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Football, nationalisme et folie, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

La Coupe du monde de football continue mais sans l’Italie, l’Angleterre et l’Espagne ! J’imagine sans peine que beaucoup d’amateurs de football de par le monde ont été saisis par la même tristesse… Sans oublier qu’il s’agit d’un jeu, et sans méconnaître les aspects financiers d’une planète de plus en plus alignée sur le mode de fonctionnement du show-business, deux éléments frappent à ce stade de la compétition : l’un géopolitique, l’autre… médical. Plus que d’autres, cette compétition se livre selon un prisme hémisphérique : c’est l’Amérique latine contre le reste du monde ! Avec les avantages que procure le fait de jouer chez soi, dans un climat familier, à une saison meilleure que celle que connaissent les Européens dont les joueurs, parvenus en fin de saison, sont souvent «cuits» physiquement, avec le soutien d’un public enthousiaste… et avec, parfois, la complicité active des arbitres.

Ainsi, trois grandes équipes européennes (Angleterre, Italie et Espagne), trois anciens champions du monde, ont quitté la compétition prématurément. L’Espagne était en fin de cycle. L’Angleterre n’a pas encore formé une équipe aboutie malgré de fortes individualités. Mais que dire de l’arbitre mexicain du match Italie-Uruguay ? Une expulsion discutable (Marquisio) et un aveuglement coupable : un coup de tête suivi d’une morsure qui lui ont échappé.

Nous aurions dû prêter davantage d’attention à l’arbitre du premier match, celui qui a permis au Brésil de battre la Croatie. Il était aussi incertain dans ses jugements qu’efficace quant au but recherché. Cela ne veut pas dire que le Brésil n’est pas une grande équipe, mais simplement qu’elle ne devait pas perdre son premier match quoi qu’il arrive.

La seconde constatation est d’ordre médical. Le cas Suarez est révélateur de la pathologie qui accompagne parfois le génie du jeu. Suarez est un grand avant-centre, comme Liverpool peut en témoigner. Mais il est atteint de deux pathologies graves : le racisme (le Français Patrice Evra, capitaine de Manchester United, en sait quelque chose) et une agressivité dangereuse. Il avait déjà mordu le défenseur serbe de Chelsea, Branislav Ivanovic (en 2013) et, trois ans plus tôt, un joueur du PSV Eindhoven. La BBC avait alors consulté des sommités médicales et des psychologues du sport. Le verdict du corps médical britannique avait été qu’il recommencerait. C’est chose faite ! On pourrait aussi revenir sur le coup de tête de Zidane en finale contre l’Italie en 2006 et considérer qu’agir ainsi dans un tel match avec un tel enjeu ne relevait pas d’un état normal. On peut aussi se pencher sur l’entière carrière de Maradona, autre génie, que sa propre pathologie avait conduit à l’abîme. Il faudra un jour que les instances sportives s’interrogent sur ces cas qui pervertissent le message et l’image qui doivent être l’apanage des sportifs de haut niveau.

Car le football ne doit pas cesser d’être une fête. En même temps qu’un grand rassemblement populaire autour du beau jeu, conçu par de grands techniciens. C’est aussi devenu une grande manifestation patriotique. De patriotisme transnational, lorsque l’Amérique latine défie l’Europe, et évidemment national. L’équipe de France offre ainsi l’occasion de redécouvrir, dans un pays rongé par l’autodénigrement, la richesse et l’énergie qui peuvent être tirées de sa diversité. Et le patriotisme, qui plus est sportif, c’est tellement mieux que le nationalisme et la guerre !

Ce nationalisme qui, il y a cent ans, comme cela vient de nous être rappelé à Sarajevo, basculait dans un effroyable bain de sang, le premier suicide de l’Europe. Nationalisme encore qui, il y a vingt ans, précipitait la Yougoslavie dans la monstruosité tragique de l’épuration ethnique

Jean-Marie Colombani

 

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