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Des dessins clandestins du camp-ghetto de Theresienstadt exposés à Berlin

Le dessin "A Rest for the Old" (1943-44) du Tchèque Bedrich Fritta, exposé au Musée juif de Berlin, le 15 mai 2013 [John Macdougall / AFP] Le dessin "A Rest for the Old" (1943-44) du Tchèque Bedrich Fritta, exposé au Musée juif de Berlin, le 15 mai 2013 [John Macdougall / AFP]

Le Musée Juif de Berlin expose les dessins clandestins de l'artiste tchèque Bedrich Fritta, déporté à Theresienstadt (1941-1944), un voyage angoissant à l'encre de Chine dans ce camp-ghetto créé pour tromper l'opinion sur le sort des Juifs d'Europe.

"Dans un lieu terrible, il a produit une oeuvre terrible". Son petit-fils, David Haas, résume le travail de ce dessinateur, interné à 35 ans avec sa femme et son fils d'à peine un an, dans cette ville-forteresse des environs de Prague que le régime nazi présentait comme un "camp modèle" lors de visites organisées pour la propagande.

Theresienstadt (aujourd'hui Terezin, en République Tchèque) accueillit de nombreux artistes: musiciens, écrivains, peintres, dont le talent était exploité à cette fin. Responsable d'un atelier d'une vingtaine de dessinateurs, Fritta était l'un d'eux.

Mais à l'insu de ses geôliers, il donna corps à un autre travail, dévoilant l'envers du décor. Sa "fonction lui a permis d'avoir accès à du matériel - encre de Chine, papier à dessin - qui explique les grands formats que l'on a, à l'opposé des dessins réalisés dans d'autres ghettos ou camps qui ne possèdent pas cette variété", a expliqué Inka Bertz, l'une des commissaires, lors de la présentation de l'exposition qui ouvre ce vendredi.

Un carnet de dessins réalisé par le Tchèque Bedrich Fritta, exposé au Musée juif de Berlin, le 15 mai 2013 [John Macdougall / AFP]
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Un carnet de dessins réalisé par le Tchèque Bedrich Fritta, exposé au Musée juif de Berlin, le 15 mai 2013

Ainsi, le dessin "Coulisses pour la commission internationale": au centre de l'image, à côté d'un couple aux yeux épouvantés qui s'embrasse, les vitrines d'un magasin d'alimentation et d'une parfumerie. Mais derrière leurs façades de pacotille, un charnier d'où dépassent crânes et ossements... Réalisée en 1943 ou en 1944, cette oeuvre évoque l'opération "d'embellissement" du camp lancée avant une visite de la Croix rouge internationale, le 23 juin 1944. Les nazis ordonnèrent le ravalement des devantures, le nettoyage des rues et pour remédier au surpeuplement du camp, déportèrent une partie de ses habitants vers Auschwitz.

"Ce qui m'a impressionné, surpris même, c'est la qualité artistique des planches", souligne Denis Grünemeier, commissaire-assistant. "Alors que je ne connaissais pas ces oeuvres, je m'attendais à quelque chose de réaliste mais ce que j'ai vu en fait m'a tour à tour rappelé l'expressionnisme allemand et des peintres comme Georg Grosz, ou le symbolisme des années 1900 du dessinateur Alfred Kubin", explique-t-il.

"Regarder l'histoire avec responsabilité"

Ciels sombres, arbres décharnés, visages déformés et perdus au milieu des murs massifs du ghetto-forteresse, les oeuvres en noir et blanc de Fritta sont une plongée dans l'horreur de la Shoah. Seule ouverture vers la lumière: un livre que le dessinateur réalisa pour son fils... en couleurs.

Le dessin "Film and Reality" (1944) du Tchèque Bedrich Fritta, exposé au Musée juif de Berlin, le 15 mai 2013 [John Macdougall / AFP]
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Le dessin "Film and Reality" (1944) du Tchèque Bedrich Fritta, exposé au Musée juif de Berlin, le 15 mai 2013

Intitulé "Pour Tommy à l'occasion de son troisième anniversaire", il s'ouvre sur le dessin d'un bambin aux fesses nues et roses qui regarde par la fenêtre.

"C'est un livre qui produit un contraste choquant entre la situation terrible que vivait grand-père et son rôle en tant que mari et père", affirme David Haas. "C'est un livre naïf qui dépeint des rêves d'enfant, soudain, c'est l'humanité qui retrouve ses droits", dit-il, alors que le "Tommy" du livre, son père, le petit garçon devenu vieil homme en chaise roulante, trop faible pour s'exprimer, est assis à côté de lui, dans le Musée.

"Je trouve exemplaire que pour nous ici, tout aille bien. Nous ne devons pas regarder l'histoire avec ressentiment mais plutôt avec responsabilité", a encore dit M. Haas, s'exprimant "en tant qu'Allemand, en tant que Juif vivant en Allemagne".

Près de 150.000 hommes, femmes, vieillards et enfants, passèrent par la ville-forteresse de Theresienstadt. Près de 35.000 y périrent à cause des conditions d'hygiène déplorables et 87.000 furent déportés et trouvèrent la mort à Auschwitz-Birkenau, comme Bedrich Fritta.

L'exposition "Bedrich Fritta: dessins du ghetto de Theresienstadt" (36 dessins grand format, 25 esquisses) dure jusqu'au 25 août.

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