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Le sursaut de la République, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

La France vit un moment grave, décisif pour son avenir. Son destin sera différent selon qu’elle choisira de se diviser davantage ou de redécouvrir ce qui a fait son unité. La grande marche de Paris peut être soit une simple trêve, soit un point de départ de nature à redonner à cette collectivité le sens de ce qu’elle doit être. La présence des grands leaders européens peut aussi être un symbole fort – l’Europe de nouveau perçue comme un projet historique sous-tendu par une communauté de valeurs – en même temps qu’une obligation pour la France d’être à la hauteur de la solidarité internationale manifestée à son égard.

Une fois passées l’émotion et la protestation, la politique devrait reprendre ses droits. Il y a, dans certaines fractions de la société, une tentation d’amalgame, voire de vengeance vis-à-vis des musulmans. La rhétorique la plus périlleuse est celle qui oppose la civilisation à la barbarie. La civilisation : nous-mêmes ! La barbarie : l’Islam ! C’est oublier que les musulmans sont aussi victimes, par centaines, du fanatisme des terroristes. Faire face à un islamo-fascisme n’autorise pas à condamner celles et ceux qui n’aspirent qu’à la pratique libre et tranquille de leur religion.

Parallèlement, sur les réseaux sociaux et dans certains établissements scolaires de banlieues dites difficiles, il s’est trouvé des très jeunes gens pour se désolidariser sur le thème «Je ne suis pas Charlie». A leurs yeux, les victimes du massacre de Charlie Hebdo étaient coupables de blasphème. On peut être allergique au blasphème, mais on se doit aujourd’hui de défendre, pour quiconque, le droit au blasphème.

Dans le même temps, il est une communauté de Français qui paie un tribut très lourd : nos compatriotes de confession juive. Aux victimes de Mohammed Merah s’ajoutent désormais celles du supermarché Casher de la porte de Vincennes. Il y a eu, en 2014, quelque 7 000 départs vers Israël, témoins de l’insécurité croissante ressentie par cette communauté. La France a ceci de particulier qu’elle compte les plus fortes communautés musulmane (entre 3,5 et 5 millions de personnes) et juive (environ 600 000 personnes) en Europe. Elles symbolisent une diversité qui doit rester un atout et une espérance pour la France.

Face au scénario d’aggravation des tensions, il en existe un autre : celui d’une France qui, comme l’a demandé le président de la République, se lève. Soumis à un tragique électrochoc, les Français peuvent retrouver leurs réflexes républicains. C’est l’image de ces milliers de personnes réunies dimanche. Depuis très longtemps il n’y avait eu de mise en scène visible et collective, consciente et presque confiante, d’une France qui dit non à la haine, non aux anathèmes, oui aux libertés, oui à notre diversité. Dans le débat public, c’est la France du repli et des clivages à outrance qui tenait le haut du pavé. Voici que l’on peut redécouvrir une autre France, collectivement décidée à défendre les valeurs qui sont le bien commun des Français, qu’ils soient d’une confession ou d’une autre, ou, comme l’étaient les dessinateurs de Charlie Hebdo, militants de la laïcité.

La France, et l’Europe avec elle, est partie prenante d’une guerre contre le terrorisme dans laquelle les soldats français – qui se battent en Afrique subsaharienne pour le compte de tous les Européens – sont en première ligne. Français et Européens sont aussi confrontés à une menace diffuse, issue de leurs propres rangs, et hélas durable. C’est en Belgique qu’il y a, rapporté à la population, le plus grand nombre de départs pour la Syrie. En France, plus d’un millier de personnes sont fichées pour leur implication dans des filières qui peuvent les conduire en Syrie et en Irak. Faire face à cette menace nécessitera patience et moyens sophistiqués. C’est pourquoi l’unité des Français et des Européens ne doit pas être un vœu pieux mais une obligation. 

Jean-Marie Colombani

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