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FIFA : les dessous du scandale, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Le scandale des pots-de-vin, dont ont bénéficié certains responsables de la planète football, attire une fois de plus l’attention sur l’argent du sport. Le football, premier sport mondial qui passionne des milliards d’êtres humains, est devenu un énorme business qui retentit aussi bien sur la marche de l’économie que sur la vie politique et les relations entre Etats. Que ce scandale ait été mis au jour par la justice américaine est, en soi, une bonne chose. Même si tout n’est pas si simple…

On sait, ou plutôt on soupçonne, que les organisations chargées des grandes compétitions internationales laissent place à un degré élevé de corruption. La France a ainsi gardé la triste mémoire des polémiques qui avaient accompagné l’attribution des Jeux olympiques à Londres plutôt qu’à Paris. Le maire de Paris d’alors, Bertrand Delanoë, avait suggéré que Londres avait peut-être pu bénéficier de largesses accordées à quelques membres du CIO.

S’agissant de la Fifa, les accusations de la justice américaine donnent le vertige. Les sommes concernées sont considérables et, aux dires de la ministre de la Justice américaine, ce n’est pas fini. Il est vrai que la Fifa brasse des sommes importantes (plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires entre 2011 et 2014) et fonctionne avec les statuts d’un club de pétanque. Ses dirigeants, et son éternel président Sepp Blatter, ne rendent de comptes à personne, sinon à leur propre comité d’éthique. Sepp Blatter plaide "qu’il ne peut pas surveiller tout le monde". Mais l’étendue du système de corruption est de nature à jeter l’opprobre sur toute son organisation. Et sur les conditions d’attribution des grandes compétitions : la révélation la plus grave concerne le soupçon de trucage des votes qui ont permis à l’Afrique du Sud d’organiser la Coupe du monde en 2010.

Il n’est pas question de refuser de prendre la mesure de ce scandale et d’en tirer les conséquences. Mais il faut aussi être conscient que les intentions de la justice américaine ne sont pas nécessairement exemptes d’arrière-pensées. La Russie s’est d’ailleurs empressée de dénoncer une manœuvre de Washington. Sans doute est-ce pour Moscou une façon de se prémunir contre d’éventuels soupçons sur l’attribution à la Russie de la prochaine Coupe du monde de 2018.

Toutefois, il n’est pas dit que nous – le reste du monde – soyons tenus d’accepter que la justice américaine étende son bras hors de ses propres frontières. La doctrine constante des Etats-Unis est d’essayer de faire prévaloir leur propre justice, où que ce soit. Il y a d’ailleurs, dans cette conception impériale, l’un des principaux obstacles à la conclusion de la négociation sur le traité de libre-échange transatlanti­que.

Récemment, cer­taines banques européennes ont été poursuivies pour avoir enfreint des embargos décrétés par Washington et que l’Europe n’avait pas validés. Sans doute, aux yeux de leurs concurrentes américaines, étaient-elles trop puissantes. En l’espèce, le biais choisi – l’inculpation des membres de l’organisation interaméricaine de football comme le passage de l’argent de la fraude par des banques américaines – est imparable. Il est assorti d’un raisonnement juridique brillant : la Fifa est présentée, non pas comme une organisation mafieuse, mais comme la première victime d’une entreprise criminelle. Laquelle prive de leurs droits les membres de la Fifa, qui sont chacun des structures nationales et donc aussi la structure américaine. Mais on pressent aussi qu’en ligne de mire se trouve peut-être l’attribution de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar. Aux dépens des Etats-Unis qui étaient, eux aussi, candidats. Si, entre-temps, il arrivait malheur à la fédération qatarie, l’organisation de la Coupe du monde reviendrait à la fédération américaine… 

Jean-Marie Colombani

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