d'exil fiscal, notamment vers le Royaume-Uni, et l'accentuation des divisions entre les pays, un patrimoine de 2 millions d'euros n'étant pas comparable que l'on habite en France ou en Roumanie par exemple. 

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