En direct
A suivre

D'ex-toxico à mère

Une mère et son nouveau-né [Fred Dufour / AFP/Archives] Une mère et son nouveau-né [Fred Dufour / AFP/Archives]

Dans une salle d'attente à Dijon, des mères comparent le temps de sommeil de leurs bébés autour d'un biberon. Rien que de très banal, sauf qu'elles prennent un traitement de substitution à l'héroïne pendant que les soignants s'emploient à tisser un "cocon" autour d'elles.

"Il confond le jour et la nuit", sourit Caroline (*), 30 ans, en désignant son fils de six semaines. Gilet à capuche kaki et treillis beige, les cheveux noués en queue de cheval, elle berce le nourrisson endormi.

Dans un couffin en face, un autre bébé fait la sieste sous le regard attendri d'une infirmière. Sa mère est dans une salle annexe, en train de discuter avec un médecin de son traitement à la méthadone, un substitut aux drogues opiacées comme l'héroïne.

Les jeunes femmes font partie des huit mères suivies dans le cadre d'une consultation pour femmes enceintes mise en place à l'été 2012 dans un centre d'addictologie de Dijon (CSAPA Tivoli), financé par l'Agence régionale de santé (ARS).

"Le jeudi après-midi, nous n'accueillons dans cette salle d'attente que les gros ventres et les bébés", annonce, souriante, Valérie Hamelin, le médecin qui a mis en place cette consultation pensée comme un "cocon" pour les femmes.

Les futures et nouvelles mères sont toutes accueillies à la même heure. Pendant que l'une va renouveler son traitement dans le bureau du médecin, les autres parlent lait de croissance et nuits écourtées.

"Ce qu'elles se disent entre elles a plus de poids que ce que les professionnels peuvent dire", avance Marie-Pierre Parent, l'infirmière.

Pendant cette consultation, "on met le projecteur sur la femme enceinte et pas seulement sur la femme addict", ajoute-t-elle.

Une mère et son nouveau-né [Fred Dufour / AFP/Archives]
Photo
ci-dessus
Une mère et son nouveau-né
 

Il faut apaiser les craintes sur le syndrome de sevrage du nouveau-né mais aussi les "conforter dans leur capacité à être une bonne mère", souligne l'infirmière.

A l'hôpital où elle faisait suivre sa grossesse, Caroline n'osait pas parler de son addiction. "Souvent, après, le regard des gens n'est plus le même", dit-elle.

Etiquetée comme junky

Céline, 29 ans, a quant à elle cessé de consommer des opiacés "depuis des années". Elle souffre d'être toujours étiquetée comme junky, qu'une sage-femme soit "surprise" de voir qu'elle s'occupe bien de son enfant.

"Nous travaillons beaucoup à l'extérieur, avec les maternités, contre ces représentations négatives", souligne Marie-Pierre Parent.

Selon les recherches menées notamment par le professeur Claude Lejeune, président du Groupe d'études grossesse et addictions, "le changement global de regard envers les femmes toxicomanes améliore très sensiblement le pronostic périnatal" (prématurité, lien mère-enfant...).

Or, le regard des professionnels peut encore être "très critique, presque répressif", décrit-il à l'AFP.

Le risque est alors que la mère se détourne des réseaux de soins au péril de sa santé et de celle de l'enfant.

Faute d'information, Caroline essayait d'arrêter son traitement au Subutex avant d'arriver à la consultation du CSAPA, mettant en danger la vie de son bébé sans le savoir.

"En arrivant ici, on m'a augmenté" la posologie, glisse-t-elle.

"Toute la problématique, c'est de savoir si on regarde une toxicomane enceinte ou une femme avec une grossesse à risques", insiste le professeur Lejeune.

"Depuis une dizaine d'années, il y a de plus en plus de formation des professionnels et de travail en réseau", se félicite la sociologue et démographe Laurence Simmat-Durand, qui participe avec le professeur Lejeune à un diplôme universitaire Périnatalité et addictions.

"C'est moins tabou mais très dépendant des représentations des professionnels", tempère-t-elle.

La sociologue pointe l'absence de données sur ces femmes enceintes toxicomanes qui mènent une grossesse à terme. Selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), il y avait environ 280.000 usagers d'opiacés, cocaïne et amphétamines en France en 2011, dont 20% de femmes.

Pour ces femmes, "le temps de la grossesse va être un moment propice à l'entrée dans le soin, ce sont quelques mois qu'il faut saisir", rappelle l'infirmière Marie-Pierre Parent.

Mais, afin que le "cocon" ne se détricote pas une fois passé le seuil de la consultation, les équipes réfléchissent à un moyen d'accueillir les pères à leur tour.

"C'est souvent le papa qui ramène le produit à la maison", dit pudiquement Valérie Hamelin.

(*) Les prénoms des patientes ont été changés à leur demande.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités