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Recep Tayyip Erdogan, nouveau "sultan" controversé de la Turquie

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan lors d'un meeting électoral à Ankara, le 8 août 2014, avec son épouse Emine, à gauche [Adem Altan / AFP] Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan lors d'un meeting électoral à Ankara, le 8 août 2014, avec son épouse Emine, à gauche [Adem Altan / AFP]

Ses fidèles le vénèrent autant que ses critiques le haïssent. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, grand favori de la présidentielle de dimanche, s'est imposé en onze ans comme un maître absolu, mais de plus en plus contesté, de la Turquie.

A 60 ans, le chef du gouvernement depuis 2003 reste, de très loin, l'homme politique le plus populaire et le plus charismatique depuis Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne. "Le mâle dominant de la politique turque", résume un diplomate.

Dans l'esprit de la majorité religieuse et conservatrice du pays, il est celui qui leur a permis de bénéficier d'une décennie de forte croissance économique et d'une stabilité politique dont ils avaient perdu l'habitude.

Mais depuis un an, M. Erdogan est aussi devenu la figure la plus contestée du pays.

Dénoncé comme un "dictateur" par la rue pendant les émeutes de juin 2013, il est considéré comme un "voleur" depuis sa mise en cause, l'hiver dernier, dans un scandale de corruption sans précédent qui a fait trembler son régime sur ses bases.

Des écoutes téléphoniques pirates l'ont peint en "parrain" extorquant des pots-de-vin aux patrons ou en autocrate imposant leur "une" aux médias. Et ses décisions de bloquer l'accès aux réseaux sociaux Twitter et YouTube ont suscité une avalanche de protestations, en Turquie comme dans les capitales étrangères.

"Il a définitivement perdu toute légitimité pour diriger ce pays", répète à l'envi son principal opposant, le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.

- Homme fort -

Mais celui que rivaux et partisans présentent parfois comme le nouveau "sultan" ne s'est pas démonté. Loin de là. Sûr de sa force électorale, M. Erdogan a riposté en reprenant sa stratégie favorite, celle de "l'homme du peuple" victime d'un "complot" des élites.

Pendant des semaines, il a galvanisé sa base en agitant le spectre d'un "complot" ourdi contre lui par ses anciens alliés de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen. Avec succès, puisque son parti a remporté haut la main les municipales du 30 mars (45% des voix).

C'est en cultivant cette image d'homme fort, proche des préoccupations du Turc de la rue, que ce gamin des quartiers modestes d'Istanbul a gravi les marches du pouvoir.

Éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, "Tayyip" a un temps caressé le rêve d'une carrière de footballeur, avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste.

Elu maire d'Istanbul en 1994, il triomphe en 2002 lorsque son Parti de la justice et du développement (AKP) remporte les législatives. Et devient Premier ministre un an plus tard, une fois amnistiée une peine de prison qui lui avait été infligée pour avoir récité en public un poème religieux.

Pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme libéral et islam modéré, enchaîne les succès, dopé par la croissance "chinoise" de son économie et sa volonté d'entrer dans l'Union européenne (UE).

Réélu en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il se prend alors à rêver à haute voix de rester aux commandes du pays jusqu'en 2023, pour célébrer le centenaire de la République turque.

- Dérives -

Mais ce scénario se complique en juin 2013. Pendant trois semaines, plus de trois millions et demi de Turcs descendent dans la rue pour lui reprocher sa main de fer et sa politique de plus en plus ouvertement "islamiste".

Le chef du gouvernement répond par une répression sévère des "pillards" et des "terroristes" qui le contestent, mais son crédit démocratique en prend un sérieux coup.

"Depuis qu'il a pris le pouvoir, il a progressivement viré du pragmatisme à l'idéologie, du travail d'équipe aux décisions personnelles, de la démocratie à l'autoritarisme", résume Ilter Turan, professeur à l'université Bilgi d'Istanbul.

En mai dernier, après la catastrophe minière de Soma (301 morts), il s'est lui-même chargé de nourrir son image controversée en menaçant physiquement un manifestant. "Si tu hues le Premier ministre, tu vas te prendre une claque !", lui a-t-il lancé.

M. Erdogan a repris le même discours clivant et agressif pendant sa campagne présidentielle. Pointant du doigt l'origine ethnique minoritaire de certains de ses rivaux, dénonçant Israël ou fustigeant une journaliste "effrontée" qui avait osé le critiquer.

Ces sorties très populaires, populistes disent ses détracteurs, ont indigné ses critiques, mais réjoui ses partisans et conforté son image de chef.

"Dans ce climat très polarisé, le culte d'Erdogan constitue une menace pour la démocratie et la paix sociale en Turquie", s'est inquiété l'éditorialiste Kadri Gürsel.

Faute d'adversaire à sa mesure, Recep Tayyip Erdogan se prépare désormais à diriger le pays depuis une présidence "forte" qui, après celle modérée exercée par son compagnon de route Abdullah Gül, s'annonce tendue, heurtée et partisane.

"Erdogan va utiliser jusqu'à leur extrême limite tous ses pouvoirs constitutionnels", a prédit l'universitaire Ahmet Insel, "ça va conduire à une sérieuse crise de régime en Turquie, source d'encore plus d'instabilité et de turbulences".

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