En direct
A suivre

La semaine de Philippe Labro : Une poésie centenaire, une beauté millénaire

Georges Brassens, qui aurait eu 100 ans aujourd'hui, a inscrit ses nombreuses chansons dans la mémoire des Français.[© GALMICHE / TF1 /SIPA]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

VENDREDI 22 OCTOBRE

C’est la date de naissance de Georges Brassens. Il aurait eu 100 ans aujour­d’hui. D’ailleurs, il est mort en octobre aussi, le 29 de l’an 1981. Je vois, bien entendu, surgir ce syndrome très français de célébrer les anniversaires, commémorer les événements. J’ai été tenté, parfois, d’ironiser sur cette manie que nous avons de faire référence au passé, aux artistes disparus, cette nostalgie quasi universelle. Mais comment, néanmoins, ne pas saluer une nouvelle fois ce poète, chanteur, compositeur, dont plusieurs générations connaissent par cœur les immortels textes avec leurs non moins immortelles mélodies ?

Est-ce la Chanson pour l’Auvergnat, puissante ode à la solidarité, au geste d’amour ? Est-ce Les copains d’abord, simple et lumineuse affirmation de la force de l’amitié ? Sont-ce Les amoureux des bancs publics, qui ont «des petites gueules bien sympathiques» ? Sont-ce Les passantes, véritable petit chef-d’œuvre ? Est-ce encore l’extraordinaire Supplique pour être enterré sur la plage de Sète ?

Je me souviens l’avoir entendue à Saint-Sulpice, quand Roger Thérond, ancien patron de Paris Match, Sétois comme lui, était enterré. Sous la voûte de la grande église, ses phrases si simples résonnaient :

La Camarde qui ne m’a jamais pardonné

D’avoir semé des fleurs dans les trous de son nez

Me poursuit d’un zèle imbécile

Et puis : Est-ce trop demander… !

Sur mon petit lopin

Plantez, je vous en prie,

une espèce de pin

Quelle étonnante fusion de tendresse et d’autodérision, quelle verve, quelle justesse de chaque mot. Et tout cela, au rythme d’une mélodie dans laquelle un bon brassensophile reconnaît l’influence du jazz : une rythmique qui lui appartenait et qu’il scandait, debout, sur la scène de Bobino, suant un peu, accompagné par le bassiste Pierre Nicolas (trente ans de complicité).

Ah ! Cette salle de Bobino, nous l’avons tous aimée. Neuf cents places et une acoustique parfaite. J’y revenais souvent, car ce Brassens, on avait souvent envie de le voir – une seule séance ne suffisait pas. Il apparaissait modeste, costaud et fragile, avec cette voix légèrement teintée d’un accent du Midi, chaude et familière quoiqu’un peu voilée. Quand vous alliez, à la fin de son récital, le féliciter dans sa loge, il se comportait avec tant de pudeur, de discrétion, de distance par rapport à sa notoriété, que l’on se taisait assez vite – on faisait silence face au silence.La poésie de Brassens s’inscrit dans l’héritage de La Fontaine, Villon, Verlaine, Aragon, Paul Fort (écoutez, si vous ne la connaissez pas, sa mise en musique d’un texte très vivace de Fort : La Marine). Il n’y a pas de hasard ou de miracle si «Cent ans après, coquin de sort, il manquait encore».

Je vous recommande, si vous aimez Brassens, le numéro 5, daté de juin 2021, de la revue Légende, créée et dirigée par mon talentueux et prolifique confrère Eric Fottorino, un document très illustré, avec de nombreux écrits. Vous retrouverez, entre autres signatures, un long texte pédagogique de Bertrand Dicale (l’homme qui connaît parfaitement la chanson française) et, aussi, un entretien avec Maxime Le Forestier, passionnant témoignage de celui qui, d’une certaine manière, est son fils spirituel. Et puis, fredonnez donc, en cet automne, quel­ques-unes de ses merveilles : son chê­ne, son parapluie, sa petite poupée, l’eau de sa claire fontaine. Les 100 ans de Brassens n’ont pas 100 ans. Ils vivent encore aujourd’hui.

Aucun rapport, sauf celui de la beauté et de l’imagination : voici le tout nouvel album de la dessinatrice Catherine Meurisse. Il sort en librairie dans quel­ques jours : La jeune femme et la mer (éd. Dargaud). Les paysages japonais, la nature, le charme des textes, la petite note d’autodérision, de sagesse et de philosophie… On n’est pas loin des grands maîtres japonais de l’estampe, Hokusai et Miyazaki. Un cadeau de 116 pages.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités