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Alexandre Astier, président du jury du festival d'Angoulême : «Tous les scénaristes devraient un jour faire du jeu de rôle»

Alexandre Astier apprécie tout particulièrement le format de la bande dessinée pour laisser parler sa créativité. [© L.VENANCE/AFP]

Aussi éclectique qu'inclassable, mais toujours pertinent. En acceptant la présidence du Grand Jury qui remettra ce samedi les Fauves - les prix décernés lors de la compétition officielle - du 50e festival de BD d'Angoulême, Alexandre Astier confirme et évoque pour CNEWS sa passion pour le 9eme art.

Des grands classiques franco-belges à sa découverte du manga, en passant par la sortie du 10e tome des aventures de Kaamelott en bande dessinée, celui qui a déjà réalisé deux adaptations d'Astérix pour le grand écran nous livre les secrets de son processus de création. Entre pouvoir imaginatif du jeu de rôle ou encore critères de jugement d'une oeuvre, le «Roi Arthur» lève le voile sur son approche du travail de créateur.

Vous êtes président du jury du festival d’Angoulême. Cinéaste, auteurs de BD, libraire, chanteurs… Ce jury est très éclectique. Comment la présidence Astier va coordonner tous ces univers pour finaliser le palmarès dévoilé ce samedi ?

Alors je ne sais pas trop ce que sera une présidence Astier, le grand rendez-vous avec le jury est cet après-midi. En effet, on vient d’univers très différents, mais on a tous en commun le fait d’avoir fabriqué des choses. C’est la création qui nous lie tous, et qui est menée par un paramètre commun, la séduction. Qu’on soit ou pas dans le monde de la BD, il y a une séduction qui s’opère, comme le fait de savoir si on a tout simplement envie ou non de se plonger dans l’album. Il n’y a pas besoin d’être spécialiste, il faut savoir par quoi on est touché, avant tout. Pour le reste, je me fie à mes expériences de président dans des jurys précédents, mais j’espère qu’on va avoir des délibérations un peu à l’instinct.

Quel est votre premier regard sur la sélection d’albums dont vous allez débattre ?

Mais quand je vois la montagne d’albums à lire pour attribuer les différents Fauves aux lauréats, c’est phénoménal ! Je m’attendais à beaucoup, mais tout de même pas à ça ! Ca va être très difficile de faire le choix, et le tri. En règle générale, on peut toujours compter sur une part de la sélection qui sera vite éliminée, mais là, je constate surtout qu’il n’y a aucun album raté, ou très faible qu’on peut mettre rapidement de côté ! En ce qui concerne mes choix, j’ai l’impression de n’avoir conservé que des choses belles, passionnantes, et pourtant totalement différentes. Ca rajoute une petite pression, d’autant qu’un prix à Angoulême est une très belle récompense, qui suit l’auteur toute sa carrière. 

Avez-vous le temps de suivre l’actualité de la BD, en lire, suivre les nouveaux auteurs, formats…?

Mon rapport à la BD est un peu celui d’un père de famille, j’ai lu les grands classiques de la BD franco-belge chez mes parents, plus tard j’en ai acheté, et désormais j’achète plutôt celles de mes enfants. Ca m’a permis de découvrir le manga, un monde d’une inventivité explosive à laquelle j’ai complètement adhéré. Je suis assez fasciné par leur liberté dans cette expression, qui a l’air paradoxale avec le cliché qu’on peut avoir des auteurs de manga, obligés de travailler presque à la chaîne avec leurs éditeurs qui les surveillent.

Le manga est un monde d'une inventivité explosive.

Et je comprends les enfants qui sont plongés là-dedans, qui ne parlent que de ça. Pour qu’il y ait une telle adhésion, c’est qu’il y a du talent derrière. J’ai pu découvrir les grosses revues, à la japonaise, qui contiennent un paquet d’histoires, à feuilleton, où finalement on ne sait pas trop ce qu’on va y trouver. Ce côté magazine qu’on pouvait avoir avant avec PIF ou Picsou magazine. Quelque chose qui n’est pas précieux, avec son côté pratique, contrairement à la BD cartonnée qui peut parfois apparaître comme un objet de collection. 

Concernant le festival, cette édition a été marquée par l'annulation de l'exposition rétrospective consacrée à Bastien Vivès, sous le feu des critiques concernant ses albums accusés de promouvoir la pédopornographie. Quel est votre point de vue là-dessus ?

Sur l’affaire en elle-même, je n’ai pas grand-chose à dire. Je ne connais pas Bastien Vivès, et je n’ai lu aucune de ses œuvres. Le peu que j’en sache sur ses déclarations sur les réseaux, c'est qu'il n'est pas forcément un mec très chouette.

Par contre, je crois qu’il faut que le lecteur, le spectateur, soit sollicité. Ne pas aimer un artiste, c’est puissant, avant même les interdictions. Dire, montrer à un artiste qu’on n'aime pas ce qui est contenu ou véhiculé dans son œuvre, c’est déjà une sacrée punition. 

Riad Sattouf vient de recevoir le Grand Prix de la Ville d’Angoulême, et sera donc mis à l’honneur l’an prochain lors du festival. Il fait partie des artistes qui, comme vous, avez créé aussi bien dans la BD qu’au cinéma…Y aurait-il un lien particulier entre ces deux formats, un attrait pour le cinéma ?

Non, je ne pense pas qu’il y ait de porosité entre cinéma et BD. Je pense qu’ils ont glissé, Riad Sattouf comme Joann Sfar par exemple, d’un médium à l’autre par envie, et surtout par envie de différence justement. C’est très difficile de faire du cinéma sans amour de ses outils, ses plateaux, ses acteurs… Et ces gens-là ont voulu cette particularité, tout comme je cherche la particularité de la BD quand j’en fais une. C’est une variation des plaisirs en quelque sorte. 

Vous avez votre propre actualité concernant la BD, avec la sortie du tome 10 des aventures de Kaamelott, il y a quelques jours. Vous avez déjà franchi le cap du million d’exemplaires vendus de cette saga. Que vous inspire ce succès, qui n’était pas évident au départ, avec un support, la BD, bien différent de l’écran ?

En effet, dès le tome 7 ou 8, on a franchi ce cap, ce qui je dois dire m’étonne toujours. Je n’arrive toujours pas à savoir si ceux qui lisent les BD sont exactement les mêmes que ceux qui suivent la série ou voient les films. Mais il m’est arrivé de croiser des gens pour des dédicaces, qui me disaient que la BD était le support qu’ils préféraient pour Kaamelott.

J’ai toujours été touché par ça, d’autant plus que je suis très sensible à la notion de collection. Je suis fier qu’avec Steven Dupré, on en soit désormais à 10 tomes, de pouvoir mettre côte-à-côte toutes ces aventures qui marquent les années. Je n’arrive pas à me lasser de l’écriture pour la bande dessinée. 

Justement, votre travail de scénariste de BD est-il totalement différent de celui pour l’écran ?

En BD, le nombre de contenants pour raconter votre histoire est fixe. Surtout si comme moi, vous aimez suivre les codes de la BD franco-belge et ses albums à 48 pages, avec un nombre limité de cases par planche. C’est le seul médium qui répond à ces codes, jamais vous n’aurez de limite de séquences dans un film.

Dans la BD franco-belge, le contenant pour raconter votre histoire est par avance limité.

Le fait d’inventer le puzzle de son histoire et de le distribuer dans des planches, c’est une mécanique d’écriture qui me manquerait si je ne la faisais pas, et qui complète parfaitement les autres manières d’écrire les choses. Ce pré-découpage fait que je ne m’y prends donc pas du tout de la même façon, c’est cette particularité là que je retiens de l’écriture de la BD.

Ce tome 10 est baptisé «Karadoc et l’Icosaèdre», ce dernier étant un solide à vingt faces (D20). Il est connu de tout amateur de jeu de rôle sur table, et surtout Donjons & Dragons, pour être un des éléments de base d’une partie. Un clin d’œil au pouvoir imaginatif de ce jeu ?

Oui, j’ai fait de ce dé à vingt face le point de départ de cet album, car selon moi il y a un vrai pont entre un scénario de jeu de rôle et mon écriture de Kaamelott. J’aime ce monde qu’on appelle médiéval-fantastique. Un «médiéval» générique, qui pourrait partir de l’Antiquité, et auquel s’ajoute de la magie, des mondes chaotiques,…En tout cas, c’est quelque chose qui a beaucoup compté chez moi, et je voulais lui rendre hommage. 

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© A.Astier/S/Dupré/Casterman

Le jeu de rôle en lui-même, avec cette gestion du hasard, du destin déterminé par les jets de dé, est un bel objet. Le monde du jeu de rôle est rempli de choses qui ont de la noblesse. J’avais justement envie de raconter une histoire dont le centre serait un des symboles de ce jeu, et le D20 en est le plus représentatif. Le scénario parle donc de ce dé, magique, dans un monde qui bien entendu ne connaît pas le jeu de rôle, ni le D20 ! 

Qu’est-ce qui rend le scénario, tel qu’il est conçu dans le jeu de rôle, si particulier et unique ?

Le paramètre qui existe dans le scénario de jeu de rôle, et qui n’existe pas dans les autres formes de scénario, c’est l’incursion du destin par le biais de ces fameux dés. Ça n’a l’air de rien, c’est quelque chose qu’on a hérité du jeu de l’oie, des petits chevaux, ça peu paraître ennuyeux, mais dans le monde du jeu de rôle, cette représentation du hasard, du destin et des tourments de la vie, qu’ils soient futiles ou grandioses, porte une puissance d’un point de vue scénaristique assez inédite.

Quand vous êtes Maître du jeu, à savoir le scénariste et conteur du jeu de rôle, vous maitrisez la partie du scénario que vous avez mis en place, mais vous en laissez une autre au bon vouloir des dés. Tous les scénaristes devraient s’essayer, une fois dans leur vie, à écrire un scénario de jeu de rôle et de le faire jouer, avec des gens qui prendront parfois des directions auxquelles le scénariste n’a pas pensé, ce qui n’arrivera jamais au cinéma.

Le jeu de rôle, avec cette gestion hasardeuse du destin déterminé par les dés, est un bel objet.

Et puis il y a aussi cette dimension poétique qui est de dire : « je ne sais pas ce qui va se passer, je vais balancer les dés sur la table, et puis on va voir ce que va devenir le scénario». Ce sont pour moi des éléments de narration qui sont effectivement magiques, au sens le plus noble du terme.

L'auteur J.R.R. Tolkien avait de son côté l’habitude de dire : «Tout commence par une carte». Pour vous, par quoi commence le processus de création, y-a-t-il un élément déclencheur à votre imaginaire ?

J’aime beaucoup cette réflexion de Tolkien, parce que j’adore les cartes, et je comprends tout à fait qu’on puisse se dire : «qui est où ? Qu’on-t-ils à franchir, où sont les périls…», c’est une façon géniale de commencer quelque chose. De mon côté, je pense qu’une engueulade est un bon départ : «qui s’engueule avec qui, à propos de quoi ?» Généralement, si on tire le fil d’une engueulade en mettant les bons paramètres, on peut faire un scénario.

Perceval et Karadoc, deux figures emblématiques de Kaamelott qui sont les principaux héros du tome 10 de la BD et se chamaillent tout le temps, sont donc une source d’inspiration inépuisable pour vous ?

Oui, au même titre que deux gamins de 7 ans jouant ensemble auront toujours des idées dont on ne sait pas d'où elles viennent ! Il y a une sorte de fluidité dans la connerie à faire. Perceval et Karadoc sont des gens à la naïveté puérile, mais aussi au potentiel infini, puisque rien ne les tient, ni la peur, ni les conventions. Et en effet, je compte sur eux de temps en temps pour m’ouvrir des possibilités.

Entre le deuxième volet de Kaamelott au cinéma, votre projet autour de la bête du Gévaudan… Où en êtes-vous de vos projets futurs ?

En ce moment je suis sur la suite de Kaamelott. Pour la bête du Gévaudan, c’est un projet qui me suit depuis toujours, mais je ne sais même pas quelle forme cela prendra, série ou film, si jamais cela a lieu !

C’est un travail permanent de mon côté, et si le projet se fait on verra sous quelle forme. Mais en ce moment, mon actualité la plus brûlante reste bien le deuxième volet au cinéma de Kaamelott. 

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