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Afghanistan : «Les Talibans ont pu surfer sur le nationalisme et le rejet des étrangers»

Les Talibans ont pu reprendre l’Afghanistan, d’abord, parce qu’ils représentaient une force politique dans le pays. [HECTOR RETAMAL / AFP]

Le 15 août 2021, les Talibans ont marqué un retour fracassant au pouvoir en Afghanistan. Profitant d’un chaos institutionnel marqué par la corruption et la violence du gouvernement afghan, ce groupe islamiste a su obtenir la confiance des plus modestes. Un an après, le pays est plongé dans un tourbillon de crises : financière, économique et humanitaire.

Il y a un an, le groupe islamiste extrémiste des Talibans reprenait le contrôle de Kaboul, en Afghanistan.

Pour CNEWS, Didier Chaudet, chercheur associé à l’Institut français d’études sur l’Asie centrale (IFEAC), revient sur les raisons qui ont permis aux Talibans d’accéder au pouvoir, et sur la situation du pays et de ses habitants un an après.

Quelle était la situation avant l’arrivée des Talibans au pouvoir ?

Une corruption endémique, rongeant l'État afghan de l'intérieur, a fait que ce dernier a été constamment faible, et progressivement rejeté par certains Afghans.

Quand on va dans le sud de l’Afghanistan, notamment dans les zones rurales, on peut constater que des routes qui devaient être construites pour aller dans un certain nombre de villages n’ont jamais été faites, que l’argent a été donné mais qu’il a été détourné. Des villages qui devaient être connectés vers des centres économiques plus importants ne l'ont jamais été. Il n’y avait aucune aide au développement.

De plus, on avait les tensions ethniques, un sentiment de dépossession de l’Etat pour une certaine partie de la population pachtoune (des musulmans sunnites hanafites ayant donné leur nom au pays, le mot «afghan» étant un synonyme de «pachtoune», ndlr), voire une attitude des nouveaux représentants de la République afghane qui se comportaient très mal sur place. S’ajoutent à cela les nombreuses affaires de corruption et de violence.

Cette population a regardé, de plus en plus, Kaboul ainsi que les Américains comme des ennemis.

Qu’est-ce qui a facilité la victoire des Talibans ?

Les Talibans représentaient une force politique parce qu'une partie de la population se reconnaissaient en eux. On l’a refusé pendant très longtemps, suivant la voix officielle de l’Amérique, à partir de laquelle la France a fait de même au niveau médiatique et diplomatique.

On a également refusé l'idée que les Talibans représentaient une partie de la population qui, elle, se reconnaissait dans les Talibans, tels que les gens qui vivent dans les campagnes, notamment les campagnes pauvres du Pachtoune du Sud. On aurait pu reconquérir ces derniers si l’argent de la communauté internationale avait servi au développement et n’avait pas été détourné.

A cause de cette perte de soutien, la population s’est retrouvée de plus en plus sous la protection des Talibans qui remontaient en puissance. A partir de 2005 - 2007, les Talibans ont commencé à représenter cette catégorie qui était de plus en plus perdue.

A l’époque de Barack Obama, personne aux Etats-Unis, ni même à l’international, n’a pointé du doigt le problème capital de la corruption et du détournement de fond alors que c’était le cœur du problème, et personne ne pouvait aller vérifier ce qu’il se passait en dehors des grandes villes.

Après avoir réussi à récupérer la population, les Talibans ont pu surfer sur le nationalisme et le rejet des étrangers qui n’étaient pas à la hauteur de leurs engagements et de leurs discours et qui étaient associés à une certaine corruption.

Les Talibans ont ensuite su s’adapter d’un point de vue tactique à la situation locale. Par exemple, concernant l’enseignement des filles et des enfants, ils essayaient parfois de revenir à l’approche du passé où les jeunes filles n’avaient pas le droit d’aller à l’école. Cependant, quand ils étaient face à une résistance réelle de la population locale, ils décidaient de ne pas se confronter à elle dans certain endroit. Ils se sont également servis de l’argent de leur ennemi, notamment de l’argent américain, pour se présenter comme une alternative plus intéressante.

Pourquoi les cadres du mouvement sont-ils principalement des «Pachtounes» ?

L'État afghan a été créé par un leadership pachtoune, au détriment des autres nationalités. On pense au particulier des Hazaras : pour certains membres de cette minorité, l'État afghan moderne s'est construit sur leur «génocide» de fait.

Malgré tout, il y a cette relation très compliquée entre les différents groupes ethniques en Afghanistan. Les Talibans représentent donc une version possible, pas la seule, pas l’unique et même pas la plus importante du nationalisme pachtoune teintée de religiosité.

En Afghanistan, la religiosité et l’identité vont souvent de pairs. C’est un impact de la réaction au Grand Jeu avec les intrusions russes et britanniques et c’était aussi ce qu’il a permis d’unifier l’Afghanistan, l’utilisation de l’Islam sunnite comme idéologie, en partie, pour unifier la population autour de l’Etat.

Quelle est la relation des Talibans avec l’international ?

A partir de 2010, où l’administration de Barack Obama a dit qu’il serait impossible de vaincre les Talibans militairement et qu’il fallait négocier avec eux, tout le monde a essayé de créer des liens avec eux.

Les liens existaient depuis longtemps avec les Pakistanais. Les Iraniens, qui avaient commencé à créer des liens, les ont fortement développés au point d’inviter lors de grandes réunions régionales une délégation du gouvernement afghan légal et une délégation des Talibans.

De leur côté, les pays centre-asiatiques, en dehors du Tadjikistan, ont tenté de créer des liens avec les Talibans pour éviter des problèmes à leurs propres frontières.

Les Russes ont su, également, tisser des liens avec les Talibans. En effet, le Kremlin, dont la loi considère toujours les Talibans comme un groupe terroriste proscrit, les ont reçus régulièrement à Moscou bien avant la prise de Kaboul.   

Quant aux Chinois, ils ont noué des liens avec les Talibans pour s’assurer un avenir où la montée en puissance de ceux-ci n'engendrerait pas de problème dans la région et bien sûr sur le projet de la route de la Soie.

Les Talibans ont su faire une diplomatie très réaliste avec leurs voisins. Ils ont voulu montrer un autre visage. Ils ont réussi à rassurer leurs voisins et à parler avec eux et avec les puissances régionales pour se faire accepter.

Peut-on considérer les Talibans d’aujourd’hui comme des dirigeants normaux ?

C’est vrai qu’il est difficile pour l’Afghanistan d’être un Etat normal tant que cela reste un «narco-Etat».

On est face à un Etat dont le trafic de drogue a un impact considérable sur le fonctionnement économique du pays. Si les Talibans sont sérieux dans leur interdiction de ce trafic, ce que je ne crois pas, ils saboteront leur propre pays parce que les paysans maintenant, pour une bonne partie d’entre eux, ne survivent que grâce à ce trafic. Comment l’Afghanistan peut-il être un Etat normal avec un tel fonctionnement économique ?

Quel est le rapport des Talibans avec al-Qaida et Daesh ?

Dans certaines analyses, on voit une affirmation justement prononcée de ces deux groupes disant qu’al-Qaida et Daesh ont augmenté leur capacité. Le problème est que al-Qaida a prêté allégeance à la direction des Talibans alors que Daesh la combat extrêmement violemment.

Si ce qui est dit dans ces analyses anglo-saxonnes est vrai, cette montée en puissance des jihadistes n’a rien à voir avec les Talibans eux-mêmes. Néanmoins, pour moi, la situation d’al-Qaida en Afghanistan est très compliquée.

Par ailleurs, Daesh est dans la situation des Talibans avant, c’est-à-dire que, pour eux, le plus important est de survivre et de pouvoir frapper de façon terroriste y compris si cela fait beaucoup de morts. Ils sont combattus extrêmement durement par les Talibans.

Daesh, d’un point de vue idéologique, a repris les tendances les plus dures des Talibans depuis la fin des années 1990 tels que le rejet radical de l’étranger, de la Russie, des Etats-Unis, des Occidentaux et de l’Iran chiite. Tout ce qui a fait le terreau du fondamentalisme le plus dur est repris ouvertement par Daesh alors que les Talibans essayent de tenir un discours acceptable pour leurs voisins et pour la communauté internationale.

Si l’on veut parler du jihadisme transnational, Daesh est le vrai danger, al-Qaida, avec tous ses groupes, a fonctionné de façon autonome.

Avant sa mort, Ayman Al-Zawahiri s’est retrouvé dans un quartier anciennement chic de Kaboul. Cela montre que des liens existent entre al-Qaida et Kaboul. Maintenant, est-ce qu’il a été mis dans cette résidence pour le garder à l’œil et pour éviter qu’il fasse quoi que ce soit ou est-ce qu’il était là en ami et en compagnon d’arme ? Ce sont des questions que l’on peut se poser.

On parle souvent des Talibans pour des raisons évidentes en Afghanistan, mais le danger en termes terroriste pour le niveau régional et international c’est Daesh.

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