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"Même si tout va mal, le peuple brésilien continuera de jouer au foot"

Deux Brésiliens jouent au football dans une favela de Rio.[YASUYOSHI CHIBA / AFP]

Pendant 20 ans, Jean Philippe, auteur épris du Brésil et du football, a récolté diverses anecdotes et photos qui rappellent l’attachement du peuple brésilien pour le "futebol". Le résultat, "Brésil, voyages en ballons", donne un livre-album unique en son genre, édité par une association à buts culturel et humanitaire.

 

Dans quel cadre avez-vous écrit ce livre ?

J'avais soumis en vain à deux associations caritatives, brésilienne et française, une idée d'ouvrage informatif, poétique et photographique évoquant le foot au Brésil, s'adressant aux adultes et accessible aux enfants.

Au marché international du disque, à Cannes, le président de l'association Nord-Sud Développement m'a sollicité pour effectuer la traduction simultanée d'interviewes de musiciens de samba. Il avait promu un album contenant mes chansons évoquant le Brésil en français (1).

Il a vite accepté d'éditer le livre, en comprenant que j'en avais accumulé la matière comme celle du disque : au cours de voyages, reportages et tournages qui ont fait du Brésil mon pays d'adoption.

La période choisie est 1994-2014, entre un Mondial gagné par la Seleção et celui qui va débuter.

 

Vous rappelez dans votre livre que moins de 2% des Brésiliens sont licenciés dans un club de football. Comment peut-on expliquer ce chiffre  dans un pays où tout le monde ou presque joue au football ?

Tout le monde joue, mais le jeu n'est pas le sport. Je reviens sur ce thème que j'ai déjà traité par les images et les mots (2).

Beaucoup de gens aiment le jeu innocent, le loisir, mais sont moins performants dès qu'arrivent les exigences de compétition, et a fortiori les contraintes professionnelles.

C'est ce que résumait avec autodérision et sincérité le frère d'un des joueurs – français – au cœur d'un documentaire que j'ai coécrit et imaginé, retenu dans une collection de DVD du ministère de l'éducation nationale (3). On en revient à l'enfance, et même à l'innocence.

Le frère de ce joueur dit qu'il est "fatigué" par la seule perspective de fournir les efforts nécessaires à une carrière. Comme lui, au Brésil beaucoup de joueurs ne veulent pas devenir compétiteurs.

 
Comment ce sport a-t-il séduit les Brésiliens au point de devenir la deuxième religion du pays derrière le catholicisme ?

L'importation est très probablement d'origine anglaise, à la fin du XIXe siècle.

La séduction du jeu est due en grande partie à sa parfaite adaptabilité d'une part aux conditions climatiques du pays, et d'autre part au plaisir collectif, à la joie de se retrouver en groupe qui unit tant les Brésiliens, très attachés à la famille et aux amis.

On a maintes fois constaté à quel point le déracinement touche beaucoup de joueurs expatriés, aussi bien rémunérés soient-ils. Ils sont matériellement à l'aise, mais tellement désorientés sur le plan affectif qu'ils en viennent souvent à reconstituer un entourage familial ou amical – celui-là même avec lequel on aime jouer au ballon.

 

Quel est l’impact du football dans la vie de tous les jours au Brésil ?

Il y a celui qu'on pratique, le jeu, et celui dont on parle, le sport. C'est un sujet de conversation et un élément d'identité personnelle.

L'impact est à la fois négatif par la violence qu'induisent les matches et positif en raison du "lien social" cher aux sociologues, qui devient ici un enchevêtrement de lianes sociales !

Dans tous les lieux et classes, on peut s'amuser d'une rivalité de club pour juste en faire prétexte à discussion – et en portugais "discutir" n'est pas seulement converser (conversar), mais débattre... et palabrer.

 

Les premières et dernières pages de votre ouvrage sont consacrées à des photographies montrant des "peladas". Ces parties de foot improvisées un peu partout au Brésil sont-elles, selon vous, le symbole de la popularité de ce sport ?

C'est le symbole et la carte postale. Tant qu'il y aura des ballons, cette activité continuera même si tout va mal. La préface de Zico, vibrante, est révélatrice du goût des Brésiliens pour l'essence du "jogo" – un mot symbolique lui aussi, car signifiant à la fois "jeu" et "match".

La compétition va exalter la domination ; la "pelada" va exalter le partage. Mais dans la "pelada", il n'y a pas de spectateurs devant lesquels inventer un gimmick. ll n'y a pas d'arbitre oubliant de sanctionner des fautes, et il y a peu de fautes. C'est peut-être un symbole du Brésil rêvé : des gens s'aimant d'amitié autour d'une balle au crépuscule...

 

Vous revenez dans votre ouvrage sur un certain nombre d’emblèmes du football au Brésil. Parmi eux, il y a ce fameux maillot vert et or qui a remplacé en 1950 une tunique toute blanche…

On a imputé au blanc la défaite de 1950. Le maillot jaune est devenu sans doute un des vêtements les plus identifiables au monde, un symbole du pays lui aussi.

Peut-être un statisticien parviendrait-il à établir s'il symbolise plus le Brésil que son drapeau national.

Mais ce n'est pas avec cette couleur que la Seleção remporta sa première Coupe du Monde en 1958. Qui peut s'en souvenir ? Pas grand-monde, car les gens qui avaient alors un téléviseur, peu nombreux, voyaient des images en noir et blanc. En finale, face au jaune suédois, les Brésiliens étaient en bleu.

C'est plus tard, notamment à partir de 1970, que devint notoire le maillot "canarinho". On parle là de jaune canari, comme à Nantes !

 

Que penser des manifestations anti Mondial qui ont lieu au Brésil ? Traduisent-elles un début de désamour des Brésiliens pour le foot ?

Elles traduisent surtout une colère à cause du gaspillage et de la corruption probable. Un ami m'a cependant fait observer que des politiciens appartenant au parti au pouvoir condamnés par le Tribunal Suprême, ont fait appel à une collecte populaire pour payer leurs amendes... et ont reçu des dons.

Quant au football, il subit un certain désamour mais à cause de la violence, y compris sur le terrain, et d'une supposée baisse de la technique individuelle des joueurs.
 

Brésil, voyages en ballons est en vente sur www.soltropical.fr

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1. Sous le nom de groupe Sol Tropical, avec la participation notamment de Roberto Menescal et Wanda Sa, deux icônes de la bossa nova.

2. "Zidane, le roi modeste" (éd. L'Archipel), dont certains passages sont écrits à la première personne, est une sorte de "biographie subjective". Patrick Fort, alors correspondant l'AFP à Madrid, a écrit une suite à ce livre refondu et intitulé "Zidane, de Yazid à Zizou", préfacé par Franck Ribéry. La dernière version a été publiée au Brésil en 2008, accompagnée par des textes de Ronaldo et du célèbre écrivain brésilien Luis Fernando Verissimo.

3. Collection "A-Propos". Une équipe de rêve, sélectionné en 2006 à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, aborde les destins de dix proches partenaires de Zinedine Zidane quand celui-ci, qui intervient dans plusieurs scènes, était stagiaire professionnel.

 

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