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«Ma voix est ce qui me raconte le mieux» : la jazzwoman Youn Sun Nah en concert à Paris pour son nouvel album «Elles»

Son nouvel album «Elles» est classé numéro 1 du Top Jazz. [© Seung Yull Nah]

Ses adeptes sont toujours aussi nombreux en France. Alors que son nouvel album, «Elles», est en tête du top jazz, la chanteuse Youn Sun Nah s’offre une série de concerts et fait escale à Paris, le 26 février, à la Cigale. Une rencontre avec son public qu’elle affectionne plus que tout, comme elle l’a expliqué à CNEWS.

Rendre hommage à ses inspiratrices. Alors que la chanteuse de jazz Youn Sun Nah, qui a découvert ce genre en France, alors étudiante en art, collectionne les succès avec ses albums et surtout ses prestations scéniques inoubliables, elle publie avec «Elles» un recueil de reprises de chansons que leurs interprètes féminines ont rendu célèbres, de Nina Simone à Björk, en passant par Edith Piaf. Un répertoire que l’on peut écouter sur scène, qu’elle partage avec le pianiste américain Jon Cowherd, lors d’une grande tournée hexagonale.

Comment est né ce projet de reprises, uniquement portées par des femmes devenues des icônes, dans leur art comme dans leurs combats ?

Un album comme «Elles», j’y pensais depuis très longtemps, pour faire une sélection des grands standards. Je ne comptais pas faire un album uniquement composé de morceaux de femmes. Puis au fil de la sélection, très douloureuse, la plupart des morceaux gardés étaient chantés par des femmes. J’ai réalisé que c’était elles qui avaient été mes sources d’inspiration.

Ces femmes ont été ma principale source d'inspiration.

Quand je suis arrivée en France, en 1995, je pensais vraiment que ma voix était incompatible avec ce répertoire de jazz chanté par Billie Hollyday, Nina Simone… Mes professeurs m’ont conseillé d’écouter d’autres chanteuses, surtout européennes, comme Norma Winstone ou Maria Joao. Il n’y avait pas besoin d’avoir forcément une voix puissante typique de la soul ou du blues.

Elles ont chacune marqué son temps. Qu’est-ce qui a motivé en définitive votre choix, leur vie ou leurs morceaux ?

C’est autant dans leur forte personnalité, que dans leur expression, leur voix, et leur constante exploration des sons, comme pour Björk, que je me suis retrouvée. Je suis plutôt introvertie, donc je pense qu’inconsciemment j’étais attirée par ces femmes fortes, qui ne se fixent pas de limites.

Nina Simone, sa voix est tout, avant même ses combats, c’est comme un shaman. Même si on ne comprend pas les paroles, sa voix exprime magnifiquement autant la haine que l’amour. J’étais attirée par ces chanteuse, moi qui ai une voix de soprane, je me demandais si je pouvais chanter ces musiques, et ne pas être cantonnée à certains styles.

Le titre de l’album, «Elles», est le même pour tous les pays ?

Oui, et c’est pour ça que le français est une langue formidable. Dans Elles, il y a ces chanteuses que j’adore et qui m’ont inspirées, émues, et leur voix. Avec «Elles», je peux y rattacher trois significations à la fois, ces chanteuses, leur voix, leurs chansons…

Le disque n’est-il pour vous, finalement, qu’un prétexte pour le défendre ensuite sur scène ? Préféreriez-vous qu’on se rappelle de vous pour un concert, ou pour l’un de vos albums ?

Ah pour un concert, sans hésiter. Les gens me demandent d’ailleurs souvent pourquoi je ne veux pas enregistrer d’album live. Je pense que je ne suis pas très «commerciale», je devrais peut-être mettre plus d’énergie dans les albums, enregistrer pendant 6 mois, aller à la chasse aux producteurs…Mais ça n’est pas trop moi, et j’aime travailler avec des collaborateurs qui sont en fait des amis. J’ai la chance d’avoir beaucoup de dates, avec vingt concerts en un mois. J’ai retrouvé ces sensations très fortes sur scène avec énormément de plaisir.

Pour «Waking World», votre album précédent, vous expliquiez que vous aimiez bien les petites formations, intimistes. Avec ce duo, vous êtes arrivés au bout du processus ?

Oui, c’est ce que j’aime le plus. Déjà parce que, tout simplement, on se comprend mieux quand on est deux, c’est plus facile de communiquer. Et comme, sur scène, chaque soir est différent, ça nous permet de nous adapter à la forme de chacun, de s’encourager, se motiver. Le public le sent aussi, c’est finalement une troisième personne, avec qui on dialogue, de manière très subjective. Je pense qu’il ressent cette proximité, cette intimité.

Parlez-nous du pianiste Jon Cowherd, qui vous accompagne sur l’album.

Je ne le connaissais pas avant de le rencontrer, la veille de l’enregistrement, même si je l’avais écouté avant. Il est très polyvalent, a travaillé avec John Scofield, sur un album de Joni Mitchell, a joué avec pas mal de chanteuses.

Il était là lors de mon passage, et ça a pu se faire rapidement. Il devait connaitre ce que je faisais, mais il ne m’avait jamais vu chanter. Il y a beaucoup de morceaux ou on l’a laissé faire, il jouait comme un vrai jukebox ! Il y a donc un peu de lui aussi dans cet album.

Les clips de l’album dans le même ton pastel, donnent un petit côté rétro à l’ensemble. C’est vous qui maitrisez cet aspect-là de l’album ?

C’est mon frère, photographe, et vidéaste depuis peu, qui a fait mes clips et la pochette de l’album. Forcément, on se connait bien, il sait ce que je n’aime pas, donc c’est facile de s’entendre !

On y voit souvent apparaître un instrument de musique, un petit componium, sorte de boîte à musique avec des cartes à trous pour composer des mélodies. A-t-il une histoire, un sens particulier ?

Il fait partie de mon parcours, mes voyages. Je l’embarque toujours avec moi. Dès que je suis dans un hôtel, que je commence à penser à une mélodie, un arrangement, c’est facile de faire sortir un son avec, une harmonie. C’est minimaliste, simple, ce que je préfère en musique ! J’avais vu des gens en jouer il y a au moins vingt ans, et je voulais en acheter un, je l’ai trouvé place des Vosges à Paris, dans une vieille boutique de boîte à musique. Et on peut faire sa propre partition, c’est parfait pour moi lorsque je sens que j’ai l’inspiration.

Beaucoup de musiciens à succès aiment s’entourer de grands ensembles, et enregistrer un album avec un orchestre symphonique est souvent une sorte de Graal pour ces artistes. Vous à l’inverse, plus votre carrière avance, plus vous semblez chercher l’intimité ou l’épure.

J’ai déjà eu l’occasion de jouer avec un big band ou un orchestre. J’aime écouter ce genre de musique, mais en même temps, ce que je préfère dans la pratique de la musique, c’est être complètement nue, de montrer ma sincérité.

Sur scène, j'aime ce moment de partage intime avec le public.

Ma voix est ce qui me raconte le mieux, et j’aime ressentir ce contact proche avec le public, ce moment de partage intime sur la scène, un peu isolée du monde. Un peu comme une histoire d’amour, personnelle.

Votre album précédent était sombre, fait en plein covid, sans interaction sociale. Mais il vous avait permis de faire tout vous-même, la maquette, la photo… C’est quelque chose que vous aimeriez renouveler ?

C’était une période très particulière, j’ai fait des choses que je n’avais jamais osé faire. Je ne savais pas du tout ce que l’avenir allait nous réserver, quand j’allais pouvoir enregistrer, pouvoir sortir, revenir en France …Pour moi c’était la fin du monde ! C’était presque un testament ! Ça m’a permis de faire des choses que je n’aurais pas imaginé pouvoir faire, j’ai appris beaucoup de choses. J’ai sans doute moins peur maintenant d’écrire mes propres chansons. Mais pour moi, Waking World était exceptionnel, je ne pensais pas pouvoir faire un tel album avant mes 80 ans ! Les fans qui me suivent depuis longtemps étaient ravis, et désormais ils me demandent de mettre plus de moi dans mes albums. Ce sont eux qui m’ont vraiment encouragé à continuer.

Et maintenant, vous sentez-vous prête à faire vos propres compositions, en français ?

J’aimerais bien le faire un jour, mais il faut que je travaille plus, y compris mon français ! Pour moi, faire des reprises, je sais que je ne chanterai jamais mieux que l’originale. Quand je reprends ces morceaux, c’est comme si je les traduisais déjà. Comme pour un roman, traduire c’est déjà ajouter un peu de soi. Quand j’ai lu Le Petit Prince en coréen, puis en français, ça n’avait rien à voir, sans que l’un soit moins bon que l’autre.

Si je fais une reprise en français, je vais chanter avec mes émotions «coréennes». Il faut que je me prépare psychologiquement pour un album de mes compositions en français ! Donc je cherche avant tout à garder la langue originale. Quand je chante un morceau coréen, quel que soit le pays où je me trouve, je conserve la langue de la chanson.

Votre humilité rare donne l’impression que vous ne vous sentez toujours pas légitime à jouer dans les plus grands festivals, à sortir des albums, comme si tout ce qui vous arrivait était un cadeau…

Je pense que ça vient de moi. J’admire tous les gens qui se sentent légitimes. Des années après mes premiers succès, je ne réalise toujours pas ce qui arrive. C’est l’amour, les compliments du public, qui me donnent encore envie d’avancer, mais j’ai encore un grand chemin à faire !

«Elles», album de Youn Sun Nah (Warner). En concert le 26 février à La Cigale (Paris 18e).

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