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La semaine de Philippe Labro : l’œil de Robert Capa, le regard de «Djoko»

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste.[THOMAS VOLAIRE]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

DIMANCHE 31 JANVIER

A Melbourne, pour la sixième fois de sa carrière, Novak Djokovic remporte l’Open d’Australie de tennis. Il a 28 ans et n’est plus loin du record de Federer en termes de victoires dans les grands tournois. Avez-vous remarqué qu’on n’entend pratiquement plus parler de Rafael Nadal ? Les adjectifs concernant «Nole» tombent comme raisins en vendanges. Cela va de stupéfiant à mirifique, de faramineux à inouï, de phénoménal à surnaturel. A son âge, Djoko­vic-Le-Parfait a suffisamment de temps devant lui, et d’écart avec tous les autres joueurs du circuit, pour dépasser, en statistiques gagnantes, Rod Laver, Björn Borg, Pete Sampras et autres.

Arrêtez-vous un instant sur son regard perçant, fixe, déterminé. Les yeux semblent braqués vers les prochains objectifs. On voit comme une lame aiguisée pour faire saigner. Mais aussi un regard apte à juger son jeu autant que celui de l’adversaire, regard de prédateur, de tireur d’élite, regard du monomaniaque, de l’obsédé, du «serial killer». Athlétique, discipliné, travailleur, efficace, Djokovic possède tout ce qu’il faut pour enthousiasmer les foules.

Cependant, il se passe quelque chose d’assez surprenant : Djokovic n’est pas véritablement aimé. Souffre-t-il de la vénération universelle qui a entouré celui que, dé­sormais, il bat à chaque rencontre, Roger Federer ? On dirait que le public – et parfois même les spécialistes – ne peut totalement abandonner «Rodger», son élégance, la pureté de ses actions, son comportement exemplaire. Pour toute une génération, Federer demeure celui qu’on a «tant aimé». Les premières amours sont les plus dures à oublier. Elles ne meurent jamais vraiment.

MARDI 2 FÉVRIER

Il y a déjà quelque temps que je voulais vous parler de la publication annuelle de Reporters sans frontières, un album de cent photos dont les ventes (qui ont progressé de 36 % en diffusion d’une année à l’autre), permettent à l’association RSF de financer un soutien matériel aux journalistes indépendants en difficulté. Le «spécial n° 50» publie les plus belles photos – célèbres ou moins connues – de Robert Capa, le légendaire photographe qui fonda la grande agence Magnum.

Capa fut un personnage romanesque, séduisant, qui inspira de nombreux écrivains dont il fit ses amis – Hemingway en première ligne. Surtout, il se trouva non seulement sur les champs de bataille (du débarquement du 6 juin 1944 au conflit en Indochine), mais il sut aussi photographier les mannequins, les célébrités (Matisse, Picasso…) et les enfants dans les rues. Il y a, dans cet album, quelques clichés inoubliables. Ainsi, celui d’une petite fille, à Bilbao, pendant la guerre d’Espagne. Elle traverse une rue, sa mère la tient fermement par la main, et toutes deux scrutent le ciel, car les sirènes d’alerte au bombardement aérien se sont déclenchées. La petite fille a une sorte de rictus, sa bouche est ­déformée par la peur, comme un trait négatif sur un visage d’innocence.

L’écrivaine américaine Amanda Vaill décrit très bien cet instant fugitif que Capa a su saisir. Elle cite la fameuse phrase de ce reporter d’exception : «Si la photo n’est pas bonne, c’est que tu n’étais pas assez près.» Il a tellement voulu s’approcher, Capa, que le 25 mai 1954, dans un champ où progressent des soldats entre Nam Dinh et Thaï Binh, (Capa les photographie de dos, avançant prudemment à travers la verdure ambrée de la plaine), il saute sur une mine. La France décernera la croix de guerre à titre posthume à Endre Erno Friedmann, alias Robert Capa. On peut acquérir cet album historique pour 9,90 €. Ce n’est pas cher pour une telle richesse.

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