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Marek Halter : « Rendre vivant un monde disparu »

Marek Halter[Capture d'écran Youtube]

En 2010, Marek Halter sort un nouveau roman, Le Kabbaliste de Prague. L’occasion pour l’écrivain d’évoquer sa fascination pour la culture yiddish et l’ancienne civilisation juive d’Europe centrale et, surtout, l’étrange figure kabbalistique du Golem. Selon la légende, le Golem est une créature humanoïde faite d’argile que le MaHaRal de Prague, au XVIe siècle, anima en écrivant EMET (vérité, en hébreu) sur son front, pour défendre sa communauté persécutée.

 

Archive – article publié le mardi 1er juin 2010

 

Dans Le kabbaliste de Prague, vous vous inspirez de l’histoire à la fois célèbre et méconnue du Golem: que dit-elle de l’homme et de ses rapports au verbe?

Marek Halter : L’aventure que je décris se situe à la fin du XVIe siècle. Après Copernic, les astronomes tels Galilée, Bruno, Kepler et Brahe découvrent que la Terre tourne autour du Soleil et pas l’inverse, et que l’infini est plein de galaxies, soleils et planètes. Or, les hommes croyaient jusqu’alors que le ciel était la demeure de Dieu et que notre rapport à lui était vertical. Mais si le ciel est occupé, où se trouve donc le Créateur ? La Kabbale répond: dans le langage. L’idée est belle. Celui qui maîtriserait les mots connaîtrait ses multiples significations, découvrirait ce qui est caché derrière ses silences, deviendrait «comme Dieu». Il pourrait recréer le monde. Ou le détruire.

Aussi comprend-on mieux pourquoi les hommes tels Michel-Ange, le pape Clément VII, Galilée, l’empereur Rodolphe II ou Pic de la Mirandole apprennent l’hébreu pour pouvoir lire la Kabbale dans le texte. Cela n’empêchait pas les catholiques et les protestants qui se faisaient la guerre – celle que l’on appelle «guerres de Religion» – de s’attaquer à la petite communauté juive de Prague. Celle-ci, excédée, finit par demander à leur grand rabbin, le fameux kabbaliste MaHaRal, la protection. C’est alors qu’après avoir longuement hésité, le MaHaRal fabrique avec de la boue le premier être artificiel dans l’histoire de l’humanité. Parce qu’il connaît le secret du langage, il lui insuffle la vie. C’est ainsi qu’est né le Golem, un être à la force surnaturelle qui protègera les Juifs.

Mon livre, Le kabbaliste de Prague, outre le fait qu’il raconte une fabuleuse histoire, est une sorte d’hymne à la gloire du verbe. Ce verbe qui m’a permis, enfant, de survivre pendant la guerre en racontant des histoires et qui me permet de continuer à le faire jusqu’à aujourd’hui. Ce verbe qui reste le meilleur des moyens pour lutter contre l’exclusion, pour le dialogue et la paix. Voilà quelques raisons qui m’ont amené à reprendre cette légende «célèbre et méconnue», comme vous le soulignez, pour en faire un livre.

 

Vidéo : Rencontre avec Marek Halter à l’occasion de la sortie du Kabbaliste de Prague à la Fnac Saint-Lazare (1/2)

 

 

Vous êtes fasciné par l’ancienne civilisation juive d’Europe centrale: qu’a-t-on perdu avec sa disparition?

M. H. : Quand une culture disparaît, le monde s’appauvrit. Or, une culture, je dirais même une civilisation, celle du yiddish, dans laquelle vivaient avant la guerre en Europe centrale plus de dix millions d’individus, a été anéantie par les nazis. C’est précisément cette civilisation qui m’a vu naître. Dans la Varsovie de mon enfance, ville d’un million d’habitants, il y avait 420000 Juifs avec leurs écoles, théâtres, maisons d’édition, partis politiques, syndicats, et sept quotidiens en langue yiddish vendus à la criée. Je me souviens de mon grand-père Abraham, juif pieux, chapeau, barbe et papillotes, défilant le 1er mai avec le syndicat des imprimeurs et chantant L’internationale en yiddish. Mon livre m’a permis de retrouver ce monde à jamais disparu et le rendre vivant, ne serait- ce que le temps d’une lecture.

 

Vidéo : Rencontre avec Marek Halter à l’occasion de la sortie du Kabbaliste de Prague à la Fnac Saint-Lazare (2/2)

 

 

Prague est la ville qui a vu naître le Golem et, des siècles plus tard, le robot. Que vous inspire cette coïncidence ?

M. H. : Effectivement. Les Tchèques sont forts en mécanique. Sur la petite tour qui surplombe l’hôtel de ville du quartier juif, se trouvent deux horloges : l’une normale, avec les chiffres romains, et la seconde, avec les lettres hébraïques et qui tourne à l’envers. Un seul et même mécanisme fait marcher les deux. Mais votre question appelle une autre réflexion : en quoi une vieille histoire peut-elle nous être utile aujourd’hui – outre le plaisir que nous procure un beau récit ? C’est qu’elle véhicule, comme toutes les paraboles, un enseignement.

Le Golem est cet étranger que nous avons fait venir pour nous servir et qui ne possède pas notre langue. L’étranger auquel nous faisons exécuter des travaux que nous n’aimerions pas faire nous-mêmes – nettoyer les rues, les égouts, construire des ponts, des immeubles – et que nous rejetons parce qu’il est différent. Que nous insultons souvent, que nous discriminons, jusqu’au jour où il se révolte. Alors, nous le renvoyons ou nous lui ôtons la vie. Le Golem est aussi cette force que nous sommes capables de produire et qui peut se retourner contre ses créateurs. Non, ce n’est pas une coïncidence que Prague, ville qui a vu naître le Golem a vu naître des siècles plus tard le premier robot. L’histoire est là pour nous rappeler, comme le disait l’historien Marc Bloch, résistant fusillé par les nazis, qu’elle est toujours contemporaine.

 

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