Recueillement devant une stèle des disparus en mer, marche silencieuse et dispersion de fleurs dans le port : quelque 500 personnes ont rendu hommage samedi à Loctudy (Finistère) aux cinq marins disparus du Bugaled Breizh, dix ans après le naufrage inexpliqué du chalutier breton au large de la Grande-Bretagne.
Entre colère et désarroi devant une enquête qui n'en finit pas et risque de se terminer par un non-lieu, les familles et les proches des victimes, convaincus depuis dix ans de la responsabilité d'un sous-marin dans l'accident, ont lancé plusieurs appels "à ceux qui savent".
Devant la stèle des péris en mer de Loctudy, port d'attache du chalutier, Michel Douce l'armateur du navire, a souhaité que "certains personnes libèrent leur conscience".
"Qu''elles disent ce qu'elles ont vu et entendu, je leur dis : venez, il n'est pas trop tard", a -t-il déclaré , reconnaissant "des moments de lassitude, d'abattement et de colère".
Auparavant, l'aumônier des gens de mer, François Leroux, s'était interrogé sur "le droit à la vérité".
"Lorsqu’on est témoin d'un évènement, on a le devoir de témoigner, ici, nous avons l'impression que le devoir, c'est de ne pas dire. Est-ce normal ? Les marins n'ont-ils pas droit à la vérité" a demandé le prêtre.
Le 15 janvier 2004, le Bugaled Breizh ("Enfants de Bretagne") sombrait en moins d'une minute, avec cinq hommes à bord, dans des conditions météorologiques plutôt bonnes.
Depuis, la longue enquête judiciaire n'a apporté aucune explication plausible à ce naufrage qui s'est produit au large de la Cornouaille britannique, dans un secteur où se déroulait un exercice militaire européen impliquant plusieurs sous-marins.
Depuis le début, et en dépit de l'enquête du BEA Mer qui a conclu en 2006 à un accident de mer, les familles des 5 marins disparus estiment que le chalutier a été croché par un sous-marin. Certaines penchent pour la responsabilité d'un sous-marin britannique, d'autres soupçonnent celle d'un submersible américain.
Mais en octobre, les juges nantais ont annoncé la fin de leur enquête, laissant entendre l'imminence d'un non-lieu.
"J'espère que quelqu'un va parler"
"Il y a des jours où je me dis, c'est terminé, l'histoire du Bugaled", a déploré samedi Rémy Gloaguen, frère d'un marin disparu. "J'ose encore espérer qu'il y a bien quelqu'un qui va parler, un jour", a-t-il ajouté, s'adressant à d'éventuels témoins, civils ou militaires. "Parlez, ne gardez pas ça pour vous".
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"On ne peut pas laisser des tueurs des mers en liberté", a martelé Robert Bouguéon, ancien président du comité des pêches du Guilvinec, et vice-président de la caisse des péris en mer.
S'adressant à "Yves, Georges, Patrick, Pascal, Eric", les cinq victimes du naufrage, M. Bouguéon a rappelé "dix années éprouvantes, ponctuées de rebondissements".
Thierry Lemetayer, fils d'une des victimes, a dénoncé "un enterrement de première classe de l'enquête", affirmant, comme d'autres, que des gouvernements et des Marines ont caché des informations. "Même (le ministre de la Défense, Jean-Yves) Le Drian sait que des gens n'ont pas parlé", a affirmé M. Lemétayer.
Ce dernier avait vertement, dans une question enregistrée, apostrophé le ministre, invité dans la matinée sur France 3 Bretagne, lui demandant comment il assumait, en tant que Breton, "d'être celui dont le nom sera associé au torpillage" du dossier.
En réponse, M. Le Drian a assuré que "le ministère de la Défense et le ministre ne cach(ai)ent rien". "J'ai répondu à toutes les demandes de levée de secret-défense, tous les journaux de navigation sont à la disposition de l'instruction", a notamment affirmé le ministre, réclamant lui aussi que "la vérité soit faite".
Après la cérémonie au cimetière de Loctudy, les participants à l'hommage se sont rendus sur le port. Les familles, les proches ont embarqué à bord de six vedettes des sauveteurs en mer de la SNSM. Des fleurs blanches ont été dispersées face aux quais, devant les centaines de personnes.