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Le pari diplomatique d’Obama, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

Le 6 juin, jour anniversaire du Débarquement, seront réunis en Normandie les chefs d’Etat des pays alliés et la chancelière d’Allemagne.  Sa présence même nous rappelle que, malgré les europhobes, la réalité est bien que l’Europe c’est la paix ! Contrairement aux vœux américains, le président français y a invité Vladimir Poutine (avec lequel il doit s’entretenir de l’Ukraine), au nom du rôle joué par l’URSS dans la défaite du nazisme.

Pour Barack Obama, c’est l’occasion d’un nouveau plaidoyer pour la diplomatie qu’il conduit et qu’il a explicitée quelques jours auparavant, devant une promotion de cadets de l’académie militaire de West Point. Diplomatie fortement critiquée à l’intérieur et à l’extérieur des Etats-Unis et qui, telle qu’elle a été exposée, peut être résumée ainsi : ni-ni ! Ni interventionnisme, ni isolationnisme. Aux Etats-Unis, on lui reproche de ne pas être suffisamment isolationniste, du moins dans une partie de l’opinion ; hors des Etats-Unis, c’est le refus d’intervenir qui peut poser problème.

Bien que n’étant plus soumis à réélection et donc normalement détaché de toute contrainte électorale, Barack Obama pense principalement en termes de politique intérieure. Il a été élu pour mettre fin à deux guerres. Son premier mandat a vu le retrait des troupes américaines d’Irak. Son second mandat verra le retrait complet des troupes américaines d’Afghanistan. Personne ne saurait reprocher au président américain d’avoir tenu ses engagements. Il en a tiré toutefois un autre axiome, qui explique une bonne part de son attentisme ou de sa prudence sur les sujets les plus brûlants, hier la Libye, plus encore aujourd’hui la Syrie : «certaines de nos erreurs les plus coûteuses ne viennent pas de notre prudence, mais de notre précipitation dans des aventures militaires.»

Pour autant, a-t-il répété, «l’isolationnisme n’est pas une option». Et le président américain d’expliquer que la question n’est pas de savoir si les Etats-Unis doivent continuer à assumer leur leadership, mais plutôt de faire évoluer la manière de l’exercer. Il avait déjà évoqué, à l’occasion des opérations franco-britanniques contre la Libye de Kadhafi, la notion d’un «leadership from behind». C’est-à-dire le second plan, qui ne renonce pas à agir, mais laisse prioritairement en première ligne les pays localement les plus concernés. C’est ainsi que les Etats-Unis soutiennent les efforts de la France au Mali et au Sahel. C’est ainsi également qu’ils encouragent les pays d’Asie et d’Asie du Sud-Est à se prémunir contre les appétits chinois ou qu’ils aident financièrement les autorités de Kiev. Barack Obama a proposé d’aller plus loin dans cette stratégie, puis­qu’il a demandé au Congrès de lui accorder cinq milliards de dollars pour aider les pays qui font face en première ligne au terrorisme ou, à l’intérieur de l’opposition syrienne, les forces laïques et démocratiques.

Cette vision cohérente et sophistiquée n’exclut pas un constat plus difficile : le refus d’intervenir à temps en Syrie. Il a rendu incontournable Bachar al-Assad et a sans doute encouragé Vladimir Poutine à pousser son avantage en Ukraine en se saisissant de la Crimée, après avoir fait l’analyse que la réaction américaine serait plus rhétorique que pratique. La Chine ? Le nouveau président chinois pousse aussi ses pions et va jusqu’à nouer un partenariat stratégique avec la Russie. Le Proche-Orient ? L’immobilisme de Benyamin Netanyahou n’a été à aucun moment contrarié. Reste l’Iran où il y a l’espoir de voir aboutir une véritable négociation. Restent surtout deux ans de mandat pour mesurer la capacité de Barack Obama à accepter l’idée, selon la formule consacrée, que «l’indifférence peut être parfois plus dangereuse que l’ingérence». 

 

Jean-Marie Colombani

 

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