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En Afghanistan, des experts face au génie criminel des insurgés

L'adjudant français Olivier le 28 juin 2013 devant l'ordinateur du laboratoire de l'Otan à Kaboul [Massoud Hosseini / AFP] L'adjudant français Olivier le 28 juin 2013 devant l'ordinateur du laboratoire de l'Otan à Kaboul [Massoud Hosseini / AFP]

Penché sur un écran d'ordinateur dans un laboratoire de l'Otan à Kaboul, entre deux appareils ultra-sophistiqués, l'adjudant français Olivier désigne un numéro dans une liste extraite d'un téléphone portable retrouvé après un attentat: "C'est cet appel qui a déclenché" l'explosion.

Il fait partie de l'équipe de quinze personnes du "Laboratoire multinational d'analyse et d'exploitation des engins explosifs improvisés". Placée sous commandement français, cette unité d'experts aux airs de police scientifique dépend de la force internationale de l'Otan en Afghanistan (Isaf).

Sa mission: trouver des parades aux bombes artisanales et fournir les éléments qui permettront de remonter jusqu'aux concepteurs de ces engins, armes de prédilection des rebelles talibans qui tuent quasi-quotidiennement en Afghanistan.

En 2012, ces bombes ont fait 868 morts et 1.663 blessés côté civils, soit 34% du nombre total de victimes, selon l'ONU. Et tué 33 des 71 soldats de l'Isaf tombés au combat en 2013, selon le site indépendant icasualties.org, un chiffre en baisse régulière depuis un pic en 2010 (368 tués par des bombes artisanales).

Le laboratoire se trouve dans le complexe aéroportuaire militaire de Kaboul, une vaste zone ultra-sécurisée où le contingent français a ses quartiers.De l'extérieur, rien ne laisse penser qu'il s'agit d'une unité scientifique: l'installation est faite de gros blocs modulables posés sur un sol aride.

L'intérieur révèle par contre une enfilade de petites salles truffées d'ordinateurs, d'écrans de contrôle, d'analyseurs de spectre, d'oscilloscopes...

L'un des soldats français de l'équipe de quinze personnes du "Laboratoire multinational d'analyse et d'exploitation des engins explosifs improvisés" le 28 juin 2013 à Kaboul [Massoud Hossaini / AFP]
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L'un des soldats français de l'équipe de quinze personnes du "Laboratoire multinational d'analyse et d'exploitation des engins explosifs improvisés" le 28 juin 2013 à Kaboul

L'adjudant Olivier s'occupe d'électronique. C'est lui qui va tenter de "faire parler" les disques durs, clefs USB, cartes mémoires, cartes SIM, téléphones portables... D'un téléphone, "on peut extraire les éléments de calendrier, les appels entrants et sortants, la liste des contacts, les MMS, les SMS, mêmes effacés, les images, les vidéos et les fichiers texte", explique le militaire, intarissable sur le sujet.

Dans son laboratoire, l'adjudant calcule également "les fréquences utilisées" pour déclencher des bombes à distance, une information cruciale pour l'Isaf puisqu'elle permet "de voir si les brouilleurs de la force sont bien programmés".

Des bombes "très faciles à faire"

Mais si les experts du "labo" peuvent compter sur un matériel de pointe, ils font face à un défi colossal: l'aptitude des insurgés à réinventer constamment leurs engins de morts.

"Ils s'adaptent (...), ils sont ingénieux, ils arrivent à combiner les techniques. Et sur internet vous trouvez tous les plans", explique le militaire.

Des forces de sécurité afghanes sur le lieu d'une attaque à la bombe le 8 avril 2013 [Rahmatullah Alizad / AFP/Archives]
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Des forces de sécurité afghanes sur le lieu d'une attaque à la bombe le 8 avril 2013

Exemple: "Fin février, un soldat américain a vu une radio américaine posée sur la route", raconte le lieutenant-colonel Charles, chef de l'unité. Le soldat "a récupéré la radio, l'a mise dans son véhicule. Quelques secondes après, elle a explosé. Bilan: plusieurs morts", poursuit-il.

Si les rebelles ont de la suite dans les idées, ils jouissent d'un autre avantage: fabriquer une bombe artisanale est à la portée de tout un chacun, ou presque."Vous avez besoin de deux composants: un oxydant et un carburant, comme de l'essence, de l'huile de moteur, de la paraffine, ou de la cire", explique le capitaine Julien, chimiste de la bande. "C'est très facile à faire", ajoute-t-il.

Autre problème: le détournement d'explosifs civils.

"C'est du nitrate d’ammonium gélifié", dit le capitaine en désignant un flacon contenant une pâte blanche gélatineuse, retrouvée après une attaque à Kaboul, dans une véhicule qui n'avait pas explosé.

"C'est un produit commercial normalement utilisé dans les carrières à la place de la dynamite (...). On sait très bien d'où ça vient, quelle entreprise pakistanaise le fabrique", dit-il à propos de cette substance interdite en 2010 en Afghanistan en raison des attentats. Mais "à la frontière avec le Pakistan", où les talibans disposent de bases-arrières, "les contrôles sont très difficiles", souligne le militaire.

Dans une autre salle, le major Jean-Christophe est chargé de dénicher les empreintes digitales et traces d'ADN. Pour ne rien laisser au hasard, il lui faut parfois dérouler plusieurs mètres de ruban adhésif qui entoure certaines bombes.

L'un des soldats français de l'équipe de quinze personnes du "Laboratoire multinational d'analyse et d'exploitation des engins explosifs improvisés" le 28 juin 2013 à Kaboul [Massoud Hossaini / AFP P]
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L'un des soldats français de l'équipe de quinze personnes du "Laboratoire multinational d'analyse et d'exploitation des engins explosifs improvisés" le 28 juin 2013 à Kaboul

"Le scotch est passé pendant 40 minutes dans la chambre à cyanoacrylate, c'est de la colle qui chauffe", un procédé qui permet de révéler les empreintes, dit le major."Une fois qu'on (les) a relevées, on les envoie dans une base de données américaine", précise le lieutenant-colonel Charles. "Si ça a marché, on a le nom, la photo et tous les renseignements".

Ces informations peuvent permettre à l'Isaf de démasquer des insurgés qui tenteraient de se faire engager auprès de ses soldats pour ensuite les attaquer.

Le travail du laboratoire de Kaboul, et des trois autres présents en Afghanistan, ne saurait éliminer totalement la menace des bombes artisanales. Mais leur action a permis d'interpeller "des centaines d'insurgés", et de découvrir "des menaces nouvelles et des filières parallèles d'approvisionnement d'explosif", assure le lieutenant-colonel Charles.

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