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Lacoste, l’épopée du crocodile

La vraie originalité de Lacoste est que, pour la première fois dans l’histoire de la mode, un logo apparaissait à l’extérieur d’un vêtement.[CC/Bludgeoner86]

Quand, au printemps 1927, un journaliste américain croise René Lacoste dans les rues de Boston, à la veille d’un match de Coupe Davis, et le surnomme l’Alligator, il ne se doutait pas que le champion français allait révolutionner le tennis et le monde du sport en inventant le polo Lacoste.

 

(ARCHIVES)

 

L’histoire du crocodile le plus connu du monde commence à la suite d’un pari. Le capitaine de l’équipe de France avait promis à René Lacoste une superbe malle en peau de crocodile s’il gagnait son match. Pour les spectateurs américains, friands de ces histoires en forme de défis, l’amalgame est vite fait et dans la mémoire du public, le jeune tennisman français, connu pour ne jamais lâcher sa proie, restera «le crocodile». Dès 1927, René Lacoste arbore fièrement sur son blazer un croco à la gueule grande ouverte. Le «terrible saurien» est entré dans la légende du tennis, bientôt il s'affichera sur les célèbres polos Lacoste.

 

 

René Lacoste, ou l’élégance décontractée des héros de Francis Scott Fitzgerald [Capture d’écran youtube]

 

Le teint est hâlé, les cheveux lustrés en arrière, le blazer blanc impeccable ; René Lacoste a l’élégance décontractée des héros de Francis Scott Fitzgerald. Son père le voit déjà à Poly- technique, mais lui préfère le tennis. Sa santé fragile aurait dû lui interdire toute carrière sportive, mais le jeune homme a la détermination chevillée au corps, de celle qui emporte tout sur son passage même «l’imprenable» Coupe Davis, raflée aux Américains à l’âge de 23 ans.

Ses victoires, René Lacoste les décroche à la force du poignet. De son père industriel, il a hérité la rigueur et le perfectionnisme. Il frappe dans la balle sans relâche, jusqu’à user le crépi de la maison familiale, décrypte avec une acuité quasi obsessionnelle la technique de ses adversaires, invente une machine lance-balles avant l’heure, quand l’entraînement de son professeur ne suffit plus.

En cinq ans à peine, entouré de la célèbre équipe des mousquetaires (Jacques Brugnon, Jean Borotra et Henri Cochet), il va dominer le tennis mondial jusqu’aux années 1930. Trois victoires aux internationaux de France, deux à Wimbledon et bien sûr la Coupe Davis en 1927 et 1928. En France et outre-Atlantique, une légende est née.

 

Des chemisettes d’un nouveau genre

Sportif d’exception, René Lacoste est aussi un inventeur. Avec son père, il a baigné dans une culture d’ingénieur. Outre ses trophées, on lui doit ainsi une quarantaine de brevets, notamment quelques éléments du Concorde, la première raquette en acier (vendue à sept millions d’exemplaires) et bien sûr son polo, créé pour son usage personnel sur les courts de tennis.

En 1929, René Lacoste remporte les Internationaux de France de Roland-Garros. Il porte depuis quelque temps un lot de chemises confectionnées à Londres pour son usage personnel. Ces nouvelles chemises font sensation sur les courts. Elles permettent, dira-t-il, «de mieux sup- porter la chaleur sur les courts américains». Le tissu en maille absorbe parfaitement la transpiration et les manches courtes et la coupe ajustée offrent un nouveau confort au jeune sportif français.

«A cette époque, nous jouions tous en chemise de ville blanche avec boutons, boutons de manchettes et col. Il me fallait quelque chose de plus pratique et de plus sain. J’ai pensé alors aux chemisettes des joueurs de polo. J’ai demandé à un couturier d'ajouter un col à ces «polo» et j’ai commencé à porter ces chemisettes d’un nouveau genre. On n’a pas tardé à les fabriquer industriellement (...)» explique René Lacoste.

 

Vidéo : René Lacoste, le champion français

 

 

C’est à ce moment qu’entre en scène André Gillier, propriétaire de l’une des plus grosses et des plus anciennes affaires de bonneterie de Troyes. Les deux hommes décident de s’associer, l’un possédant l’appareil industriel et l’expérience du textile, l’autre, dont le nom est tout un symbole, veillera sur la marque et le style.

En 1933, René Lacoste, qui a dû raccrocher sa raquette pour raisons de santé, décide d’exploiter commercialement sa fameuse chemise. La société «La Chemise Lacoste» est née et le premier catalogue publié dans la foulée.

Portée par les exploits de son fondateur, la chemise Lacoste symbolise les nouveaux codes du sport tels qu’on les entend aujourd’hui, tout en restant fidèle aux valeurs traditionnelles. Elle est appelée la «1212», elle est blanche, en petit piqué, frappée du crocodile, et répond aux besoins spécifiques d’une petite élite de sportifs. Avec ce polo, avec ces valeurs et l’idée du sport qu’il véhicule, René Lacoste crée plus qu’une mode, c’est un style de vie. Le sportswear est né.

 

« La 1212 » et son croco

Avant de se lancer dans l’extension des collections, d’exporter la marque et de proposer de nouveaux coloris, René Lacoste laisse la «1212» faire son chemin. Il épouse Simone Thion de la Chaume, spectatrice assidue des matchs de tennis, elle- même championne de golf. Elle est sacrée championne de Grande-Bretagne en 1927 et décroche par la suite, à treize reprises, le titre de championne de France. Avec madame Lacoste, l’univers du golf fait son entrée à la Chemise Lacoste.

Quasi obligatoire sur les courts de tennis, la couleur blanche va caractériser pendant de nombreuses années le polo Lacoste. Ce qui le rend unique est sa matière: «le jersey petit piqué». Il s’agit d’une structure particulière de maille qui donne au coton une étonnante légèreté. Le principe en est simple : sur le métier circulaire, toutes les aiguilles ne sont pas utilisées en même temps. Ce procédé explique le relief de la chemise Lacoste, fait de multiples petites alvéoles.

Révolutionnaire dans ses formes et ses matières, le polo Lacoste l’est aussi pour son style. D’après Bernard Lacoste, fils de René, «la vraie originalité est que pour la première fois dans l’histoire de la mode, un logo apparaissait à l’extérieur d’un vêtement.» René Lacoste a fait de son crocodile, le seul qui ne mord pas, un des logos les plus célèbres et les plus identifiables au monde. Avec sa gueule ouverte, immobile sur ses quatre pattes, la posture du croco puissant et tenace a à peine évolué depuis 1933. Il a subi un léger lifting en 2002, s’est aminci, allongé et simplifié.

 

Vidéo : Publicité Lacoste pour le « 1212 » 

 

 

À la conquête du monde

Si René Lacoste part à la conquête de l’Amérique dès 1952, c’est son fils aîné, Bernard, qui va donner une dimension internationale à l’entreprise familiale. Il a étudié à Princeton aux Etats-Unis. «L’homme est un visionnaire avec une culture internationale», selon Patricia Kapferer et Tristan Gaston-Breton, auteurs de Le style René Lacoste (éditions l’Equipe), il est particulièrement ouvert sur le monde et notamment l’Asie, d’où est originaire sa femme».

Nommé président en 1963, il exporte au Japon dès l’année suivante, avant d’y signer une licence de fabrication et de distribution. Puis viendront le Brésil, l’Australie, la Corée du Sud, etc. Au début des années 1990, Bernard Lacoste s’intéresse aux pays émergents comme l’Inde et la Chine, avec l’ouverture d’une boutique à Shanghai.

Michel, son frère, travaille à ses côtés. Même esprit de rigueur chez cet astrophysicien formé à Normale Sup, qui va se concentrer sur la gestion financière et de la protection de la marque. Une mission stratégique : le crocodile – rançon du succès –, au hit-parade des marques les plus contrefaites, est l’objet de tous les trafics. En 2005, quelques mois avant la disparition de son frère, Michel reprend la tête de l’entreprise. Il poursuit alors son développement à l’étranger et notamment au Brésil, marché prometteur, où Lacoste présente pour la première fois la nouvelle collection.

 

Une marque indémodable

La Chemise Lacoste a abordé le nouveau siècle avec confiance. En 2001, elle habille l’équipe de France de tennis, qui remporte la Coupe Davis pour la neuvième fois de son histoire. La société est présente sur tous les marchés de la mode : textile, maroquinerie, lunetterie, parfumerie. Pour la première fois, elle présente ses collections sur les podiums et défile à Paris et New York. Elle s’offre même les services du fameux réalisateur chinois Wong Kar-Wai, auteur de In the Mood For Love.

Sans renier la fameuse «1212», Lacoste explore de nouveaux terrains. Pour l’homme, la femme et l’enfant, 90 modèles sont disponibles avec des classiques comme le «piqué Stretch», le «super light» ou le «coton Pima».

Chaque année, la marque choisit un créateur extérieur à la mode et lui demande de «réinterpréter» le polo classique. Tom Dixon, le créateur de mobilier, est le premier à jouer le jeu. Il crée le «Polo Eco» et le «Polo Techno», deux inventions audacieuses qui replacent Lacoste dans l’air du temps.

Comme le souligne Bernard Lacoste, «il y a trois périodes dans l’histoire de Lacoste. Des origines au début des années 1960, Lacoste est une marque de chemises. Entre 1960 et 1990 environ, c’est une marque de vêtements. Depuis une dizaine d’années, c’est une marque de style de vie».

 

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