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L’Europe ne doit pas avoir peur, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Ce n’est pas le moment d’avoir peur !», a dit Jean-Claude Juncker en présentant, devant le Parlement européen, le dispositif proposé par la Commission européenne, fermement soutenu par l’Allemagne, la France et l’Italie, pour répartir équitablement entre les pays membres de l’Union quelque 160 000 réfugiés venus principalement de Syrie et d’Irak.

L’Allemagne, elle, n’a pas peur ! Elle vit, et c’est heureux pour l’Europe tout entière, un grand moment historique que les quelques groupuscules néonazis, qui se manifestent ici et là par la violence, n’arriveront pas à gâcher. Soixante-dix ans séparent deux photos : l’une d’un petit garçon apeuré, promis à la mort, prisonnier du ghetto de Varsovie ; l’autre d’un petit garçon coiffé de la casquette d’un policier allemand, tout à son bonheur d’être accueilli avec sa famille par l’Allemagne d’aujourd’hui. Une Allemagne qui a repris le flambeau de la défense de la dignité et des droits de l’homme.

Quel contraste avec les commentaires qui accompagnaient, il y a seulement quelques semaines, l’intransigeance allemande face à la Grèce. On évoquait alors la rigidité des pasteurs protestants (Angela Merkel est fille de pasteur) prompts à faire la morale.

Ils agissent ici armés de la même morale, celle du respect du droit d’asile pour des gens qui fuient la guerre et les persécutions. Angela Merkel a d’abord hésité et tergiversé avant de faire le bon choix : celui de l’accueil. Assorti de conditions rigoureuses et d’une plus grande fermeté vis-à-vis des autres candidats à l’immigration, notamment ceux qui voudraient venir des Balkans, c’est-à-dire de pays, pour la plupart, candidats à l’adhésion à l’Union, et qu’il serait choquant de prétendre ranger dans la catégorie «réfugiés».

La France, de son côté, a eu peur. Du moins en a-t-elle donné tous les signes, si l’on en juge par le retard pris par ses dirigeants face à une crise dont ils n’avaient mesuré ni l’ampleur ni l’impact. Et par les réactions de l’opposition. Paris a d’abord refusé le premier plan de la Commission européenne, déjà fondé sur le principe d’une répartition équitable.

Avant que François Hollande ne s’exprime rigoureusement dans les mêmes termes qu’Angela Merkel. Dans la réalité, la France accorde chichement le droit d’asile : 20 % seulement des 60 000 demandes présentées chaque année. L’explication est simple : ceux-là s’ajoutent aux 200 000 émigrés qui entrent chaque année dans le pays, tandis que deux Français sur trois, de façon constante, considèrent qu’«il y a trop d’étrangers en France». Même si l’opinion commence à bouger, puisqu’une majorité considère désormais qu’il faut accueillir des réfugiés syriens et prendre sa part de l’effort européen.

Il reste un acteur dont on parle peu et qui est au comble de l’hypocrisie : les Etats-Unis. Ils ont d’abord vilipendé cette mauvaise Europe, réputée insensible au sort des réfugiés, avant de commencer à se regarder : 1 200 réfugiés syriens accueillis aux Etats-Unis en 2014 ! Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Obama vient, certes, d’annoncer l’accueil de 10 000 réfugiés au long de l’année 2015, mais après avoir corrigé son secrétaire d’Etat, John Kerry qui, lui, avait parlé de 100 000… Les Etats-Unis restent enfermés dans des règles antiterroristes draconiennes, y compris pour celles et ceux qui fuient la guerre, puisqu’une procédure d’asile nécessite entre dix-huit et vingt-quatre mois d’enquête…

Face à une guerre contre Daesh qui peut durer longtemps, il est urgent pour l’Europe de s’organiser : meilleure sera cette organisation, mieux nous maîtriserons les flux de réfugiés et moins nous aurons peur. 

Jean-Marie Colombani

 

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