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Les leçons du film «Peshmerga», par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani.[Alexis Reau / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

«Peshmerga», le film documentaire de Bernard-Henri Lévy, consacré aux combattants kurdes en lutte contre Daesh, a été présenté au Festival de Cannes en sélection officielle. Ce qui devrait lui donner accès à une diffusion hors des frontières. Hormis pour ceux qui récusent, par principe et par réflexe d’hostilité, les manifestations du cinéaste-écrivain-philosophe, ce film engagé est utile et nécessaire. Il donne à voir la réalité d’une ligne de front qui court du sud de l’Irak jusqu’à la frontière nord de la Syrie, ainsi que la réalité des combats menés par les peshmergas, sous la conduite de généraux qui nous deviennent familiers. Tout comme les hommes et femmes de troupe, qui, parlant de leurs morts, refusent de les qualifier de «martyrs» pour bien marquer qu’ils récusent le culte mortifère de ceux qui se réclament de Daesh. Ils soulignent le contraste entre la part prise dans les combats par les femmes peshmergas et les combattants de Daesh, qui cherchent à tout prix à éviter d’être tués par des femmes, ce qui leur interdirait l’accès au paradis…

Ce film permet de mesurer ce qui est en jeu dans cette région depuis que l’organisation terroriste s’y est installée. L’objectif historique du combat des Kurdes est de pouvoir un jour unifier ce que, dans les années 1920, la France et la Grande-Bretagne ont défait, en séparant les Kurdes d’Irak, d’Iran, de Syrie et de Turquie. Les combattants kurdes filmés appartiennent à la région autonome d’Irak et sont devenus les meilleurs alliés des pays qui luttent contre Daesh. C’est sur eux, au sol, aidés par les armes livrées et par les bombardements ciblés d’une vaste coalition internationale dont fait partie la France, que repose le plus gros de l’effort militaire. Le périple de Bernard-Henri Lévy le long de la ligne de front côté kurde, faite de villages récupérés mais presque complètement rasés, nous conduit là où survivent des chrétiens et des Yezidis, au premier rang des victimes des jihadistes. Il nous amène aussi sur les hauteurs qui dominent Mossoul, «capitale» de Daesh. Mossoul dont on nous disait, il y a quelques semaines encore, qu’elle serait le prochain objectif de la coalition et dont on voit qu’elle est à portée de tirs des peshmergas. Mais ces derniers estiment que l’assaut dépasse leurs capacités. Mossoul ne pourrait tomber que le jour où seraient déployés des combattants sunnites. Pour l’heure, Daesh est combattu, outre les Kurdes, par des miliciens chiites (venus d’Iran), par le Hezbollah libanais, par des Occidentaux (armes, avions et forces spéciales) et, secondairement, par des frappes russes et des opérations de l’armée syrienne de Bachar al-Assad.

Le préalable à toute offensive d’envergure sur le terrain, à savoir une solution politique en Syrie, semble s’éloigner. Certes, des informations font état d’une perte de 30 à 40 % du territoire conquis par Daesh. Mais le cessez-le-feu entre les troupes de Bachar al-Assad et celles qui lui sont hostiles n’est pas respecté. Les négociations diplomatiques de Vienne, qui paraissaient préparer un accord, sont de nouveau dans l’impasse. La discorde porte toujours sur le sort de Bachar al-Assad qui, soutenu par Vladimir Poutine, reste, pour les Américains comme les Européens, selon l’expression de John Kerry, «une part du problème et non la solution du problème». La coordination militaire annoncée entre Américains et Russes n’est, aux yeux de Washington, qu’une opération de communication de Moscou, tandis que le retrait de Syrie annoncé par l’armée russe ressemble à la continuation du droit d’agir unilatéralement que s’est octroyé Vladimir Poutine. Voilà pourquoi les Kurdes ont encore, pour un temps indéterminé, comme seule perspective la continuation d’une guerre qu’ils conduisent sans aimer la guerre.

Jean-Marie Colombani

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