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Grand oral du bac : la prise de parole en public, cet exercice aussi essentiel que redouté

Selon Bertrand Périer, avocat, «on néchappe pas à la compétence orale» qui est un outil d'insertion sociale. [Unsplash/Miguel Henriques]

Cauchemar des timides, supplice des glossophobes : le fait de s'exprimer en public est une source d'angoisse pour de nombreux Français. Pourtant, la parole est un outil crucial de la construction de soi. Avec la troisième édition du Grand oral du bac, du 19 juin au 30 juin, les lycéens ont l'occasion d'apprivoiser cet exercice, aussi essentiel que redouté.

Le jour J, ils disposeront de 20 minutes pour préparer leur exposé, sur un thème choisi et travaillé en amont. Le jury leur posera des questions à ce sujet, avant d'écouter la présentation de leur projet d'orientation. Notée sur 20 points, l'épreuve est censée, selon l'Education nationale, évaluer «des compétences essentielles, en particulier la maîtrise d'une parole personnelle, structurée et argumentée, la capacité à déployer avec clarté et conviction une réflexion, à dialoguer et à débattre, à adopter une distance critique par rapport aux savoirs acquis et à son projet de formation».

Tout un programme, sachant que, jusqu'ici, «on a délaissé cette part de l'enseignement» en France, estime Bertrand Périer, avocat spécialiste de l'art oratoire et formateur pour le concours Eloquentia. Une analyse que partage Méky Labarbe, lauréate de ce même concours à Bordeaux et Meilleure oratrice francophone de l'année 2021. Parmi les lycéens que la jeune femme a accompagné dans leur préparation au Grand oral, certains ont confié n'avoir «jamais fait d'oraux». «C'est dommage, considère-t-elle. Parce que si on apprend dès le plus jeune âge, on se décharge de toute pression dès petit et on ne peut que s'améliorer au fil des années».

Mylène Hue, orthophoniste spécialisée dans le traitement du bégaiement, du bredouillement et de l'inconfort de la parole, regrette par ailleurs la manière dont est généralement évaluée l'oralité. «On valorise les orateurs alors qu'ils ont, de fait, déjà acquis cette compétence», déplore-t-elle. Confrontée chaque jour à des patients pour qui la communication est difficile, elle suggère que l'on mesure plutôt «l'inconfort» de chaque élève face à l'expression orale afin de récompenser par la suite «les progrès et les efforts». Cette approche permettrait de valoriser «la prise de risque», qui n'est pas la même pour tous.

Pour ceux qui ne prennent jamais la parole en public, «c'est très chargé en émotion à chaque fois que ça arrive, confirme Bertrand Périer. A l'oral, il n'y a pas de deuxième chance, une fois que c'est dit, c'est dit. C'est difficile de s'exposer au jugement, au regard de l'autre». Pour l'avocat, cette «forme d'angoisse» est «normale». Il confie d'ailleurs la ressentir encore, même après des années de plaidoiries et de prises de parole en tout genre. «Avoir un peu peur c'est aussi ce qui vous galvanise, assure-t-il. Mais il ne faut pas que ça paralyse».

Pour éviter cela, la pratique est sans doute le meilleur remède. C'est pourquoi Bertrand Périer conseille aux élèves de voir le Grand oral comme une opportunité. L'avocat aurait «adoré» qu'on lui propose une telle épreuve lorsqu'il était au lycée. A l'époque, «j'avais peur de m'exprimer en public», se souvient-il. Ça aurait pu être un déclic pour prendre conscience que c'est important dans la vie de tous les jours».

Car, il en est convaincu, l'oralité est «une clé pour entrer dans le monde du travail et les études supérieures. Elle permet de partager ses convictions, ses idées. Lors d'un entretien d'embauche ou pour entrer dans une formation, nous sommes jugés sur notre capacité à prendre la parole en public. Parfois c'est injuste et cruel, certains recruteurs expérimentés vous jugent sur vos sept premiers mots. Vous êtes catalogués en une minute, ça peut vous enfermer».

En cela, la parole est indéniablement un «marqueur social». «Les enfants dont les parents sont rompus à la communication sont entraînés depuis tout petits, explique Mylène Hue. Mais il y a aussi tous les autres. C'est très inégalitaire». En apprenant à maîtriser les codes de l'expression orale, on s'offre donc la possibilité de dépasser ces déterminismes. «Je suis originaire d'Ouzbékistan et c'est par la parole que j'ai réussi à m'intégrer dans la vie citoyenne et sociale, assure Méky Labarbe. Il y a des enjeux de société très forts, inhérents à la prise de parole en public. Elle permet à tous de se faire entendre, quelle que soit son origine ou sa condition».

«La prise de parole a forgé ma personnalité»

Ces enjeux de communication sont si cruciaux que la santé peut être mise à mal lorsque l'expression orale est entravée. Mylène Hue s'en rend compte tous les jours. Au quotidien, l'orthophoniste a affaire à des patients dont les échanges troublés conduisent parfois à «l'isolement social» et au mal être. Une réalité en résonnance avec l'expérience de Méky Labarbe, qui considère la parole comme «le reflet de l'image et de l'estime qu'on a de soi».

En développant cette compétence, la jeune femme s'est «véritablement découverte». «La prise de parole a forgé ma personnalité, s'enthousiasme-t-elle. J'ai pris confiance en moi, j'ai grandi et muri». Et, à en croire les experts, cet aboutissement est à la portée de tous. Sans avoir besoin de devenir un champion de l'éloquence, qui «relève plus de l'art», il s'agit d'être capable de s'exprimer de manière efficace et satisfaisante au quotidien.

Dans le cadre du Grand oral du bac notamment, on ne demande pas aux élèves d'être éloquents au sens de cette «parole esthétique, emphatique et boursoufflée» que l'on utilise dans les concours. Il s'agit plutôt d'être capable de «transmettre sa pensée de manière simple et claire». En la matière, certains ont forcément plus de facilités que d'autres mais «tout le monde peut apprendre», insiste Bertrand Périer.

D'ailleurs, Méky Labarbe estime en être la preuve vivante. Elle assure que personne ne pouvait s'attendre à ce qu'elle devienne un jour Meilleure oratrice francophone de l'année. «J'étais très timide et j'avais peur du regard des autres, raconte-t-elle. Lors de mes premiers oraux, au collège, je m'effondrais littéralement, en pleurs». Aujourd'hui tout cela n'est plus qu'un souvenir mais, pour en arriver là, il a fallu «se faire violence», miser sur le «travail», l'envie et la «persévérance».

A en croire Bertrand Périer, ce genre de parcours n'est pas si rare. Il est d'ailleurs convaincu que, lors du Grand oral, certains jeunes vont «se révéler». «Parfois ce sont des gamins qui ne sont pas très bon à l'écrit et qui trouvent dans la parole quelque chose de nouveau, dans lequel ils peuvent s'épanouir. Ils y verront une bouée de secours».

Puisqu'«on n'échappe pas à la compétence orale» dans la vie de tous les jours, l'avocat conseille aux lycéens de profiter de cette épreuve obligatoire pour «sortir de leur zone de confort». Ils ont, selon lui, «tout à gagner» à faire entendre leur voix. La bouche sèche, sans doute, le coeur battant, peut-être. Mais le verbe haut, toujours.

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