En direct
A suivre

Mexique: quand la misère poussait à confier son enfant à "Mama Rosa"

Une Mexicaine exhibe le contrat que les parents signaient en confiant la garde de leurs enfants au foyer "La Gran Familia"(la grande famille) où la police a fait un raid et libéré 596 personnes dont 458 enfants à Zamora, au Mexique le 16 juillet 2014  [Hector Guerrero / AFP] Une Mexicaine exhibe le contrat que les parents signaient en confiant la garde de leurs enfants au foyer "La Gran Familia"(la grande famille) où la police a fait un raid et libéré 596 personnes dont 458 enfants à Zamora, au Mexique le 16 juillet 2014 [Hector Guerrero / AFP]

Dès huit ans, Luis Alberto "traînait dans la rue, volait et se bagarrait". Sa mère sans ressources n'hésita pas à signer un document qui confiait son fils, sans pouvoir le réclamer jusqu'à ses 18 ans, au foyer mexicain aujourd'hui accusé par les autorités d'insalubrité, de mauvais traitements et de sévices sexuels.

Dans ce contrat passé devant notaire, mais qu'aujourd'hui elle aurait voulu n'avoir jamais signé, Maria Evelia Zamora acceptait de payer 30 pesos mensuels (moins de deux euros) pour que son fils soit interné pendant 10 ans au foyer "La Grande Famille" de Zamora, dans l'Etat du Michoacan, dans l'ouest du Mexique.

Dans ce document dont elle a donné connaissance à l'AFP, Maria acceptait de ne pas reprendre l'enfant avant la fin de cette période et de ne pouvoir lui rendre visite que tous les quatre mois.

"Nous ne l'avons mis là-bas que pour qu'il étudie", explique cette femme menue, mère de quatre enfants qui garde ce vieux contrat dans un petit sac en plastique troué où elle range ses affaires.

Maria fait partie de ces centaines de familles, vivant dans la misère, comme la moitié de la population mexicaine, qui ont accepté de confier aveuglément leurs enfants au foyer, faisant confiance à sa bonne réputation en matière d'éducation et de formation musicale.

Pendant des années, les responsables politiques locaux et fédéraux ont multiplié les éloges et les appuis au foyer fondé et dirigé depuis sa jeunesse par Rosa del Carmen Verduzco, dite "Mama Rosa", aujourd'hui âgée de 80 ans et en état d'arrestation depuis mardi.

Mais maintenant, les parents repentants comme Maria attendent de pouvoir retirer leurs enfants du foyer que les autorités fédérales occupent militairement, affirmant que les 607 internes, dont 438 mineurs, étaient retenus, souvent contre leur volonté, dans des conditions inhumaines.

- Interdit de voir les installations -

Paradoxalement, aucun des proches interrogés par l'AFP n'a été en mesure de décrire les lieux où séjournent depuis des mois ou des années les enfants confiés à l'institution qui se vante sur Facebook de fournir un enseignement de qualité à des jeunes délinquants, des drogués ou des enfants des rues abandonnés.

Personne n'a pu confirmer si, comme le disent les autorités, les enfants dormaient au milieu de rats et de punaises et mangeaient des aliments avariés : Mama Rosa recevait les enfants à l'entrée et ne permettait jamais qu'on puisse voir les installations.

"On nous a dit qu'ici ils étaient bien, qu'ils étudiaient et qu'on leur apprenait un métier. On aimait bien ce que nous disait Mama Rosa, que les enfants ne pouvaient pas sortir, qu'on ne leur permettait pas de se droguer", explique Alvaro Vazquez, qui, des montagnes de l'Etat du Guerrero (sud), a fait 800 km afin d'aller chercher son petit-fils de 17 ans.

Ce vieil homme chétif et édenté raconte à quel point il était désemparé quand il s'est retrouvé avec l'adolescent rebelle à sa charge. Il assure que c'est la branche du Guerrero de l'Assistance sociale fédérale (DIF) qui lui a recommandé d'envoyer son petit-fils à "La Grande Famille", après l'échec de ses tentatives pour l'inscrire, à l'âge de 14 ans, dans un groupe d'alcooliques anonymes.

M. Vazquez n'a pu voir son petit-fils que deux fois en deux ans. A chacune de ses visites, un employé du foyer assistait à la conversation.

- Visites sous surveillance -

"Il y avait toujours une femme pour écouter, mais un des mes fils a réussi à me dire à voix basse qu'il voulait rentrer à la maison, que ça ne lui plaisait pas", raconte Norma Ortiz, une femme de ménage de Tancitaro (Michoacan). Elle se souvient qu'un autre de ses fils, sourd-muet, arrivait aux visites avec des traces de coups.

Devant le foyer "La Gran Familia"(la grande famille) où la police a fait un raid et libéré 596 personnes dont 458 enfants à Zamora, au Mexique le 16 juillet 2014  [Hector Guerrero / AFP]
Photo
ci-dessus
Devant le foyer "La Gran Familia"(la grande famille) où la police a fait un raid et libéré 596 personnes dont 458 enfants à Zamora, au Mexique le 16 juillet 2014

Elle a réfléchi à retirer ses enfants. Mais après un an, elle a conclu qu'avec son salaire de 35 euros par mois elle ne pourrait jamais payer les 1.500 qui, selon elle, étaient exigés par le foyer pour libérer chaque enfant du contrat signé.

"Et maintenant... j'ai beaucoup de remords", dit-elle en larmes, impuissante.

A quelques mètres de là, observant le chagrin des familles, des habitantes élégantes de Zamora commentent à voix haute : "Tous savaient dans la ville qu'avec ces enfants ingérables, il n'y a que la poigne qui fonctionne. Quels ingrats !"

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités