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Georges Fenech : «Depuis le 13-Novembre, on est passé dans un autre monde de menace terroriste»

Ancien juge d'instruction, Georges Fenech a également présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015.[Raphaël Rippe]

Un dossier d'instruction de 542 tomes, près de 1.800 parties civiles et 330 avocats pour neuf mois d'audience : selon Georges Fenech, le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui doit s'ouvrir ce mercredi 8 septembre, s'annonce «hors norme». Dans son livre «Bataclan, Paris, Stade de France - Le procès», l'ancien juge d'instruction donne les «clés de lecture» de cette affaire complexe.

Ancien président de la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015, Georges Fenech a été chargé de «rechercher les éventuels dysfonctionnements et failles» des services de l'Etat ce soir-là. Dans son ouvrage, il présente les conclusions de ce travail ainsi que les propositions formulées par la commission pour améliorer le dispositif français de lutte contre le terrorisme.

En quoi ce procès est-il «hors norme» ?

Au-delà des chiffres, qui relèvent du jamais vu, c'est un procès hors norme parce qu'on peut dire qu'il y a eu un avant et un après 13 novembre 2015 en France, comme il y a eu un avant et un après 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

On est passé dans un autre monde de menace terroriste. On a dû modifier tous nos dispositifs, on a dû restreindre nos libertés pour plus de sécurité, on a fait entrer dans le droit commun des éléments d’état d’urgence.

C'est aussi un procès hors norme parce que la France, l’Europe et je dirais le monde entier vont suivre le déroulement des débats. On en attend beaucoup.

Quelles attentes gravitent autour de ce procès ?

Il y aura 14 personnes dans le box des accusés mais 20 individus seront jugés puisque 6 d'entre eux, présumés morts, font l'objet d'un mandat d'arrêt. On attend d'abord la reconnaissance de leur culpabilité et l'évaluation de leur degré de participation. On attend aussi les condamnations, évidemment. Ça, c'est le but premier du procès.

A côté de ça, les parties civiles, les victimes et leurs avocats ont fait citer à l’audience des responsables des services de l’époque, DGSI et DGSE notamment, et des responsables politiques. A commencer par François Hollande, chef de l’Etat à ce moment-là et Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur à l’époque. Moi-même j’ai été cité comme témoin en tant qu’ancien président de la commission d’enquête parlementaire.

Il ne s'agit pas de faire le procès de l'Etat mais cette dimension ne sera pas absente du procès, on ne peut pas faire abstraction. C’est évident que les familles voudront comprendre comment ces individus ont pu agir, ont pu se déplacer et n’ont pas été repérés suffisamment tôt alors qu’ils étaient déjà connus de nos fichiers et, pour certains, déjà condamnés.

Quelles étaient les failles du système français à l'époque en matière de lutte contre le terrorisme ?

L'un de mes chapitres s'intitule «Nous n'étions pas prêts», parce qu'après six mois de travaux, nous avons conclu que le dispositif d'alors, qui datait des années 1970-1980, n'était plus adapté à cette nouvelle forme de menace. Notre rôle était de trouver les dysfonctionnements mais aussi de formuler des suggestions pour les pallier. D'ailleurs, la plupart de nos 40 propositions sont mises en oeuvre aujourd'hui.

Il a fallu notamment revoir le schéma national d'intervention. Par exemple, c'est dorénavant l'unité d'élite la plus proche des lieux de commission d'un attentat et la plus en capacité d'intervenir qui conduit l'opération, là où un critère de territorialité avait conduit à choisir la BRI plutôt que le RAID ou le GIGN le soir du 13 novembre 2015. Les primo-intervenants ont par ailleurs été formés pour pouvoir entrer en action sans attendre les forces d'élite.

La coordination des services a aussi été améliorée. D'abord au niveau national, grâce à la création d'un centre français de contre-terrorisme, sous l'autorité de Laurent Nunez, mais aussi au niveau européen. Dès le 14 novembre 2015, Europol a créé en son sein un centre européen de contre-terrorisme. Il y a eu, véritablement, un électrochoc.

Que reste-t-il à faire ?

A mon sens il y a encore une marge de progression en ce qui concerne la coordination européenne. Les pays membres de l’UE ont sans aucun doute mieux partagé leurs informations mais le renseignement reste considéré, à juste titre d'ailleurs, comme un élément de la souveraineté. Les services ont beaucoup de réticence à l'idée de tout partager au sein d'une base de données commune.

Ensuite, le fait de renforcer les dispositifs d'intervention est évidemment indispensable, mais je pense qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Agir en amont passe par les dispositifs légaux, comme la loi séparatisme, mais aussi par l'éducation. Je crois que l'enseignement du fait religieux est important, dès la primaire. Cela permet de connaître les fondements, les préceptes des religions et d'expliquer qu'elles ne sont pas des étendards de guerre mais au contraire des étendards de paix et de respect mutuel. Quand on connaît, on a moins peur.

Les efforts doivent aussi se porter sur internet, qui est le premier vecteur de radicalisation. On a beaucoup progressé à ce niveau-là, avec la création d'un pôle spécialisé au parquet de Paris, mais la menace est très difficile à identifier en ligne. Enfin, les prisons sont également des viviers de radicalisation. Il est compliqué d'isoler les individus radicalisés en raison de la surpopulation carcérale. Les syndicats pénitentiaires plaident pour la construction d'une ou deux structures entièrement dédiées au phénomène.

Où en est la menace terroriste aujourd'hui en France ?

Depuis 2015, nous avons été touchés par de multiples attentats : à Nice, Saint-Etienne-du-Rouvray, Magnanville et beaucoup d'autres. Mais il s'agissait d'attaques endogènes, commises par des individus déjà présents sur le territoire. Alors que les attentats du 13 novembre étaient commandés de l'extérieur, depuis l'étranger, avec un entraînement militaire des assaillants.

La menace d'un nouvel attentat plus structuré n'est toutefois pas à exclure. D'abord parce que les groupes jihadistes retrouvent une certaine vigueur et parce que de nouvelles menaces ont été proférées contre la France en juillet par al-Qaida. Sans compter qu'il y a l'ouverture du procès, mais aussi le 20e anniversaire des attentats du 11 septembre, à New York. Tout cela crée un contexte.

Aujourd'hui, en France, nous sommes mieux protégés qu'en 2015, oui. Mais on est encore loin du compte. Si on remonte à 2012 et Mohammed Merah, ça fait bientôt dix ans que nous vivons sous cette menace et connaissons des actes terroristes. Il faudra probablement une autre décennie avant de pouvoir se dire «on a gagné une guerre». Pour l’instant on a gagné une bataille, sans doute. Mais pas la guerre.

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