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Ben Yadir et Debbouze : l'interview croisée

Le réalisateur Nabil Ben Yadir et l'acteur Jamel Debbouze rendent hommage aux marcheurs de 1983. Le réalisateur Nabil Ben Yadir et l'acteur Jamel Debbouze rendent hommage aux marcheurs de 1983.[François Lo Presti ]

A l’automne 1983, des enfants d’immigrés soutenus par le curé des Minguettes, dans la banlieue lyonnaise, et des militants antiracistes, entreprennent, après une bavure policière, une grande marche pacifique à travers la France pour l’égalité et contre le racisme.

 

Cette marche est rebaptisée «La marche des Beurs» par les médias. Rejoints par des milliers de personnes et après plus de 1 000 kilomètres parcourus, ils obtiendront notamment la création d’une carte de séjour de dix ans pour les immigrés.

Trente ans plus tard, le réalisateur Nabil Ben Yadir rend hommage à ces hommes et ces femmes dans le film La Marche. Le cinéaste et l’acteur et humoriste, Jamel Debbouze, qui joue le rôle d’un toxicomane roublard, reviennent sur cet événement historique pourtant méconnu.

 

Pourquoi cette histoire méritait-elle d'être adaptée sur grand écran? 

Nabil Ben Yadir : Je trouve cette histoire d'une cinématographie extraordinaire. Elle est magnifique. Nous, les auteurs, sommes toujours à la recherche d'histoires incroyables et celle-ci était du pain béni. Nous n'aurions pas pu l'inventer. Comment imaginer qu'un jeune qui a été agressé par la police s'inspire de Gandhi ou de Martin Luther King pour lancer une marche contre le racisme ?

Jamel Debbouze : Cette histoire est romanesque. Ces personnes ont marché plus de mille kilomètres par amour de leur pays et rien n'aurait pu les en empêcher. 

 

Quels souvenirs gardez-vous de cet événement? 

N. B. Y. : Avant de préparer ce film, je ne connaissais pas cette histoire. Je m'en voulais. A l'époque, j'avais trois ans et je vivais en Belgique. Même mes cousins qui habitaient à Roubaix, dans le nord de la France, n'en avaient pas entendu parler. J'avais juste comme souvenir les images d'un rassemblement à Paris, entre Bastille et Montparnasse. 

 

J.D : Quand la marche a commencé, j'avais huit ou neuf ans. Pendant le tournage du film, mon oncle, qui était très militant dans les années 1980, m'a rappelé que j'étais sur ses épaules à Paris quand les marcheurs sont arrivés. Nous avons cette fibre militante en nous. 

 

Avez-vous rencontré ces marcheurs? 

N. B. Y. : Quasiment tous. Toumi Djaïdja, à l’initiative de cette marche, a disparu de la scène médiatique depuis trente ans. Quand je l'ai retrouvé à Vénissieux, il avait toujours ce même discours d'amour et de paix. Il n'y avait aucune haine. Ce film est un immense honneur pour lui et ses compagnons de route. Ce sont des héros des temps modernes. Il fallait les sortir de l'oubli. 

 

Justement, comment expliquez-vous qu'ils soient restés si discrets? 

J. D : Personne n'a jamais voulu s'intéresser à leur histoire. Dans les années 1980, le racisme était à son paroxysme. Nous sortions de la guerre d'Algérie et les tensions étaient exacerbées. Un maghrébin mourait tous les deux ou trois jours de crimes racistes, sous les coups. A l'époque, ces jeunes ont entamé une marche qui les dépassait. Ils ont parcouru plus de mille kilomètres avec naïveté. Le message a vite dépassé les messagers. Ils ont été reçus par l’ancien président de la République, François Mitterrand, à l'Elysée. Puis, leur combat a été récupéré par SOS Racisme créé l'année suivante et tous ces héros ont disparu, continuant à se faire tabasser dans l'anonymat. Si Nabil n'avait pas fait ce film, personne n'aurait commémoré les trente dans de cette Marche. 

 

La France est-elle aujourd'hui raciste? 

J. D : Il y a du racisme en France, c'est indéniable. Mais ce pays n'est pas raciste. C'est davantage à cause de la crise et du chômage. Un raciste change d'avis, selon moi, pour 750 euros. Il faut arrêter de faire la promotion de tous « ces excrém... qui ne disent que des excréments ». 

 

N. B. Y : On ne peut pas dire que rien n'a changé depuis trente ans. Mais les médias ne montrent que des images sordides des banlieues. Quand nous sommes allés à la rencontre des Français lors des avant-premières, nous avons vu des gens pleurer et nous dire qu'il fallait continuer à marcher. 

 

J. D : Car c'est cela le vivre-ensemble: marcher pour la République main dans la main. 

 

L'humour est très présent dans cette réalisation. 

N. B. Y : Nous sommes nés dans la dédramatisation. En marchant, cette jeunesse est passée par toutes les émotions, du rire aux larmes. 

 

J. D : Rire de choses dramatiques, ce n'est pas une volonté, nous ne pouvons faire autrement. Nous plaisantons de nous-mêmes sans arrêt. En France, on paraît intelligent quand on est pessimiste. Malheureusement. Dédramatiser est ce qui nous permet de rester en bonne santé. 

 

Aimeriez-vous que ce film soit diffusé dans les écoles? 

J. D : C'est notre rêve. 

 

N. B. Y : Plus de 80% des jeunes de moins de trente ans ne connaissent pas cette histoire...

 

J. D : Qui n'apparaît d’ailleurs pas dans les livres d'Histoire. C'est pourtant un tournant dans nos vies.

 

N. B. Y : Que ce fait soit si méconnu, je trouve cela dramatique. Cela me bouleverse. 

 

J. D : En revanche, tout le monde sait qui a gagné l'émission Top Chef. 

 

Jamel Debbouze, aimeriez-vous que La Marche ait le même écho que le film Indigènes? 

J. D : Je l'espère. Indigènes a permis la revalorisation des pensions des anciens combattants des ex-colonies et je remercie encore l’ex-chef de l’Etat, Jacques Chirac, pour ce qu'il a fait. La jeune génération a compris après cela qu'elle faisait partie de l'album de famille national et que les anciens s’étaient battus contre le nazisme pour qu'aujourd'hui, nous puissions être libres. Ces jeunes se sont sentis fiers de leur passé. Eux qui se sentent souvent exclus, que l'on appelle les banlieusards. C n'est pas évident d’avoir l’impression d’être intégrés. Avec Indigènes, il y a eu un changement qui s'est opéré dans la tête des ces gosses. 

 

 

Auriez-vous regretté, Jamel Debbouze, de ne pas faire partie de cette aventure? 

J. D : J'avais ce projet en tête depuis des années et toujours dans un tiroir. J'en rêvais et je ne l'ai jamais réalisé. Quand j'ai appris que Nabil envisageait de l’adapter sur grand écran, j'aurais pu violenter certaines personnes pour faire partie du casting (rires). On m’aurait demandé de servir un café en bas à droite de l'écran, j'aurais accepté. Je remercie tous les acteurs qui se sont désistés et n'ont pu répondre positivement à ce projet. J'aurais été extrêmement triste de ne pas en être. 

 

N. B. Y : Jamel nous a permis de faire ce film...

 

J. D : Ce n'est pas vrai, Nabil. Tu aurais fini un jour ou l'autre par le réaliser. 

 

 

La Marche, de Nabil Ben Yadir, avec Olivier Gourmet, Tewfik Jallab, Hafsia Herzi, Charlotte Le Bon et Jamel Debbouze. En salles le 27 novembre.

 

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