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Rivalité États-Unis - Iran : le nucléaire iranien au cœur des tensions

Le président iranien Ebrahim Raïssi en compagnie de Mohammad Eslami, chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA), devant une centrale nucléaire iranienne à Ispahan. [Iranian Presidency / AFP]

Depuis plus de 40 ans, les relations entre les États-Unis et la République islamique d'Iran sont explosives. Dès 1979, plusieurs séries de sanctions économiques ont été mises en place par les États-Unis, l'ONU et l'UE pour répondre au développement du programme nucléaire iranien. Mais les tensions persistent.

Une guerre économique avec l'arme nucléaire en point d'orgue. Les autorités iraniennes ont annoncé, lundi 5 février dernier, le début des travaux de construction d'un nouveau réacteur nucléaire à Ispahan, dans le centre de l'Iran, quelques jours après avoir fait état d'un projet de centrale nucléaire dans le sud du pays. «Aujourd'hui, on a commencé à couler le béton pour la fondation du réacteur sur le site d'Ispahan», a déclaré Mohammad Eslami, chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA), cité par l'agence de presse officielle Irna.

Précédemment, le chef de l'OIEA avait annoncé la construction d'un complexe de centrales nucléaires à Sirik, sur le détroit d'Ormuz, composé de quatre centrales individuelles d'une capacité de production combinée de 5.000 mégawatts. «Nous devons atteindre une capacité de production de 20.000 mégawatts d'énergie nucléaire dans le pays d'ici à 2041», avait-il déclaré lors d'une tournée dans la région avec le président iranien, Ebrahim Raïssi. Seuls cinq pays dans le monde dépassent cette capacité, à savoir les États-Unis, la France, la Chine, la Russie et la Corée du Sud.

Si Téhéran a toujours affirmé que ses activités nucléaires sont pacifiques et nié vouloir fabriquer une bombe atomique, ce réarmement nucléaire intervient depuis la décision des États-Unis de sortir de l'accord sur le nucléaire iranien, dans le contexte d'une guerre économique, idéologique et militaire menée de manière indirecte entre les deux pays, et qui dure depuis plus de 40 ans. 

pression économique maximale

Depuis 1979, date de la révolution iranienne, la République islamique d’Iran a fait l’objet de multiples sanctions économiques américaines et internationales. Cette année-là, après la prise d’otages à l’origine de la rivalité historique entre les deux pays, les États-Unis ont gelé 12 milliards de dollars d’actifs financiers détenus par l’Iran. Si une partie sera rendue en échange de la libération des otages, cet événement va néanmoins engendrer une escalade des tensions entre les deux pays et provoquer une surenchère des sanctions américaines. L'objectif affiché est clair : affaiblir et isoler l'Iran à chaque fois que le contexte international s'y prête, en exerçant une pression économique maximale. 

Pour ce faire, les États-Unis vont surveiller de près l'Iran, et s'intéresser notamment au redémarrage des activités d’enrichissement d’uranium, suspecté de contribuer au dévéloppement d'un programme nucléaire offensif. «En 2002, il y a une réelle inquiétude dans tous les pays occidentaux puisqu’on découvre qu’il y a un programme nucléaire iranien clandestin. Historiquement, notamment en raison du contexte avec la guerre entre l’Irak et l’Iran, l’objectif était vraiment d’avoir l’arme atomique pour développer une force de dissuasion», explique Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, et spécialiste de l’Iran, pour CNEWS. 

Fort de leur hégémonie économique et financière, les États-Unis vont alors commencer à exercer une pression maximale sur l'Iran. Après un tout premier embargo décidé en 1984 pour sanctionner les liens du pays avec le Hezbollah, c’est en mars, puis en mai 1995 que les États-Unis vont mettre en place un véritable embargo économique contre Téhéran. Ce dernier interdit d’abord toute importation de pétrole iranien par les États-Unis et ses alliés, et prohibe ensuite tout commerce avec l’Iran. En 1996, la loi d'Amato-Kennedy interdit même à toute entreprise étrangère d'effectuer un investissement supérieur à 20 millions de dollars en Iran dans le secteur des hydrocarbures. L'entreprise française Total est ainsi contrainte de payer 300 millions de dollars aux États-Unis après un accord à l'amiable, pour ses activités commerciales dans le secteur pétrolier en Iran. 

un programme nucléaire au cœur des tensions

En 2005, à la suite de la victoire des conservateurs avec l'élection de Mahmoud Ahmadinejad à la tête du pays, l'Iran va officiellement décider de reprendre le développement de son programme nucléaire, stoppé deux ans plus tôt après des négociations avec les dirigeants européens. Une décision aux lourdes conséquences : en décembre 2006, les Nations unies mettent en place la résolution 1737, qui impose un important embargo sur l'armement à l’encontre de l’Iran. Il est immédiatement suivi, en février 2007, par un embargo de l'Union européenne.

Cet embargo concerne le matériel de surveillance et de télécommunication, le matériel de maintien de l'ordre et le matériel nucléaire à destination militaire. Le commerce des armes, des munitions, des véhicules et équipements militaires et paramilitaires (ainsi que leurs pièces détachées), mais aussi les services financiers liés à l'armement, ainsi que le matériel utilisé pour les réacteurs nucléaires à eau légère, sont ainsi prohibés. 

Mais ce n’est pas tout. Pour isoler un peu plus le pays, les États-Unis décident en 2010 de s'attaquer à l'une des sources principales de revenus du pays et de promulguer le «Comprehensive Iran Sanctions Accountability and Divestment Act» complété en 2011 et 2012 par les «National Defense Authorization Act» et «Iran Freedom and Counter-Proliferation Act». Ces traités mettent en place un embargo sur le pétrole iranien, et sanctionnent les services financiers étrangers ayant des activités avec l'Iran. L’ensemble du système financier iranien est frappé.

En parallèle, l'Union européenne étend également ses sanctions au secteur énergétique iranien, et interdit l'exportation vers l'Iran de matériel minier, de métaux précieux et d'équipements navals. L'Union européenne gèle les actifs financiers de la république d'Iran, ainsi que des banques iraniennes, et supprime son accès au réseau Swift. Enfin, le transfert de technologies liées de près ou de loin à la fabrication des armes nucléaires, à des étudiants ou chercheurs iraniens, devient interdit dans l'ensemble du territoire européen.

Accord sur le nucléaire iranien

Face à cette situation, l’Iran, dont le développement se trouve extrêmement affaibli par les sanctions, est contraint de négocier avec la communauté internationale. Ce processus de négociations va aboutir à la signature d’un accord sur le nucléaire iranien, le 14 juillet 2015, nommé «Joint Comprehensive Plan of Action» (JCPOA) ou «Plan d’action global commun». Il s’agit d’un accord signé à Vienne entre la République islamique d’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) auxquels vient s’ajouter l’Allemagne. 

Dans les faits, l’accord a plusieurs objectifs : limiter l’enrichissement d’uranium et de plutonium, deux matières nécessaires à la production d’une arme atomique, et renforcer les contrôles sur la production d’uranium en Iran, sous l’égide de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). En échange, les Occidentaux s'engagent à lever les sanctions (onusiennes, américaines et européennes) visant notamment les secteurs de la finance, de l’énergie et du transport iranien. La levée des sanctions est toutefois conditionnée au respect des engagements iraniens. L’accord prévoit enfin de maintenir un embargo sur les armes (importations d’armes lourdes et de missiles balistiques).

«Aujourd’hui il semble que l’Iran a choisi de devenir ce que l’on appelle un pays du seuil, c’est-à-dire un pays qui maîtrise la technologie, et qui est capable, si nécéssaire, de construire très rapidement une bombe atomique», précise Thierry Coville. «L’accord de 2015 avait stabilisé la situation. C’est à cause de Donald Trump que le programme nucléaire iranien est reparti à partir de 2019», avance le chercheur. 

Donald Trump se retire de l’accord 

Justement, tout bascule en mai 2018, lorsque Donald Trump annonce le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun, rétablissant les sanctions américaines contre l'Iran, notamment sur les produits pétroliers, et réinstaurant surtout l'interdiction d'utiliser le dollar dans les transactions commerciales avec Téhéran. En représailles, le 16 juillet 2018, le ministère des affaires étrangères iranien annonce que l’Iran a porté plainte contre les États-Unis à la Haye, siège de la Cour internationale de justice (CIJ), dans le but de «faire rendre des comptes aux États-Unis pour leur réimposition illégale de sanctions unilatérales». Malgré une décision unanime de la plus haute instance judiciaire des Nations unies qui condamne les États-Unis, cette décision ne sera jamais appliquée. 

Dès septembre 2019, l’administration américaine instaurera même de nouvelles sanctions économiques, considérées comme le régime de sanctions le plus sévère jamais imposé à un pays. Son impact sur l’économie iranienne et sur la population est significatif. Ce dernier sera par ailleurs amplifié par la crise sanitaire du Covid-19, à laquelle l'Iran ne sera pas en mesure de faire face correctement, et qui causera de très nombreuses morts. L’économie iranienne est par conséquent extrêmement affaiblie et les résultats sont visibles, tant sur l’évolution du PIB que sur la balance commerciale, ainsi que sur les exportations de biens et notamment sur l’exportation du pétrole, qui baisse considérablement. 

«Donald Trump sort de l’accord alors que l’Iran le respecte. Il rétablit toutes les sanctions américaines et notamment l’embargo pétrolier. L’Iran tombe alors dans une crise économique violente notamment parce que le pétrole représente entre 20 et 30% des recettes budgétaires de l’Iran. En conséquence, l’État ne peut plus investir et garde son argent pour payer ses fonctionnaires. L’État iranien est très appauvri, avec un gros déficit budgétaire, et une inflation d’au moins 40% frappe le pays. On peut donc effectivement dire que ces sanctions ont véritablement pesé sur le développement du pays», détaille Thierry Coville.  

Un avenir incertain suspendu à la présidentielle américaine

Si l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en 2020 a redonné quelques espoirs pour ressusciter l’accord, avec notamment la création d’un nouveau texte, sur la table des négociations depuis le 8 août 2022, ces dernières sont aujourd’hui au point mort. Et pour cause, depuis le retrait des États-Unis, les dirigeants iraniens et l’opinion publique ont changé de position sur l’accord et concernant toute négociation avec les Occidentaux.

En effet, les sanctions contre le régime n’ont pas eu l’effet escompté. Bien qu’elles aient eu un lourd impact sur l’économie, le régime iranien en est sorti renforcé. Désormais, la position iranienne vis-à-vis de l’accord est plus conservatrice. Cela s’explique par le soutien de la population aux conservateurs à travers les urnes, lors des élections législatives, face à des sanctions américaines qui ont affaibli l’Iran et les Iraniens. Ces derniers se sont ainsi serrés les coudes et rangés derrière le pouvoir. 

«Il y avait des négociations informelles entre l’Iran et les États-Unis, notamment au sujet du nucléaire. Il est probable qu’elles se soient complètement arrêtées à cause de la guerre à Gaza. Mais ce qu’on entend dire, c’est que Joe Biden reprendra sans doute les négociations avec l’Iran s’il est réélu», affirme Thierry Coville.

«Par contre, si Donald Trump est élu, il veut revenir à ce qu’il appelle une politique de pression maximale. C'est-à-dire mettre une pression économique totale contre l’Iran, pour les forcer à négocier sur quasiment tous les sujets, allant des conflits régionaux jusqu’au nucléaire. On rentrerait alors dans un niveau d’incertitude extrême quant à l’avenir des relations entre les deux pays. C’est très clair», conclut le chercheur.

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