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«Le secteur n'attire plus» : les professionnels de la petite enfance en grève ce jeudi

Dans un rapport choc publié en avril, l'Inspection générale des affaires sociales a révélé une qualité d'accueil «très disparate» selon les crèches. [Adobe Stock/santypan]

En grève ce jeudi 19 octobre, les professionnels de la petite enfance alertent sur la crise que traverse leur secteur. Ils dénoncent le manque d'effectifs, de formation et la perte d'attractivité de leurs métiers.

Portes closes et volets tirés, certaines crèches de France n'accueilleront pas leur lot habituel de petits pensionnaires ce jeudi 19 octobre. A l'appel du collectif «Pas de bébés à la consigne», les professionnels de la petite enfance sont en grève et réclament des «solutions rapides» pour rétablir la qualité des modes d'accueil, qu'ils jugent sévèrement dégradée, et améliorer leurs conditions de travail.

Parmi leurs principales revendications figure notamment l'inscription dans la réglementation d'un taux d'encadrement unique d'un adulte pour cinq enfants, effectif au plus tard en 2027, dans toutes les crèches. A l'heure actuelle, la règle impose un encadrant pour 8 enfants s'ils marchent, un pour 5 s'ils ne marchent pas. Mais une réforme en 2021 a introduit une alternative permettant aux gestionnaires d'appliquer un taux unique d'un adulte pour 6 bambins.

Dans les faits, «l'accueil en surnombre est aujourd'hui banalisé», selon Emilie Philippe, l'une des représentantes de «Pas de bébés à la consigne». «Ce n'est pas tenable, ça ne devrait répondre qu'à des situations d'urgence.»

Non seulement les professionnels sont en sous-effectif par rapport au nombre d'enfants, mais ils sont aussi sous qualifiés, d'après le collectif. Ce dernier rappelle les conclusions de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui, dans un rapport choc publié en avril, avait recommandé un relèvement du niveau de qualification des professionnels de la petite enfance.

«Avant, les équipes devaient être composées au minimum de 50% de diplômés d'Etat (puéricultrices, infirmières, psychomotriciennes... etc) et 50% de salariés avec une qualification petite enfance, souvent titulaires d'un CAP, explique Emilie Philippe. Mais, depuis un décret de 2010, ce ratio a été ramené à 40-60%. Cela signifie que sur une équipe de 10, seules quatre personnes sont diplômées.»

S'il ne «s'agit pas de dénigrer les professionnels titulaires d'un CAP», le collectif «Pas de bébés à la consigne» insiste sur le fait que l'obtention d'un diplôme d'Etat permet toutefois un approfondissement des connaissances nécessaire pour accueillir les enfants dans de bonnes conditions. Aussi, les grévistes demandent l'inversion de ce ratio 40-60% et la mise en place d'une formation continue.

«plus de 30 villes» mobilisées

Pour sortir de la pénurie de personnel qui sévit actuellement, les professionnels de la petite enfance estiment aussi que leurs salaires doivent être réévalués. Ils visent une augmentation d'au moins 10% pour tous et dans tous les secteurs, en points d'indice dans la fonction publique. «Ce sont des métiers qui démarrent au Smic, ce qui ne correspond pas au niveau de pénibilité et aux conditions de travail, juge Emilie Philippe. Le secteur n'attire plus, surtout avec l'inflation et l'augmentation globale du coût de la vie.»

Enfin, les grévistes réclament un minimum d'une séance mensuelle d'analyse de la pratique par mois et par professionnel. Ce temps dédié à la réflexion et la mise en commun sur les enjeux du métier est actuellement limité à 6h par an, ce que le collectif «Pas de bébés à la consigne» trouve insuffisant.

«Nous souhaitons par ailleurs que ce soit inclus dans le temps de travail, ajoute Emilie Philippe. Notre métier c'est l'accueil des enfants mais c'est quelque chose qui s'anticipe, qui s'organise, ça se réfléchit en amont. Et ça aussi ça fait partie de notre temps de travail.»

Ce jeudi à Paris, un rassemblement est prévu à 10h, place des Droits de l'enfant dans le 14e arrondissement. Des manifestations sont en outre attendues dans «plus de 30 villes», parmi lesquelles Marseille, Lyon, Nantes, Rennes ou encore Dijon. Le collectif espère une mobilisation d'ampleur afin de sensibiliser le plus grand nombre à la crise du monde de la petite enfance.

Les professionnels reçus par Aurore Bergé

Récemment, le secteur a été traversé par différentes polémiques et drames, tel que la mort d'une fillette de 11 mois dans une crèche de Lyon, en juin 2022. Le rapport de l'Igas publié en avril dernier avait d'ailleurs été commandé à la suite de ce décès, révélant une qualité d'accueil «très disparate» selon les établissements.

Plus tard, en septembre, la parution du livre-enquête «Le prix du berceau» avait fini de dresser un portrait inquiétant de la petite enfance en France, dénonçant des pratiques motivées par le rendement et assimilées à de la maltraitance dans certaines crèches privées.

Si elle déplore la sitiation actuelle, «suite logique de toutes les dérèglementations survenues ces dernières années», Emilie Philippe se félicite au moins d'assister à une forme de prise de conscience. Le rapport de l'Igas notamment a permis de «mettre en lumière des problématiques dont on parle depuis 15 ans mais qui jusqu'ici restaient au sein du secteur».

Le collectif estime que la médiatisation actuelle oblige les pouvoirs publics à se saisir du sujet. Hier, à la veille de cette journée de mobilisation, une délégation de «Pas de bébés à la consigne» a d'ailleurs été reçue par Aurore Bergé, la ministre des Solidarités et de la Famille. Emilie Philippe a jugé l'entretien «encourageant», notamment parce que la ministre semblait «avoir une bonne connaissance du dossier».

Elle «s'est engagée à rencontrer les différents acteurs du secteur» et a accepté d'instaurer «un suivi», avec «des points d'étapes réguliers». Heureux de s'être sentis «entendus», les professionnels de la petite enfance préfèrent toutefois rester «prudents» : selon eux, il y a déjà eu par le passé «des annonces restées lettre morte».

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