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Philippe Delerm : «je revendique le fait d'être inquiet»

Philippe Delerm fait paraître «La vie en relief» au Seuil Philippe Delerm fait paraître «La vie en relief» au Seuil. [© JOEL SAGET / AFP]

Philippe Delerm publie «La vie en relief», l’un de ses livres les plus personnels. Toujours sous la forme de textes courts, l’écrivain de «La première gorgée de bière» ouvre la porte de son intimité pour livrer au final un vrai antidote à la mélancolie en ces temps de pandémie.

Pourquoi avoir choisi cette fois d’entrer de plain-pied dans votre intimité ?

Ce n’était pas concerté. J'ai ouvert simplement cette porte, non pas pour donner une leçon de vie, mais pour montrer ce qui fonde ma façon de vivre. Je crois qu’au fond, je souhaitais rendre hommage à ceux que j’aime car ce que j’ai, je leur dois.

A la lecture, on a l’impression que vous touchez enfin du doigt ce qui vous a poussé à écrire sur ces petits riens de l'existence et devenir cet écrivain minimaliste que l’on connait.

Lorsque j’ai terminé «La vie en relief», j’ai eu cette sensation assez rare d’avoir réussi à dire enfin ce que je souhaitais. Deux livres entourent mon œuvre : il y a eu «Le bonheur, tableaux et bavardages» (éd. Du Rocher), l’un de mes premiers livres, qui ouvrait déjà la porte de mon intimité et une réflexion sur le bonheur. Et ce livre arrivé alors que je me situe plutôt désormais au « bout du chemin » puisque j’ai plus de 70 ans. Cela tombe bien car les temps qui courent incitent à prendre un peu de recul sur sa propre existence.

L'inquiétude reste le baromètre de l'affection

Il y a un an, vous nous disiez avoir eu l'idée d'un livre à contre-courant des «feel good books» qui vous agacent.

Lorsque j'ai écrit mon livre sur le bonheur, cette notion n’était pas à la mode. Maintenant c’est même presque une religion, mais un culte un peu vide. Je revendique complètement autre chose : le fait d’être troublé et inquiet aussi, notamment pour ses proches. L’inquiétude reste, pour moi, le baromètre de l’affection. C’est un des thèmes abordés dans ce livre. Je suis comme ça, empli de paradoxes et de contradictions. C’est aussi la contradiction qui enchante la vie, c’est ce qui rend tout extraordinaire. « L’intranquillité », ce mot inventé par Fernando Pessoa, n’existe pas en français mais je l’aime beaucoup.

Peut-on dire que «La vie en relief» est une forme de résistance à notre époque ?

L'attachement à l'inquiétude va à l’encontre de cette sagesse très contemporaine ou cet effet de mode qui passera. Alors que je pensais donner un côté rebelle et agressif à l’égard du «feel good», je me suis rendu compte que je n’avais pas envie d’être satirique, que ce n’était pas ma manière d’écrire. Je pense avoir dit finalement la même chose ici mais d’une autre façon.

D'autre part, j'avais envie de redonner ses lettres de noblesse à l'adjectif «vieux». Il y a des civilisations où être âgé ne constitue pas une infériorité mais une supériorité. On ne vis pas dans une civilisation comme celle-là, le rapport qu’on a avec la pandémie en est l’illustration. Je souhaitais montrer cela comme je le ressens : j’ai une faculté à me sentir adolescent et enfant en même temps. La vie a été étonnante à ce niveau-là pour moi.

C’est aussi la contradiction qui enchante la vie, c’est ce qui rend tout extraordinaire

Vous écrivez «Le présent est le passé». Pouvez-vous expliquer cette phrase ?

C’est paradoxal et en même temps, j’aime me dire que le passé n’est pas un monde perdu mais au contraire possédé à jamais. Le faire revivre dépend d’une attitude qu’on a dans le présent. Cela ne relève pas de la nostalgie : je suis un écrivain dont l’aventure est la vie, et la possession de la vie dans son entièreté.

Peu à peu, j’ai eu le sentiment de vieillir un peu, physiquement et psychiquement, mais en même temps à l’intérieur de moi, j'ai découvert un sentiment nouveau, une forme de sensation d’ampleur de la vie, qui va jusqu’au sentiment de sentir que les choses de ma vie ne s'additionnent pas mais se multiplient : l’impression de vivre plusieurs âges en même temps. C’est peut-être un peu le cas pour tout le monde, mais c'est une chose forte pas forcément facile à écrire, avec parfois des angles d’attente généralistes mais le plus souvent intimistes.

Vous traitez de la permanence de l’amour, ce thème aussi se place à contre-courant de notre époque désabusée.

Oui, j'ai la chance d'être aimé par la femme de ma vie. Plus généralement, je ne me sens pas moraliste en la matière mais simplement, je pense que le fait de se dire qu’on peut être propriétaire de choses très simples et apparemment banales, et en être heureux, si on les regarde de plus près ou plus profondément. Ma mère m'a répété toute mon enfance que je lui avais redonné goût à la vie car j'arrivais après une soeur décédée pendant la guerre. Cela pousse à ne pas faire n’importe quoi de son existence.

C’est pour cela que vous avez appris à aimer les petits riens ?

Je souhaitais faire quelque chose de bien, je ne savais pas trop quoi. Je me sentais quand même assez doué pour vivre. J’étais très paresseux et en même temps, je sentais très fort l’intensité des choses vécues. Je me suis dit assez tôt que ce côté artistique et littéraire pouvait me rendre heureux. J’aurais pu faire un métier utile certes, mais si on a envie de transformer le métier en livre, c’est qu’on a un petit manque, une faille. Ce livre est une manière d'expliquer pourquoi je suis devenu écrivain.

Il y a une dimension philosophique dans votre livre et notamment dans la deuxième partie du livre…

En fait, le troisième tiers du livre a été écrit pendant la pandémie. Cela a dû jouer, le recul devenait encore différent, notamment avec la distance.

Cette pandémie nous vieillit considérablement

Comment avez-vous vécu ces confinements, vous qui aimez tant déambuler ?

Je ne vais pas me plaindre ! On était confinés dans une vieille maison qu’on adore. C'est la présence des enfants qui me manque. Mais moi qui avais une image très négative des communications par visio, au final, je me suis dit que c'était infiniment mieux que rien. Je me suis occupé des plantes et je n’ai jamais autant écrit.

Paris est assez déprimante. A la campagne, on a de la chance de ne pas baigner dans cette ambiance. Sans célébrer forcément la vie, la nature qui nous entoure permet d’avoir un cadre meilleur pour le moral. Des écrivains se sont fait taper sur les doigts pendant le premier confinement pour avoir fait des «journaux de confinement» à la campagne. Célébrer un art de vivre quand les autres ne peuvent pas, c'est certain que cela peut être condescendant. Cette pandémie nous vieillit considérablement. C’est une épreuve qui nous marque cruellement.

Ce livre donne l'impression d'être le dernier. Pourtant vous dites que contrairement à certains écrivains pendant le confinement, vous avez beaucoup écrit...

Oui et j'ai débuté un livre sur New York, mais le New York de quelqu’un qui n’est jamais allé à New York. Ça fait longtemps que ce projet me trotte dans la tête et je ne voulais pas m'y rendre tant que je n’avais pas écrit ce livre sur le fantasme de New York. Finalement, je me suis dit que c’était assez logique pour un écrivain minimaliste comme moi de s’attaquer à ce qu’il y a de plus immense. C’est relativement cohérent. J’ai ressenti de la jubilation à écrire sur New York à travers l’Histoire, une photo de Simon and Garfunkel, ou même mes souvenirs des descriptions de Charles Dickens. Voyager par le fantasme c’est une autre manière de voyager. Il est quasiment fini, et je suis aussi actuellement en train d'écrire de nouveaux textes courts, plus généralistes. Malgré ces projets, «La vie en relief» est quand même un livre-testament pour moi.

Parler de livre-testament n'est pas très optimiste...

Au contraire, j’ai la chance d’avoir eu un chemin long, rempli, et un métier que j’ai toujours adoré pratiquer. Je ne peux pas être triste du fait que la vie s’achèvera un jour. Je trouve que la mienne a été très chanceuse.

La vie en relief, de Philippe Delerm, Le Seuil, 240 p., 17,50€.

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