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Claire Fourier : "Ma devise : récupérez-vous"

Fuir le monde pour mieux se retrouver Fuir le monde pour mieux se retrouver[CC / Jefferyac]

Avec "Dieu m’étonnera toujours", Claire Fourier raconte l’expérience méditative et érotique qui fut la sienne au cours d’un séjour dans une chartreuse abandonnée.

Dans le silence absolu, elle fait l’expérience de la beauté et du retour de la vie intérieure, loin d’une actualité « qui nous ronge comme de l’acide ».

Ce recueil, qui réunit vers et prose, se veut une "semence de clarté dans un ciel obscur", pour reprendre une expression de l’auteur.

 

Claire Fourier (DR)

 

Dans quelles circonstances avez-vous découvert et séjourné à la Chartreuse ?

Que voulais-je ? Fuir la ménagerie humaine : elle nous saoûle ! Me dérober à la prolifération grouillante des événements : elle nous ronge comme un acide ! Fuir la course folle du monde ! Elle est un nœud coulant pour la pendaison ! Refuser le diktat de l’information : son bourdonnement incessant nous gonfle ! Dire non aux loisirs vulgaires : ils nous sucent la moelle ! Respirer ! Aimer ! Un peu de noblesse, de poésie !

Nous sommes démoralisés parce que nous ne savons plus qui nous sommes. Larguer les amarres. Mais on ne peut ou n’ose le faire. Je l’ai fait. Me suis retirée du cirque. À mon retour, j’avais sauté des péripéties, le cirque était le même.

Cela dit, mon carnet de voyage ne transcrit pas une démarche de chrétienne. J’ai été une enfant croyante. Adulte, j’ai changé mon fusil d’épaule : je considère que c’est à Dieu de croire en moi. Je me définirais volontiers comme une Celte panthéiste. 

 

Pourquoi la chartreuse, l’environnement sans doute le plus exigeant en termes de solitude ?

Je ne voulais pas d’un monastère avec vie commune et réfectoire. J’ai opté pour la solitude et le silence de l’ermitage. Le film Le Grand Silence, qui retrace la vie à la Grande Chartreuse, me trottait dans la tête depuis des années ; j’aspirais à cette expérience, la plus ardue.

Une Chartreuse dans le Jura accueille des laïcs depuis que les moines, trop peu nombreux, ont rejoint la Grande Chartreuse. Ermitage constitué, autour d’un cloître magnifique, d’une douzaine de maisons individuelles dotées chacune d’un jardin. Dix jours durant, j’ai habité la demeure d’un ermite. Il faisait chaud, c’était en août.

 

Le jardin est la scène principale de votre livre…

J’ai découvert un jardin en friche et déniché les bottes de jardinage de l’ermite dans son atelier de menuiserie. Du 43, pour moi qui chausse du 37. J’ai « emboîté le pas » au Chartreux. Ce furent des bottes des sept lieues. Ainsi chaussée, quasi nue, j’ai arpenté le ciel. Ma prière, ce fut le jardinage.

Le jardin m’a nettoyée plus que je ne l’ai nettoyé. J’ai enlevé les mauvaises herbes dans mon esprit. Et Dieu m’est apparu comme une qualité (et une quantité) de lumière dans le regard. Je suis revenue ivre de splendeur, éblouie.

 

Quelles sont les caractéristiques de cet éblouissement ?

J’ai tout admiré : splendeur du lieu, mode de vie, perfection du mobilier rudimentaire, richesse de la frugalité. Amateur de bon vin, je me suis enchantée de pain et d’eau. De temps à autre je me disais : qu’est-ce qui m’a pris de venir ici ? Sensations, pensées contradictoires me traversaient.

 La futilité du monde me manquait parfois. Mais l’éloignement de la place publique, la distance prise avec l’immédiat permettent de récupérer la vie intérieure. Le mot d’ordre de Stéphane Hessel était « Indignez-vous ». Le mien serait « Récupérez-vous ».

 

 L’expérience mystique a également une dimension érotique…

J’étais femme dans la maison d’un homme. J’ai dormi dans le lit clos du Chartreux, mangé à sa table devant la fenêtre, fait le ménage dans sa cellule… Comment ne pas penser à lui charnellement ? Où que j’aille, je vis avec mon corps ! Je me suis éprise de l’homme absent qui m’avait précédé là. L’ombre tutélaire du Chartreux m’a fait-elle l’amour ?

L’érotisme, c’est le corps qui monte à la tête, la féconde, dépose en elle une semence de beauté (la pornographie, c’est l’encéphalogramme plat). Puis les fraisiers, les iris bleus que l’athlète de Dieu avait plantés, tout avait un parfum d’érotisme délicat. C’est ainsi qu’un soir d’orage, j’ai dansé nue sous la pluie, pleine de gratitude pour je ne sais quoi, amoureuse de tout… et à jamais  « affranchie » des conventions.

 

Cet érotisme se marie mal de prime abord avec la chasteté des Chartreux ?

Que nous ayons été créés homme et femme relève pour moi du miracle. Je m’émerveille chaque jour de l’altérité… et de la complémentarité. Tant pis, si cette altérité n’est plus au goût du jour et ne semble pas une évidence à certains. 

Je ne saurais aller à Dieu sans passer par l’élan vital de mon corps de femme. Le moine dépasse le conflit de la chair et de l’esprit ; moi, je n’ai de cesse d’harmoniser la chair et l’esprit. (Là réside ce « Génie du christianisme », dont le Celte Chateaubriand a si bien parlé.)

 

Si vous n’avez pas la foi, Jésus demeure pourtant l’axe et la fin de ce livre, pourquoi ?

L’époque cherche à éradiquer Dieu et le sacré. Il n’y parviendra pas, et c’est tant mieux : l’homme a besoin de transcendance. Qu’est-ce que Dieu ? Dieu, c’est l’inexplicable. Plus on explique, plus il reste d’inexpliqué. J’appelle Dieu cet inexpliqué. Ainsi je me suis surprise à dire Amen à l’occasion des offices (seuls moments vécus en commun à la Chartreuse).

Amen : ainsi soit-il : je me rends, débordée par la noblesse et la supériorité pressentie de ce qui m’entoure. Quant au Christ, il est pour moi le modèle absolu de l’être humain : modèle de douceur, de vie intérieure et de don, via la croix. Jésus est divin — à force d’être humain. J’ai mûri longuement l’idée, et j’y reste attachée, que la divinité est l’aboutissement de l’homme.

 

Claire Fourier, Dieu m’étonnera toujours, Brest : éditions Dialogues, 2013, 19,90 euros.

Claire Fourier a obtenu le prix Bretagne 2012 pour son livre précédent, Le Silence de la Guerre (éditions Dialogue).

 

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