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50 ans du GIGN : «la négociation exige stabilité émotionnelle, patience et capacité d’écoute», explique l’ex-négociateur Vincent François

Le GIGN fête ses 50 ans ce 1er mars. [LUCAS BARIOULET / AFP]

Le corps d’élite de la gendarmerie française, le GIGN, fête ce vendredi 1ᵉʳ mars son cinquantième anniversaire. Appelé sur des situations de crise, ce corps d’élite place la négociation au cœur de l’action. Vincent François, ancien négociateur du GIGN, a accordé une interview à CNEWS.

Entré au GIGN en 2001, Vincent François se spécialise un an plus tard pour devenir négociateur, une mission qu’il quitte en 2011 après dix années au sein de ce corps d’élite français. À l’occasion des 50 ans du GIGN, CNEWS a eu la chance de le rencontrer. 

Comment vous est venue l'envie d'intégrer les rangs du GIGN et de devenir négociateur ? 

Après avoir fait mon service militaire, j'ai voulu entrer dans la gendarmerie et j’y suis entré comme sous-officier dans ma première affectation à Versailles Satory. En 1997, j’étais en escadron libre et je me suis ennuyé. J’ai vite vu que ça n’allait pas me convenir longtemps et en voyant le GIGN s’entraîner à côté, j'ai eu envie de les rejoindre. 

Je me suis entraîné en attendant d’avoir le temps de carrière minimal pour présenter le concours du GIGN. J’y suis entré en 2001, puis j’ai fait mes premières armes au GIGN et ensuite plusieurs spécialités s’offrent à vous et j’ai postulé pour être négociateur. 

La première raison qui m’a poussé à être négociateur, c’est que sur certaines missions où la négociation est engagée, vous faites partie du pool décisionnel, vous êtes associé à lui. Je vais vous faire une image. Votre section d'intervention est appelée sur une mission avec un forcené. Dans ce cas-là, vous vous mettez en civil avec l'autre négociateur et puis vous allez travailler au profit du chef de la mission et de son adjoint, c'est-à-dire, vous allez tracer le profil de l'individu et vous allez définir les faisabilités pour présenter votre analyse au chef de mission.

Sauver des vies au mépris de la sienneAncienne devise du GIGN

Si la négociation n’est pas possible, le négociateur est en gilet et casque comme les autres et participe à la colonne d’assaut. Quand je suis utilisé comme négociateur, ça me permet de sauter des échelons hiérarchiques. J’ai été malgré ma jeune ancienneté très rapidement dans les pools décisionnels et c’était pour moi intéressant intellectuellement et challengeant. 

La seconde raison, c’est que mon directeur de sélection était négociateur et j’ai eu un très bon feeling avec lui et je me suis dit que j’aimais bien sa façon d’être puis je suis arrivé dans le même groupe interventionnel que lui et il a été mon parrain et donc ça développe des relations plus approfondies et ça a confirmé ma volonté d’orientation. 

Quelles sont les qualités d'un bon négociateur ? 

Il faut évidemment des qualités ou des compétences à avoir, qui peuvent être développées mais il va falloir une stabilité émotionnelle, normalement tous les hommes du GIGN ont cette stabilité. Beaucoup de patience, qui est moins présente dans l’ensemble du GIGN (rires) et puis une grande capacité d’écoute. 

C’est selon moi les trois grandes qualités à avoir pour devenir négociateur, j’ajouterais qu’il faut aussi une grande curiosité intellectuelle. 

Vous souvenez-vous de votre première négociation ? 

Oui, je m’en souviens très bien. Je ne me souviens pas de toutes les négociations mais la première mission en tant qu’opérationnel, elle marque. C’était une personne retranchée, un homme de 60 ans qui, à la suite d’une séparation avec sa deuxième femme, a tiré sur elle avant de se retrancher pour mettre fin à ses jours. J’avais pris contact avec lui au téléphone et puis on avait discuté et j’avais réussi à lui faire ouvrir la porte pour faciliter l’intervention. 

La première négociation a une saveur particulière parce qu’en l’occurrence la personne avait ouvert la porte et ça avait été hyper excitant.  

Quelle est la négociation qui vous a le plus marqué durant votre carrière au GIGN ?

J’en ai trois qui ressortent. Une parce que ça a été la plus longue et la plus médiatique. On était une équipe de trois négociateurs engagés sur l’affaire du Ponant, un voilier de luxe en 2008 capturé au large de la Somalie avec 30 otages à l’intérieur. Ça a duré une semaine, ça a été extrêmement intense. Il n’y avait pas ou peu de risques sur la vie des otages mais médiatiquement et politiquement parlant, il y a eu une grosse pression. Forcément, c'est un souvenir très marquant. 

Le négociateur est un outil d'aide à la résolution pour le chef de mission

Quelques temps plus tard, je suis parti en Haïti pour l’enlèvement d’un fonctionnaire français, où là, il y avait des menaces de mort. On était parti sans troupe d’intervention donc on se reposait uniquement sur la négociation. Il n’y avait pas d’autre moyen de résoudre la situation que par la négociation et puis j’ai aussi ramené un souvenir de là-bas puisque j’ai été intoxiqué et hospitalisé pendant quinze jours, donc c’était doublement marquant. 

Et la dernière, c’est celle d’un forcené dans le sud de la France, qui lui n’avait pas voulu sortir et ça c’était fini par un assaut avec échange de coups de feu et on avait utilisé une amie de la famille pour entrer en contact avec lui, parce qu’avec moi ça ne passait pas. Après l’assaut, je suis resté en contact avec cette amie qui me donnait des nouvelles de l’ancien forcené qui avait été incarcéré. J’ai pu suivre la redescente toxicologique et la prise de conscience de l’auteur à travers elle. Ça m’a beaucoup marqué parce que j’ai suivi ce dossier pendant un an et demi après. 

Comment vit-on l'échec d'une négociation ?

En négociation de crise, l’échec est relatif. Le négociateur est un outil d’aide à la résolution pour le chef de mission. Son premier rôle est d’aider en évaluant la dangerosité de l’auteur et en faisant une cartographie des champs des possibles pour aller vers une résolution au travers de la négociation ou pas.  En fonction de cela, il y a trois types de résolution possibles : le négociateur parle et la personne sort, c’est la reddition. La deuxième, c’est la négociation qui mène à une facilitation de l’intervention. Et la troisième, c’est l’assaut direct. 

L’échec de la négociation qui mène à l’assaut peut être considéré comme un échec mais c’est un demi-échec. Par exemple, le forcené du sud de la France, après l’impasse de la négociation, il y a eu un assaut et des coups de feu. Personne n’a été blessé mais ça aurait pu mal se passer. Là, je n’ai pas vécu cette mission comme un échec, je l’aurai vécu ainsi, s’il y avait eu un blessé du côté du GIGN ou si le forcené était mort. C’est arrivé quelques mois plus tard lors d’une autre mission. Un camarade du GIGN est mort dans une situation quasi-similaire. 

J’ai eu des refus de négociation, des échecs de la négociation mais qui pour moi n’étaient pas difficiles à accepter parce qu’il n’y a pas eu de circonstances dramatiques derrière. J’ai des collègues qui ont eu le suicide du forcené en cours de négociation et c’est beaucoup plus dur à digérer. Après les missions nous avons des débriefings qui sont faits en interne et aussi un travail avec un psychiatre qui va expliquer le cheminement et les raisons de l'acte de l’auteur. 

Stagner, c'est commencer à régresser

Il y a eu une situation extrêmement dramatique, je n’étais pas sur cette mission, d’un père retranché avec son fils de six mois qui s’est défenestré avec l’enfant. Il n’a pas pu être empêché. Le négociateur forcément l’a mal vécu et le psychiatre a pu l’aider à comprendre la personnalité perverse de l’homme et l’instrumentalisation de son geste. 

La devise du GIGN actuelle (depuis 2014), c’est «S’engager pour la vie», c’est-à-dire s’engager pour sauver des vies. C’est notre ADN profond. La devise a changé à mon époque, c'était «Sauver des vies au péril de la sienne». C’est vraiment ça le sens de l’engagement du GIGN. Même si c’est une personne qui a tué sa femme, qui est retranchée ou qui est suicidaire, l’objectif, c'est de la sauver. 

Peut-on dire que la négociation est l'un des piliers du GIGN ? 

Si vous me demandez : «Est-ce que la négociation est le pilier du GIGN», je vous dirais non mais si vous me demandez «Est-ce que la négociation fait partie des trois piliers d’action du GIGN», je vous dirais oui. 

Le GIGN, c’est «une machine de guerre» pour gérer des situations d’exception, c’est-à-dire que lorsque nous arrivons sur place, nous sommes organisés de telle sorte que chacun sait ce qu’il a à faire.

Donc il va y avoir une composante gestion de crise, analyse de la situation pour aller vers une résolution, c’est le premier pilier. Après, on a les deux leviers de résolution, l’intervention et la négociation. C’est vraiment une prise en compte globale de la situation de crise, de l’analyse à la résolution. 

Que ressentez-vous en voyant le GIGN d'aujourd'hui ? 

De la fierté. Il y a une forte culture historique, c’est-à-dire qu’à chaque cérémonie importante, les anciens, comme moi, sont conviés. J’y suis allé de manière assez fréquente car je suis associé avec une personne qui vient de quitter le GIGN. Et à chaque fois on voit l’évolution. Entre le moment où je suis entré et le moment où je suis parti, ça avait déjà énormément évolué. Mais entre 2011 et maintenant, ça a encore évolué. Ils ont poussé le modèle plus loin, ça s’est encore plus professionnalisé dans la maîtrise des techniques et des technologies. Récemment, j'ai vu un PC crise et j’ai fait «Wahoo, là ça déchire». On était déjà à la pointe de ce qui se faisait à l’époque mais là la salle de crise, ça «envoie la braise».

Et ce qui a de bien, c’est que l’esprit perdure. Toujours vouloir faire progresser et c’est super car on pourrait dire «de toute façon à mon époque c’était mieux» mais non parce que stagner, c’est commencer à régresser. Donc que le modèle évolue, soit malaxé, qu’il soit poussé encore plus loin, c’est le but, c’est la recherche de l’excellence et c’est l’esprit du GIGN. 

C’est une fierté de les voir porter l’étendard et que l’esprit soit toujours présent.

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