Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Parmi les changements qui nous assaillent, il en est qui sont de nature à transformer radicalement notre monde. Ils sont souvent paradoxaux, comme le montre aujourd’hui la situation des Etats-Unis et de l’Europe.
Si l’on regarde les Etats-Unis, on ne peut qu’être frappé par le fait que notre vie est encadrée, balisée, voire surveillée par des firmes américaines devenues, en quelques années, les géants de ce début de siècle, comme Google, Facebook, Amazon ou Apple. Dans le même temps, les Etats-Unis redeviennent un acteur majeur, c’est-à-dire indépendant, du marché le plus décisif stratégiquement : celui de l’énergie. Grâce à l’exploitation des gaz et pétrole de schiste notamment. Avec, pour conséquence prévisible, l’affaiblissement du poids économique et politique des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient, comme de celui de la Russie, laquelle est d’ailleurs semblable à l’économie d’un émirat, reposant exclusivement sur l’exploitation et la vente d’énergie.
Paradoxalement, cette domination technologique et cette renaissance énergétique vont de pair avec un affaiblissement politique de plus en plus visible. Le marqueur dans ce domaine a été, l’année dernière, l’aggravation de la tragédie syrienne et le renversement du rapport des forces en faveur de Bachar al-Assad, soutenu par la Russie et l’Iran. En cause, les atermoiements de Barack Obama qui a finalement renoncé à toute action.
Affaiblissement américain visible aussi à travers la levée de boucliers provoquée par l’espionnage dont ont été victimes aussi bien la chancelière allemande que la présidente brésilienne. Et que dire de la situation institutionnelle qui a vu la Maison Blanche paralysée à plusieurs reprises.
D’une autre façon, l’Europe vit un temps tout aussi paradoxal. L’Union a achevé l’année 2013 par une victoire politique : la naissance de l’Union bancaire. Conséquence de la crise financière, elle représente une avancée essentielle. Une réflexion et une promesse de meilleure coordination ont été engagées dans la perspective d’une Europe de la défense qui sera la prochaine étape indispensable pour tirer les leçons du repli stratégique américain. Surtout, contrairement à tous les mauvais augures et aux spéculateurs de Wall Street ou de la City qui travaillaient à l’effondrement de l’euro, celui-ci ne s’est pas produit. Enfin, les premiers signes de redressement sont apparus.
Le paradoxe est que c’est dans ce moment de retournement que vont s’affirmer, un peu partout sur le territoire de l’Union, des mouvements populistes, voire dans certains pays, néonazis ou néofascistes, dont le point commun est le refus, voire la haine de l’Europe. Si bien que des universitaires et des éditorialistes nous expliquent que le populisme et certaines formes de fascisme, qui étaient l’apanage dans la deuxième moitié du XXe siècle de l’Amérique latine, peuvent devenir une menace pour le sud de l’Europe, France et Italie comprises. Je ne partage pas ce pessimisme.
Autant il est vrai qu’il existe à peu près partout, sauf en Allemagne, des poussées populistes et autoritaires dangereuses, autant il ne me semble pas que ces mouvements parviendront à peser véritablement sur le Parlement européen. En réalité, notre difficulté est la suivante : nous avons du mal à concilier l’amour de chacun de nos pays et l’amour de notre époque. Le rejet par bon nombre de nos concitoyens d’une époque marquée par la mondialisation est à la source de beaucoup de nos difficultés. Et, à vue humaine, une bonne partie de celles-ci ne seront solubles que dans l’Union européenne.
Jean-Marie Colombani
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