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La semaine de Philippe Labro : Un acteur naturel, la nature en action

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste.[THOMAS VOLAIRE]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

MERCREDI 17 FÉVRIER

Il se bat avec une ourse énorme dont les griffes vont labourer sa poitrine ; il éventre un cheval mort pour en extraire ses organes et s’introduire sous sa peau, afin de s’abriter d’un blizzard foudroyant qui fait craquer les grands arbres ; il mange des herbes ; on l’enterre vivant ; il rampe dans la neige, la boue, les torrents ; il dévore du bison cru ; il panse ses plaies avec la poudre de son fusil, ce qui le fait hurler de douleur ; les lèvres gercées, le visage ensanglanté, la barbe et les cheveux maculés de terre, trébuchant, émettant des borborygmes qui finissent par devenir des paroles intelligibles, indestructible et aussi sauvage que la sauvagerie qui l’entoure, il est le trappeur Hugh Glass, il est The Revenant, il est Leonardo DiCaprio.

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Il éructe, gémit, glapit, susurre, vocifère ou bien est condamné au silence, c’est selon l’état de son corps, ce corps qui s’adapte à une nature impitoyable dans sa primitive beauté. Car elle est superbe, cette nature que le chef opérateur, Emmanuel Lubezki, a saisie sous les ordres de son metteur en scène, Alejandro González Iñárritu. Il y a des cieux étoilés, une lune qui apparaît entre des pins longilignes, des cerfs qui, tranquillement, traversent une rivière, des bourrasques de neige déferlant le long des vallées perdues et des montagnes qui se découpent dans la lumière bleue et orange d’un crépuscule, ou celle, laiteuse et indigo, d’une aurore.

Le projet est ambitieux : l’odyssée et l’exploit d’un seul homme (il y eut un vrai Hugh Glass, un vrai trappeur, au début du XIXe siècle, quand l’Ouest américain était encore cette terre vierge, habitée par des tribus indiennes qui faisaient la loi avant que l’US Army et sa cavalerie n’en viennent péniblement à bout).

The Revenant, c’est le chemin de survie d’un être humain au milieu d’une nature hostile, dominatrice. Les hommes – explorateurs, militaires, chasseurs de primes, «frontiersmen» – sont mus par les sentiments les plus basiques : bravoure ou lâcheté, amour ou haine, racisme, fatalisme, pure volonté de ne pas céder à la puissance des animaux et l’obsession d’une vengeance à accomplir.

Il y a tout cela dans ce film dont on parle déjà beaucoup et qui démontre, une fois de plus, la faculté avec laquelle DiCaprio sait entrer dans la peau d’un personnage hors norme, sous la direction d’un habile et talentueux réalisateur. Le film sort en France la semaine prochaine, il dure 156 minutes, et il dure encore plus longtemps dans la tête de ceux qui l’ont déjà vu – ce qui est mon cas.

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Il paraît que Leonardo DiCaprio est favori pour l’oscar du meilleur acteur lors de la prochaine cérémonie qui se déroulera le 28 février prochain à Hollywood. L’ironie du monde du spectacle est telle que l’on va sans doute «oscariser» DiCaprio, alors qu’on aurait déjà dû le faire aussi bien pour ses rôles éblouissants dans les cinq films qu’il tourna pour Martin Scorsese que dans beaucoup d’autres.

Avec The Revenant, DiCaprio a délibérément oublié qu’il «joue la comédie», mais «acte» – il agit, il ne «joue» plus, il incarne son personnage de trappeur et répond à la définition des Américains qui appellent cela «he is a natural» – «c’est un homme naturel». J’ignore si les Français accepteront ce message de survie, cette reproduction des grands thèmes chers à Alexandre Dumas (la vengeance, la camaraderie, la trahison) et astucieusement adaptés au rythme du western. Car ce film est le contraire de ce que produit, habituellement, le cinéma français : comédies urbaines, intimes. DiCaprio et son metteur en scène vont au-delà. Leur Revenant répond à l’une desvocations du cinéma : dépayser, faire peur ou faire rêver, faire appel à l’instinct plutôt qu’à la raison.

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